Coran pour tous : guide pour une lecture avertie

Il semblerait que la vente du Coran ait explosé ces derniers jours. Pareil phénomène avait été observé après les attentats du 11 septembre. Que faut-il en penser ? Nous ne sommes pas de ceux qui s’en réjouissent à priori. Il y a, en effet, un certain nombre d’obstacles qui risquent de s’interposer entre le lecteur, non averti, et le Coran. Nous allons en indiquer deux. Le premier est lié à la traduction de l’arabe vers le français (ou toute autre langue); le deuxième à la “grille de lecture” adoptée, consciemment ou non, pour sa lecture.

Interprétations selon les lecteurs

S’agissant de la traduction, nous connaissons tous l’adage : “traduire c’est trahir”. Ce qui vaut pour tout texte vaut, bien évidemment, aussi pour le Coran. Il n’y a pas un seul mot français qui, aujourd’hui, sert à traduire des concepts coraniques, qui ne soit incorrect, biaisé, réducteur, voire même franchement erroné : religion, mécréant, Prophète, prière, sont de ceux-là. Quant aux mots arabes, plus ou moins conservés dans leur prononciation originelle (djihad, halal, hijab, charia…), l’usage actuel (hérité de l’orientalisme de la deuxième moitié du XIXème) leur attribue des sens tout aussi réducteurs. Première difficulté, donc.

Il y aurait encore beaucoup à écrire sur ce sujet, mais la problématique est suffisamment claire et ne nécessite pas de longs développements. Par contre, nous nous attarderons plus longuement sur le second obstacle.

S’agissant du cadre de référence à partir duquel, on lit un texte, et ici,  le Coran, nous rappellerons ce que le dramaturge allemand B. Brecht écrivait en son temps : “La colline apparaît différemment selon celui qui la voit, paysan ou soldat“. La question du point de vue est donc déterminante. Et le Coran n’échappe pas à la règle, comme tout objet du monde, comme tout texte. C’est d’ailleurs ce qui explique, en partie (mais en partie seulement) qu’il puisse y avoir des extrémistes terroristes qui se réclament de l’Islam et du Coran. Le Coran est un texte sacré, certes, mais à l’homme est laissé son libre arbitre, c’est-à-dire le choix de la lecture qu’il en fera. Cette lecture n’étant, en dernière analyse, que le reflet du lecteur, de ses aprioris, de ses tendances psychologiques, de ses déterminations socioculturelles… Est-ce à dire qu’aucune lecture fidèle au Coran et à son esprit n’est possible, et que toutes les interprétations auraient le même degré d’autorité ?

On pourrait être tenté de répondre par l’affirmative, surtout si on se situe dans un cadre de pensée relativiste et individualiste. Mais si on fait un effort de décentrement, effort indispensable à la compréhension de la culture de l’autre, force sera de constater qu’il n’en est rien. En effet, le Coran n’est pas la source unique de l’Islam. La Tradition prophétique, qui reprend les faits, les gestes, les propos attribués au Prophète Mohammad, paix et salut de Dieu sur lui, en constitue, en effet, la deuxième. Certes, aujourd’hui, cela est relativement connu, mais les véritables implications de cette double source sont rarement tirées, au sein de la communauté musulmane elle-même, comme à l’extérieur de celle-ci (ce qui est plus compréhensible). La principale conséquence de cette double source, c’est que le Coran n’est compréhensible qu’à partir de la Tradition prophétique, que la « grille de lecture » c’est la Tradition prophétique elle-même et qu’il faut donc « s’outiller » d’une connaissance appropriée de la personnalité du Prophète Mohammad, paix et salut de Dieu sur lui, et de sa vie si l’on veut s’approcher, un tant soit peu, de l’esprit du Coran. Ceci est un pré-requis. Mais, et là réside très certainement la principale difficulté, ce pré-requis n’est pas suffisant. Si ce pré-requis seul était opérant, on serait en droit de se demander pourquoi les extrémistes terroristes qui se réclament de l’Islam, ont cette lecture rigoriste, violente, criminelle du Coran. Ne sont-ils pas, eux aussi, informés du fait que l’Islam s’appuie sur le Coran et la Tradition prophétique ? Et, par voie de conséquence, ne connaissent-ils pas la vie du Prophète, qui est, comme pour tous les musulmans, la référence, l’archétype ?

