Lecture ou écrans : un enjeu culturel
Les jeunes regardent les écrans (télévision, smartphones, tablettes, ordinateurs) environ entre 5h à 8h par jour, un temps qui varie selon l’âge, les habitudes d’utilisation et le pays. Les écrans sont un moyen de communication attractif qui offre des loisirs aux jeunes : films, musique, jeux, réseaux sociaux etc. Ils ont un attrait et une richesse visuelle que l’écrit n’a pas. Cependant, la lecture d’ouvrages reste la base de la vraie culture et du savoir. L’image numérique est agréable à regarder, mais éphémère, et elle ne stimule pas suffisamment l’esprit. C’est toute la différence entre l’écrit et l’image. L’audiovisuel sollicite la vue et l’ouïe, mais laisse rarement de place à la réflexion.
La baisse du niveau culturel
Lorsqu’il s’agit de lecture, l’individu s’investit et mémorise de manière critique, d’autant plus que le texte est souvent choisi volontairement, contrairement à la télévision, ou écrans numériques qui imposent ses images. On suit un texte à son propre rythme et il doit être déchiffré pour être compris. Chacun s’implique activement dans la lecture, tandis que face aux écrans, la passivité est de mise. L’acte de lire forme l’esprit à la participation, à la créativité et à la responsabilité. En outre, cela détend et peut éveiller la passion dans la sérénité.
Pour donner le goût de la lecture à nos jeunes enfants, il est essentiel de lire avec eux des textes simples. Pour les adolescents, nous devons leur offrir des livres et leur demander ensuite de nous raconter l’histoire. La lecture permet d’apprendre à s’exprimer, d’enrichir le vocabulaire, de découvrir des styles littéraires et de nourrir la vie culturelle. L’identité d’un peuple réside d’abord dans la maîtrise de la langue, de la mémoire et la capacité à renouveler et enrichir son patrimoine. Le livre en est la base.
Dans les pays de la rive sud, les enfants lisent peu, et sur la rive nord, ils lisent moins que par le passé. La télévision et écrans numériques perturbent l’acte de lire. Parents et enseignants constatent une baisse du niveau culturel. Ne pas lire, c’est risquer de devenir analphabète. De nombreux élèves aujourd’hui ont du mal à lire une page sans faire d’erreurs et ne comprennent pas le sens du texte, incapables d’en tirer des leçons. Lire, c’est mémoriser des idées, un vocabulaire, et des informations utiles pour la maturité et la vie sociale. L’intérêt pour la lecture doit être éveillé avant l’entrée à l’école, par les parents et l’école maternelle. Sinon, la télévision et les écrans numérique risquent de détourner les enfants de la lecture après 12 ans.
Les interfaces numériques, malgré certains avantages, créent une illusion et favorisent la passivité. Dre. Maryanne Wolf écrit : “La lecture profonde, qui est essentielle pour la compréhension critique, l’analyse et l’empathie, est mise en danger par l’exposition prolongée aux écrans. Lorsque nous lisons sur des appareils numériques, nous développons des habitudes de lecture plus superficielles, ce qui limite notre capacité à réfléchir profondément et à retenir ce que nous lisons.”
Se divertir est une activité normale, mais regarder la télévision, le smartphone ou travailler sur un ordinateur ne remplacera jamais la lecture. Certes, tout cela peut se compléter, mais le problème réside dans le fait que la lecture d’ouvrages est bien trop faible. Le temps passé devant les écrans dépassent les cinq heures par jour. Le déséquilibre est flagrant. Pourtant, seule la lecture permet d’acquérir des savoir-faire approfondis et fondamentaux, et de les développer de manière autonome.
Un exutoire
Le temps passé devant les écrans est également susceptible de perturber la personnalité et l’identité de l’enfant. Avant même de considérer la question des contenus, la question du temps consacré aux écrans est majeure. Le fait de se retrouver face à l’écran, où l’enfant est contraint à la passivité, peut l’enfermer dans un statut de simple récepteur, influençable, ce qui représente un danger réel au-delà d’un certain temps et avec une accoutumance nocive.
Des recherches sur le développement du lien d’attachement montrent qu’un enfant qui grandit avec une présence permanente face aux écrans risque de développer une telle dépendance qu’il deviendra partisan du moindre effort. Devenu adulte, il pourrait ne plus se passer de cette présence permanente et développer une personnalité passive, incapable de créer ses propres repères et visions du monde, de faire le tri des images et messages, et de s’engager activement dans le réel.
