Journée internationale contre l’islamophobie : Une bataille pour les droits civiques
Conférence de presse Bruxelles mardi 9 décembre 2014
Les organisateurs et participants de cette journée se sont rassemblés autour d’un collectif informel que nous avons baptisé le “collectif du 14 décembre”. Celui-ci s’est réuni depuis plusieurs mois pour organiser cette journée qui fait suite au Forum international organisé il y a tout juste un an à Paris.
Les organisations et associations participantes ne sont pas d’accord sur tout. Elles sont cependant d’accord sur un point essentiel, celui qui nous rassemble aujourd’hui, à savoir que l’islamophobie est devenue, en Europe, aux États-Unis et dans bien d’autres pays, le canal privilégié d’expression – et même de régénération – du racisme contemporain.
Le racisme d’État le plus caricatural, que l’on peut constater, par exemple, dans le cas des crimes policiers qui frappent durement les non-Blancs dans tous les pays occidentaux, est insidieusement revivifier par la propagation d’un racisme apparemment “plus respectable” mais tout aussi structurel: celui qui cible spécifiquement les personnes qualifiées ou regardées comme “musulmanes”.
Il nous semble qu’on ne pourra pas lutter efficacement contre le racisme si l’on refuse de regarder en face les nouveaux visages que le racisme s’est donné depuis quelques années. Persuadés qu’il faut faire reculer le racisme sous toutes ses formes, en particulier celles qui habillent le racisme de “générosité” (en instrumentalisant les principes laïques, républicains et féministes notamment), nous estimons que la lutte contre l’islamophobie s’inscrit de plein pied dans la longue tradition de lutte pour les droits civiques.
La lutte contre le racisme est indivisible, mais il est nécessaire de rappeler qui sont aujourd’hui, en Europe, les premières victimes de ce racisme : les musulmans, les Roms et les Noirs. Alors que plus aucun grand parti ne défend officiellement l’antisémitisme, alors que les formations de la droite extrême ont remplacé celui-ci par l’islamophobie, alors que les grands partis de droite et de gauche laissent régulièrement percer leur haine de l’islam et défendent les mesures prises par l’Etat (au nom de la laïcité ou au nom de la défense des femmes), ce racisme ne rencontre pas la riposte qu’il mérite.
En France, la succession des lois et propositions de lois de prohibition de l’expression religieuse musulmane (2004, 2010, circulaire Chatel, proposition de loi assistantes maternelles, crèches privées, dans l’entreprise, à l’université… Charte de la laïcité. Bandeaux, jupes et robes trop longues… Profanations de tombes, de mosquées, agressions verbales et physiques de femmes muslmanes, discours de haine… Document de l’Académie de Poitiers…).
La surenchère « laïque », « féministe », « républicaine » égrène son lot de discriminations, stigmatisations, humiliations… et dénis de droits, légitimant un racisme désormais quantifiable et identifiable (Cf. rapports de la CNCDH, d’Amnesty International, du CCIF…).
Face à ces agressions qui visent la communauté musulmane française et à leur insuffisante condamnation – médiatique, politique et citoyenne –, trois niveaux d’exigences légitimes s’expriment chez les citoyen-ne-s français-e-s de confession musulmane : la demande de justice, la demande de sécurité, et la demande de protection des libertés individuelles (éducation, école, travail, droits politiques, droit à l’égalité – y compris femme/femme…).
C’est dire l’importance de la journée internationale contre l’islamophobie qui se tient le samedi 13 décembre à l’université de Saint-Denis et, en même temps, à Londres, Amsterdam et Bruxelles, sous le titre « Une bataille pour les droits civiques ! ». Il est symbolique que cette initiative ait lieu le même jour où se mobiliseront aux Etats-Unis tous ceux qu’indigne la brutalité de la police américaine contre les Noirs et les minorités, contre la justice à deux vitesses.
La rhétorique du « eux » et « nous » remplit deux fonctions : donner un visage acceptable et une justification morale à l’islamophobie.
Les musulman-e-s de ce pays sont des citoyens de plein droit et demandent à l’institution de tenir sa promesse la plus essentielle : veiller à l’intégrité de ses citoyens et à la protection de leurs libertés les plus fondamentales.
Je veux ici et maintenant, avec vous tou-te-s, interpeler, interroger ceux qui participent à la parole et à l’action publique quant aux moyens mis en œuvre pour lutter contre ce racisme spécifique qu’est l’islamophobie afin de placer la discussion sur le terrain de l’action à venir. Du rôle que l’Etat, les médias, les organisations anti racistes et des droits humains, et les élus doivent jouer pour apporter une contribution identifiable et efficace dans la lutte contre l’islamophobie, en incluant dans le phénomène un préjudice qui dépasse la seule communauté musulmane, dans sa capacité à construire des clivages dangereux et à détruire ce qui fait société : le lien entre citoyens.
C’est de cette question que nous proposons de débattre le 13 décembre. Et cela en trois temps : une table-ronde introductive ce matin, sur le thème “l’islamophobie dans tous ses états” ; des ateliers thématiques dans la première moitié de l’après-midi qui déboucheront sur des propositions auxquelles les intervenants de la seconde table ronde, intitulée “Vaincre le racisme et (re)conquérir nos droits”, seront invités à réagir à partir de 17h. La journée se terminera avec une performance artistique à 19h.
Il est encore temps de réagir ! Mais il est déjà grand temps !
Ismahane Chouder (Participation et Spiritualité Musulmanes – Collectif Féministes Pour l’Egalité) pour le collectif organisateur France.