Connaître le Messager pour connaître le message

A ce stade, il nous faut donner quelques éléments doctrinaux importants, sans lesquels cette question restera sans réponse. Oui, les gens du prétendu état islamique, ceux se réclamant d’Al-Qaïda ainsi que les rigoristes extrémistes de tous poils (et de tous voiles), affirment suivre, comme tous les musulmans, le Coran et la Tradition du Prophète… Mais dire cela, sans se poser, aussitôt, la question que pose le penseur et éducateur spirituel Abdessalam Yassine : « Avec quelle raison et avec quelle volonté sommes-nous prêts à les (le Coran et la Tradition prophétique) mettre en pratique ? », revient à en rester au stade d’un slogan inopérant, qui égare plus qu’il n’oriente.

Il y a des conditions pour lire le Coran, tout en étant fidèle à son esprit. La connaissance du Prophète est une des conditions, nous l’avons dit plus haut. Mais il y a aussi des conditions pour connaître le Prophète. Et c’est là ce qui sépare radicalement le courant wahhabite, dont dérivent les courants extrémistes actuels qui se réclament de l’Islam, et la tradition multiséculaire de l’Islam partagé par la (plus que) toute grande majorité des musulmans. Les premiers (les derniers arrivés dans la longue histoire de l’Islam) réduisent le Prophète à une fonction purement instrumentale. A leurs yeux, le Prophète n’avait pour tâche que de transmettre le Coran ainsi qu’un corpus de règles (cultuelles et sociales) exprimées sous forme d’interdits (haram) et de permission (halal). Partant de ce postulat, le musulman devrait entretenir avec le Prophète une relation purement formelle, « protocolaire ». En aucun cas, ne devraient s’y mêler des sentiments de reconnaissance ou d’amour. Ces courants extrémistes refusent, donc, notamment, que la fête de la naissance du Prophète soit célébrée, interdiraient, s’ils le pouvaient, la visite de sa tombe à Médine (rappelons que le prétendu état islamique qui sévit actuellement en Iraq et en Syrie a fait procéder au dynamitage de la tombe du Prophète Jonas), écartent de leur corpus de référence tous les témoignages relatifs aux liens d’amour qui unissaient les compagnons du Prophète à ce dernier, ainsi que, de manière générale, tous les récits parlant du Prophète en tant que « miséricorde pour les univers » (ainsi que Dieu l’a nommé dans le Coran[1]). Cette vision réductrice du Prophète (fondée sur une approche rigoriste de l’Islam) a une origine géographique : le Najd (région centrale de la péninsule arabique), une source doctrinale : le wahhabisme, des promoteurs et défenseurs : la dynastie régnante des Saoud, et les héritiers de l’heure, que le passage à l’acte galvanise : les extrémistes terroristes[2].

Nous touchons, ici, à ce qui fait que la simple revendication d’un attachement au Prophète, sur la base d’un héritage culturel ou d’un savoir, religieux ou non, historique, livresque, théorique, aussi important ce savoir serait-il, n’est pas suffisant pour le connaître. Nous avons dit, plus haut, qu’il faut des conditions pour lire le Coran tout en étant fidèle à son esprit, et que la connaissance du Prophète est une de ces conditions. Nous avons dit aussi qu’il y avait des conditions pour connaître pleinement le Prophète. Nous découvrons maintenant que la principale de ces conditions est que la connaissance factuelle, textuelle de sa vie et de sa personne, soit accompagnée, sinon, motivée, par la certitude que l’amour du Prophète est la clef qui ouvre le cœur et la raison à une compréhension fidèle du Coran.

Nous sommes conscients qu’affirmer cela pourrait désarmer les lecteurs de cet article qui ne seraient pas musulmans mais qui, pourtant, voudraient lire le Coran (« à quoi bon lire le Coran, donc, puisque je ne ressens pas d’amour pour le Prophète… ? », pourraient-ils, en effet, se demander), et susciter en eux un sentiment de perplexité quant à la nature de cet amour. Nous allons nous expliquer sur ces deux points.