En l’absence de loisirs et de programmes éducatifs attrayants, les écrans numériques deviennent pour les jeunes un exutoire excessif, nuisant à la possibilité de se connaître soi-même, de lire, de réfléchir et de dialoguer avec sa famille et ses proches. Bien sûr, le numérique est une fenêtre sur le monde, et certains contenus peuvent être instructifs, mais ils deviennent de plus en plus rares.
La violence, l’incitation à la consommation et à la jouissance à tout prix, ainsi que la propagande pour des idéologies diverses, constituent une grande partie des contenus diffusés sur les écrans. Que ce soit par les chaînes satellitaires, d’Orient ou d’Occident, ou via les plateformes numériques, des images et des messages sont véhiculés, troublant les repères, particulièrement pour les enfants, et perturbant leurs mentalités et traditions
Aujourd’hui, le développement d’un enfant passe par sa capacité à interagir avec le monde réel et à manipuler des objets concrets. Jusqu’à environ sept ans, l’enfant a besoin du contact physique avec son environnement. Le temps passé par l’enfant devant des images virtuelles risque de l’éloigner des activités naturelles et exploratoires, essentielles pour son développement. Trop de temps devant un écran réduit la volonté d’agir sur le monde et de dialoguer, confinant l’enfant dans un rôle passif, simple spectateur du monde.
La priorité au livre
Des études scientifiques, notamment ceux appliqués à la relation mère-enfant, montrent que l’être humain est capable de s’accrocher aux éléments les plus présents de son environnement dès le début de la vie, et notamment à ceux dont il a l’impression qu’ils le regardent. Il est à craindre que de jeunes enfants, qui ne lisent pas et sont confrontés sans cesse aux écrans, ne développent une relation d’attachement à des images virtuelles de violence ou de pratiques futiles, indépendamment de tout sens critique.
Ces enfants ne pourraient se sentir « bien au monde » – autrement dit sécurisés – que si un écran est allumé près d’eux, et ils seraient incapables plus tard, à l’âge adulte, de supporter le silence, la solitude, ou de dialoguer avec eux-mêmes, éprouvant des difficultés de communication avec autrui.
La nécessité de développer la personnalité de la jeunesse passe par la variété des pratiques culturelles et un programme éducatif qui les encourage à rencontrer et discuter avec les autres, à lire et à assumer la sociabilité.
La société a besoin de donner la priorité au livre, car la situation est préoccupante. Pour répondre aux immenses besoins de compétences, pour relever les défis du développement et former des citoyens équilibrés et matures, la tâche de tous les acteurs culturels est de tout faire pour inciter la jeunesse à lire, afin qu’elle ne s’enferme pas, mais s’ouvre au savoir et apprenne à agir de manière réfléchie. Il n’y a pas d’avenir sans livre. L’avenir se joue sur cette question du livre, non pas face au petit écran passif qui permet de fuir les réalités. Il devient urgent d’œuvrer pour inciter à lire et multiplier les bibliothèques et les librairies.
Les écrans numériques, dans le monde du libéralisme sauvage, notamment celles qui est entre les mains de marchands sans éthique ni principes, font courir un danger aux jeunes et aux différentes sphères de la production culturelle. Les écrans commerciaux ou de propagande, qu’il s’agisse de télévision, de smartphones, d’internet ou d’autres médias numériques, recherchent l’audience, la popularité, l’urgence, sans se soucier des problèmes de fond, des besoins et des valeurs propres à chaque société. Le règne de l’audimat et des clics donne une place excessive à l’émotion superficielle, aux faits divers et au sensationnel sans enjeu, ce qui conduit à un nivellement par le bas et à une stérilité intellectuelle.
Dans le monde dominant, comme le signalait Pierre Bourdieu, des écrans privilégient toujours les mêmes intervenants, qui proposent du fast-food culturel, une sous-culture, des locuteurs habitués des médias pour dénigrer et polémiquer, dans un monde clos, de questions creuses et biaisées, en vue de banaliser des contre-vérités. Le livre, au contraire, permet au lecteur de se faire sa propre opinion, de vérifier, de prendre le temps, de critiquer et de comparer. Un citoyen responsable est un citoyen qui lit.
« Bonne lecture » devrait être le mot d’ordre de notre temps. La civilisation musulmane, qui a illuminé le monde durant mille ans, l’a fait sur la base d’un Livre, dont le premier mot révélé est « Iqra » (lis), et aussi sur la base des livres des savants. Le renouveau ne peut se réaliser que lorsque la réconciliation avec la lecture et l’écriture deviendra une tendance forte.
Source : http://mustapha-cherif.net/?p=239