Idriss et Aldo, les bienheureux
Récit écrit, suite à des rencontres inattendues dans un métro toulousain.
Dans le métro. Un papa et son bébé. Un tout petit bout d’homme blotti au fond d’un landau au creux d’un couchage douillet, comme un oisillon dans son nid. Yeux plissés, mains invisibles dans une brassière précautionneusement trop grande pour sa taille (elle finira bien par devenir trop petite !), il dort. Comment ne pas craquer ? La conversation s’engage, banale au début : – Il est bien mignon votre petit ! Quel âge a-t-il ? – Une semaine ! – Il est vraiment tout neuf ! A la demande de son prénom le papa déclare : – Idriss Amadeus !
Étonnement devant le cocasse de ce latin accolé à l’arabe ! : – C’est du latin et ça rappelle Mozart ! ? Réponse avec une fierté souriante : – Amadeus signifie que « Dieu l’aime ». Quant à Idriss, nom d’un ancien prophète (supposé contemporain d’Adam !) il renvoie à la Bible. Association pré nominale entre plusieurs cultures, parole inattendue au hasard d’un métro. Le papa, berbère marocain, travaille dans la médiation. Son épouse s’approche, souriante, un peu fatiguée (la sortie de clinique est si récente). Native d’Europe centrale, elle est aussi blonde que lui est brun. Un couple sympathique, épris de relations entre les religions, dans ses façons de voir et dans le choix d’un prénom en deux langues donné au premier né. Impressionnant d’ouverture … même si plus tard, à l’école, au travail, ce prénom risque d’être difficile à porter.
La conversation coule, paisible, agréable, passe sur le terrain d’actions, de formations conduites au Maroc. Des points communs paraissent. Échange inattendu, ouvert à l’improviste d’un brin de courtoisie pour un petit bébé … fêlure du silence et de l’anonymat où s’enferme chacun quand il prend le métro. Est-ce le sous-terrain qui induit ce mutisme et ces regards fuyants ou à la dérobée ? Idriss-Amadeus, savoure son sommeil. Déjà il fait un pont, conforme à son prénom, fidèle à ses parents, lancé entre les rives d’une mer Grande Bleue si souvent devenue une frontière hostile et même ces temps-ci un honteux cimetière. La station de la séparation interrompt le dialogue. L’au-revoir se prolonge en mémoire immédiate d’un moment chaleureux … jaillit le souvenir d’un prénom lui aussi rédigé en deux langues, grec et araméen, « Jésus-Christ ». Celui qui déclara : « Si vous ne devenez comme les petits enfants, vous n’entrerez pas dans le Royaume des cieux » (1). Connaissait-il déjà Idriss-Amadeus ?
A l’autre bout du chemin de la vie, Aldo approche des cent ans. Ses parents, italiens sont arrivés ici avec la forte vague qui dans les années vingt poussa dans l’Hexagone des milliers de “ritals” pauvres et travailleurs. Il réussit sa vie comme on dit quand emploi, famille et santé se présentent aux étapes d’un parcours laborieux. Il connut la fortune d’entreprises prospères. Succès et relations le conduisirent à prendre des responsabilités sociales et juridiques. Il a dû maintenant lâcher prise, changer ses habitudes, accepter de marcher, lui qui fut si sportif, à l’aide d’une canne et porter un pacemaker. Il est veuf. Ses enfants vivent loin. Il lui reste l’affection d’une proche parente. Un brin de nostalgie embrume ses paroles. Son passé le soutient, mais il voit droit devant. Il attend sans angoisse l’heure du grand passage…
Idriss Amadeus et Aldo, deux messages vivants pour encadrer la vie, du début, à la fin, et poser des questions sur ce don mystérieux aux couleurs d’aventure que sont nos existences.
(1) Évangile de St. Matthieu 18,3
Un magnifique récit et une très belle leçon de vie. Merci pour ce partage