Il y a entre le rejet, la haine, la détestation et l’amour, une palette de sentiments ; de même que l’amour lui-même, connaît de multiples degrés en termes d’intensité et d’étendue. Ne pas aimer (ce qui d’un point de vue principiel est chose impossible) ne veut pas dire haïr. Il est donc tout à fait possible de lire le Coran, sans éprouver de sentiments évidents d’affection envers le Prophète et, néanmoins, apprécier la portée générale de ce Livre Saint, en déceler les principaux enseignements ; pour autant, bien-sûr, que la connaissance qu’on ait du Prophète couvre tous les aspects de sa vie, qu’elle soit impartiale et fondée sur des sources historiques fiables, d’une part, et, d’autre part, que cette absence d’affection ne veuille pas dire, cela va de soi, rejet, détestation.

Bien-sûr, une telle approche du Coran demeurera distante et ne permettra pas de goûter ce texte dans ce qu’il a de plus sacré, de plus profond, mais elle aura néanmoins des fruits : une compréhension plus juste du Coran, une ouverture à la pensée et à la spiritualité musulmane. Et dans le contexte actuel, ce n’est pas rien. Enfin, nous voulons préciser que, concernant l’amour du Prophète, il est vain et non-conforme à la réalité, d’opposer, d’un côté, les musulmans, qui l’aimeraient de manière uniforme et égale, et de l’autre les non-musulmans qui, par leur extériorité à la communauté musulmane, seraient dans l’impossibilité de l’aimer. L’amour a des degrés. Il y a donc autant de degrés d’intensité dans l’amour du Prophète qu’il y a de musulmans dans le monde. Et nous avons vu que le wahhabisme refuse les sentiments d’amour, et leurs expressions, envers le Prophète (prétextant que cela est une innovation dangereuse pour la religion…). Par ailleurs, il est tout à fait dans l’ordre du possible que des personnes qui ne seraient pas de confession musulmane éprouvent à l’égard du Prophète du respect, de la considération, de l’affection, voire même de l’amour. Et à vrai dire, cela est plus que de l’ordre du possible, puisque le Prophète est, par essence, une « miséricorde pour les univers ».

Une vision de l’amour

Cette qualification de « miséricorde pour les univers », sur laquelle nous sommes revenus à plusieurs reprises dans le cadre de cet article, est axiale, cardinale. Nous allons nous y arrêter un instant. Elle seule permet, en effet, d’éclairer cette énigme qui se présente aux personnes qui ne sont pas de confession musulmane dès lors qu’est évoqué, en leur présence, l’amour du Prophète. Dans le contexte actuel, la compréhension de l’amour est très généralement limitée à l’amour interpersonnel : l’amour des amoureux, des parents pour leurs enfants, et réciproquement. Très rarement, la compréhension ordinaire de l’amour sort de cette limitation. Si elle le fait, elle finit, à l’épreuve de la réalité, par délaisser le terme « amour » au profit des notions de compassion, d’empathie, qui en sont des expressions, ou bien par en dissoudre le sens dans un sentimentalisme abstrait. La raison de cette compréhension limitée est à chercher dans l’individualisme propre à nos sociétés, ultime conséquence d’une philosophie qui, à la Renaissance, a limité l’être au dualisme de l’âme et du corps, l’amputant de sa part spirituelle. La source de l’amour, aujourd’hui, et ceci est vrai pour l’immense majorité des gens, ne peut être qu’en l’homme. Ceci est tellement vrai que certains vont jusqu’à ne voir en l’amour qu’une forme de névrose, un atavisme biologique, voire un instinct animal.

Il en va tout autrement dans la vision musulmane de l’amour (et ce point de vue est partagé, au-delà des expressions circonstancielles spécifiques, par toutes les traditions spirituelles). Dans l’ordre des 99 noms de Dieu de la Tradition musulmane (et Ses noms sont en nombre infini…), les noms Le Tout Miséricorde (Ar-RaHmân), Le Très Miséricordieux (Ar-RaHîm) viennent respectivement en deuxième et troisième place, immédiatement après le nom suprême Dieu (Allah). Du point de vue musulman, donc, la source de l’amour est extérieure à l’homme, elle est à situer en Dieu. C’est cette extériorité, par rapport à l’homme, de la source de l’amour qui fait que celui-ci peut aimer d’autres objets que lui-même ou ses proches, sa famille, son clan, et s’élever, de proche en proche, à un amour plus vaste, universel, s’ouvrant à toute l’humanité, à tous les êtres vivants, à la nature dans son ensemble, revenant ainsi à sa source, Dieu Lui-même. De ce point de vue, l’amour est donc, dans sa fonction, sa réalité principielle, d’abord et avant tout une Voie, qui relie, réconcilie et réunifie, englobant, irradiant la totalité de l’existant, pour sourdre ou jaillir au cœur du particulier, le traversant pour rejoindre l’universel et revenir, au-delà, à son origine, l’Absolu incréé et créateur, Dieu.

Ce n’est qu’en vertu de ce principe qu’il est possible de comprendre comment des hommes et des femmes, depuis plus de 1400 ans, parlant les langues les plus diverses, originaires de pays et de culture si différents, aient pu aimer le Prophète Mohammad, et comment, aujourd’hui encore, comme par le passé, des hommes et des femmes rentrant en Islam, se découvrent (s’il ne l’avaient pas ressenti avant) un amour pour le Prophète. La source de cet amour n’est pas à trouver en ces hommes et ces femmes eux-mêmes, mais dans l’amour que Dieu a pour Son Prophète, et dans l’amour que ce dernier a pour chacun d’entre nous, et ce en vertu de sa nature principielle : « Et Nous ne t’avons envoyé que comme miséricorde pour les univers »[3]. Quant à cette universalité de l’amour de Dieu, englobant, et donc reliant, elle est affirmée en des termes clairs et concis dans le Coran : « … Et Ma miséricorde embrasse toute chose »[4]. Ce qui revient à dire, en d’autres termes, que nul homme, nulle femme, n’est privé de cet amour et, bien plus, qu’il y prend part, à un degré ou un autre, qu’il le veuille ou non, qu’il l’exprime ou non, qu’il s’y conforme ou non, qu’il s’applique à l’honorer ou non. Chacun étant libre de refuser ou d’accueillir ce don permanent et universel, sachant qu’en ce domaine les dispositions psychologiques et intellectuelles de chacun sont, certes, déterminantes, mais non absolument contraignantes.

Suggestions pour mieux saisir le Coran

Nous n’avons pas pris la peine d’écrire ces quelques réflexions pour ajouter à tout ce qui s’est déjà écrit sur le sujet, et bien mieux, ou pour en tirer un bénéfice quelconque dans l’ordre de ce monde. Nous l’avons fait pour dégager quelques principes qui pourraient, nous l’espérons, être profitables aux bonnes volontés, aux âmes curieuses et éveillées, que les aprioris, les slogans vindicatifs et réducteurs, n’ont pas encore scellées, cadenassées, au point de les rendre inaptes à l’ouverture sur l’autre. C’est la raison pour laquelle, nous nous proposons de clôturer cet article par quatre suggestions. Nous les destinons à toutes celles et toux ceux qui veulent (toujours, ou désormais) tenter l’aventure de la lecture du Coran.

D’abord une biographie du Prophète

La première suggestion est de ne pas commencer par la lecture du Coran mais par la lecture d’une biographie du Prophète. Il en existe de très bien écrites, documentées, et qui ne craignent pas d’aborder les sujets considérés par notre époque comme problématiques. Nous pensons notamment à la biographie de Martin Lings intitulé : « Le Prophète Muhammad. Sa vie d’après les sources les plus anciennes ». D’autres biographies sont tout aussi complètes et objectives. Nous pourrions conseiller, notamment : « Le Prophète de l’Islam » de Muhammad Hamidullah.

Diversifier les traductions

La seconde est de lire le Coran dans différentes traductions. Ce qui, nous le concédons, n’est pas chose aisée. Aussi, nous permettons-nous de conseiller, en priorité, la traduction de Jacques Berque intitulée : « Le Coran, essai de traduction ». Jacques Berque était un excellent linguiste, un parfait arabisant, et très connaisseur de la culture arabo-musulmane. Son essai de traduction présente toutes les caractéristiques d’un travail scientifique : rigueur philologique, précision terminologique, connaissance du contexte de la Révélation… C’est sans doute, aujourd’hui, la traduction la plus fidèle. Elle est néanmoins difficile d’accès. Le niveau de langue choisi par Jacques Berque est très soutenu, volontairement archaïsant. Si on veut lire une traduction, certes moins rigoureuse, mais plus fluide, et tout aussi fidèle à l’esprit coranique, il est possible de se tourner vers la traduction de Mohammed Chiadmi intitulée « Le Noble Coran ». Rien, néanmoins, ne pourra jamais remplacer la lecture du Coran dans sa langue originelle : l’arabe.

Avancer prudemment

La troisième suggestion est, chaque fois qu’un passage du Coran pose problème, heurte la pensée ou amène de la confusion, d’apprendre à suspendre momentanément tout jugement, ou tout avis. Non pas qu’il faille arrêter de penser, ou de réfléchir, ou de faire preuve d’esprit d’analyse et de critique. Loin s’en faut !  Mais nos conditionnements actuels sont si prégnants, nos aprioris si vivaces, que malgré toute la bonne volonté du monde, nul n’est à l’abri de raccourcis de pensées ou de précipitations émotionnelles qui ajouteraient à l’incompréhension d’un moment la confusion des interprétations hâtives. Par ailleurs, le danger est là que les aprioris mal identifiés, nichés dans quelques recoins de l’esprit, et qu’on croyait dissipés, ne profitent de telle ou telle mécompréhension pour ressurgir avec force. Si un doute survient, si une incompréhension surgit, si un rejet catégorique s’impose, fut-il, semble-t-il, justifié, nous suggérons, plutôt, de noter le verset incriminé, la sourate où se situe ce verset et de réserver tout jugement jusqu’à ce que les informations nécessaires aient été obtenues.

Ces informations sont de diverses natures : elles peuvent être relatives aux circonstances qui ont présidé à la révélation de tel ou tel verset, elles peuvent être grammaticales, sémantiques, elles peuvent être en relation avec les mœurs de l’époque, elles peuvent être interprétatives (provenir de l’exégèse du Prophète lui-même ou de ses compagnons), elles peuvent être intra-textuelles (le sens de certains versets peut être éclairé par d’autres, de même que certains versets peuvent en abroger d’autres, etc.). Enfin, ces informations sont à chercher auprès des personnes compétentes, au sens cognitif mais aussi au sens humain. Nombre de personnes, aujourd’hui, s’autoproclament savants, islamologues, experts en civilisation arabo-musulmane, alors qu’ils n’ont étudié le domaine religieux islamique que rapidement, en « diagonale ». Il faut se rappeler que certains des plus grands théologiens musulmans ont attendu d’avoir plus de quarante ans avant d’écrire leurs premières œuvres. Ils avaient étudié le Coran dès leur plus jeune âge, s’étaient adonné à l’étude de la Jurisprudence, de l’exégèse, de la Tradition prophétique, de la grammaire arabe, etc. Et, aujourd’hui, nous voyons des journalistes, des philosophes, des sociologues, n’ayant qu’une connaissance très superficielle de l’Islam, du Coran et de la Tradition prophétique, écrire des articles, des livres, tenir des conférences, répondre à des interviews, et débiter en cascade, du haut du peu de leur connaissance, à un public rendu captif par l’islamophobie ambiante, des torrents de contre-vérités.  Précisons d’ailleurs, que cette superficialité dans la connaissance de l’Islam n’est pas que le fait de certains intellectuels non-musulmans, on la retrouve aussi dans la communauté musulmane, qui voit, ces derniers temps, avec internet et les facilités offertes pour étudier à l’étranger (Arabie Saoudite, notamment) naître une génération spontanée de prétendus savants, qui lancent des anathèmes à tout va, légifèrent à tour de bras.  Soit dit en passant, il est assez remarquable que ces derniers partagent avec les adversaires les plus virulents de l’Islam, cette même lecture littérale et superficielle du Coran et de la Tradition Prophétique. Il y aurait beaucoup à dire sur cette question, mais passons…

Il faut donc chercher du côté de ceux qui ont des connaissances réelles, authentifiées par des titres universitaires ou des recommandations émanant d’autorités reconnues.  Compétences cognitives, donc mais aussi compétences humaines. En effet, il ne suffit pas d’avoir une tête bien pleine… Surtout en ces temps de conflits, de polarisations, de crispations « identitaires », de crises de valeurs. Il faut rechercher des hommes et/ou des femmes de connaissances qui soient, aussi, intègres. Comment les reconnaître ? Leur principale caractéristique est qu’ils ou elles ne s’expriment ni émotionnellement ni de manière réactive, ils ou elles ne cherchent pas la polémique pour la polémique, ne craignent pas d’être mis à l’écart par la doxa, sont soucieux de la vérité et du bien commun, travaillent sur le long terme. Une fois recueillies les informations recherchées auprès de ces personnes, auteurs, chercheurs, voire auprès d’un voisin de confession musulmane qui, certes, n’a peut-être pas les qualifications scientifiques requises, mais sait les compenser par des qualifications de cœur (ouverture à l’autre, politesse et douceur en sont les signes les plus manifestes), alors, et seulement alors, faites-vous votre idée.

Écouter la récitation du Coran

La quatrième suggestion est d’écouter réciter le Coran. Ce dernier n’est, en effet, pas qu’un texte à lire, il est aussi une parole à réciter et à écouter. La relation que nous entretenons aujourd’hui au livre nous éloigne, en effet, de la relation que le Coran demande de celui qui s’en approche, le lit et s’en inspire. Les livres sont, habituellement, rangés dans une bibliothèque ; on les parcourt assis sur une chaise, dans un fauteuil, accoudé à un bureau, couché dans un divan ou un lit… Leur lecture se fait silencieusement, intérieurement, sans articulation de l’appareil phonatoire. Il en va tout autrement du Coran. Il repose, généralement, sur un présentoir. Le musulman qui s’en approche pour le lire aura, préalablement, fait ses ablutions. Certes il pourra le lire intérieurement, mais il privilégiera la lecture à voix basse, articulée. Il s’installera, idéalement, en tailleur, à même le sol, sur un tapis ou une natte, tout en s’orientant vers la Mecque. Il suivra de l’index droit les mots qu’il lira, afin que tout son corps participe à la lecture du Coran, qui est considérée comme un acte d’adoration à part entière. En certains passages, identifiés par un signe spécifique, il arrêtera sa lecture et se prosternera un instant, puis reprendra sa lecture…

L’écoute d’un lecteur spécialiste dans l’art de la cantillation coranique, peut donner un aperçu de cette dimension sacrée et cultuelle du Coran. Pour écouter le Coran, il suffit de faire une rapide recherche sur n’importe quel moteur de recherche. Nous pouvons conseiller les lecteurs suivants : Cheikh Mohammed Rif’at, Mohammed al-Menchaoui, Abderrachid Soufi, et, enfin, cheikh Abdelbasset Abdessamad dont les enregistrements en public donnent une idée de l’impact émotionnel que peut procurer le Coran sur une assemblée de fidèles.

 


[1] CORAN, Sourate LES PROPHETES, Verset 107 : « Et Nous ne t’avons envoyé que comme miséricorde pour les univers »

[2] Il pourra paraître paradoxal, ceci étant dit, que ce soient précisément ces individus qui, pour « venger le Prophète » aient fait tant de victimes en janvier 2015 à Paris. Le paradoxe n’est qu’apparent. Il suffit de voir les conséquences sur la perception négative du Prophète que ces actes ont renforcée pour s’en convaincre. Mais, plus fondamentalement, si de tels actes furent possibles, et le demeurent encore, c’est parce que ces courants rigoristes et littéralistes véhiculent une vision tronquée, erronée du Prophète. En effet, il n’est possible de tuer pour « venger le Prophète » (ce qui en soi est totalement étranger aux principes et valeurs de l’Islam) que si, préalablement, la qualité principielle, consubstantielle du Prophète, a été écartée : son incommensurable et inconditionnel amour pour tous les êtres vivants.

[3] Coran : LES PROPHETES, 107

[4] Coran : (AL-ARAF, 56).

 

2 commentaires

  1. Salam aleykoum,

    vous écrivez et insistez sur le fait que “le wahhabisme écarte tout amour ou sentiment pour le Prophète”, avez vous une citation, un écrit, quelque chose qui vient confirmer vos dires ?

    Merci

  2. Je suis tres marqué par les précisions sur les orientations surtout des non musulmans en aventure pour la lecture du coran. Je crois que nous en avions besoin pour mieux appréhender la question religieuse. Malheureusement camerounais que je suis et loin de la source linguiste, je ne peux mettre en exergue les pensées erronées de la religion dans le milieu kinois (kinshasa) où je réside présentement. Je remercie l’auteur du texte et j’espère le rencontre un jour pour le convaincre à descendre en Afrique subsaharienne pour des conférences d’orientation pour la population. L’autre grand problème étant lié au non suivi des nouveaux convertis dans mon milieux, qui deviennent les proies des croyances hors la norme notamment celles des marabouts avec des conceptions d’adoration propres aux jinns… Ce qui influence à plus de 80% la pensée communautaire non musulmane. En bref… Je prends ce texte tel que… Et je le copie dans le site internet lafrikulture.org car les africains en ont besoin. Merci encore .

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