Un arbre bien (an)raciné

Voilà maintenant un an qu’une âme très sensible quitta le monde pour rejoindre le Créateur. Et nous traversâmes cette période, habités par la peine, les genoux à terre…. Il y eut ces larmes, ces cœurs palpitants, se blottissant les uns contre les autres.

Ces innombrables orphelins, touchés en pleine tête, en pleine tempête.

Abdesselam Yassine a su, d’une façon si singulière, joindre l’engagement à la profondeur. Il a rassemblé des croyants de tant d’horizons. Ses mots étaient d’or et ses conseils, très attendus. Après, bien sûr que l’on peut (et l’on doit) tempérer certaines réactions : quand même ce n’est pas un Prophète …Mais, difficile pour ceux qui n’ont pu, de son vivant, l’approcher de près ou de cœur, de mesurer cet attachement. Alors, s’il vous plait, laissez-nous ces instants d’amour véritablement en Dieu, ce flot de souvenir, cette époque magnifique que nous raconterons à nos enfants, à nos amis.

Mais nous avons déjà appris à faire suivre cette belle époque, par une époque encore plus belle, par une moisson de combats, de sourires et de jardins du Paradis. Nous apprîmes à rendre hommage tout en marchant, à honorer sa mémoire tout en construisant, à poursuivre la Révolution si bien entamée. Il nous attirait par ce regard, ses propos, ses écrits, tous en eurent pour leur compte. Magnétisés par une telle sagesse, transportés par tant d’amour, orientés vers tant de défis, accompagnés par des êtres d’exception, comment mettre un terme à un élan si puissant ? Comment cette dynamique amorcée voilà près de quarante ans, peut-elle s’interrompre ? Alors, nous avons tenu le coup, amorti le choc, et décidé, voilà un an de (re)faire allégeance à Dieu.

« Dieu a été satisfait des croyants qui t’ont (Mohammed) prêté serment d’allégeance sous l’arbre. Il savait quels sentiments les animaient. Aussi fit-Il naître la quiétude dans leurs cœurs, et leur accorda, en récompense, une victoire rapide »[1]

Tout près d’un arbre, tout un symbole.

Le cœur était chaud, tout comme le fer. Mais Dieu aime ceux qui font de la persévérance, sabr, leur réaction à chaud face à l’épreuve. Et puis, il y a des moments pendant lesquels se faire violence, transcender une réaction naturelle, en lui opposant une force divine est une victoire sur soi, sur ses pulsions.

Alors l’année fut intense. Le plus grand des chantiers est en soi. Repousser son curseur spirituel, relancer le goût du Rappel, des lectures coraniques, des méditations. Persister à être bon, de cœur, de caractère, être bon père de famille, bon mari, bon fils, donner, accueillir, visiter et sourire, constamment. Et analyser l’actu, les besoins, l’engagement, les luttes, rester lucides, optimistes et rassembler ses forces, ce n’est que le début. Beaucoup de choses furent réalisées, mais tout nous reste à faire. S’il faut quelquefois jeter un coup d’œil dans le rétroviseur, il ne faut jamais perdre de vue la route, souvent ascendante, parfois impraticable, qu’il nous faudra braver.

Une plante, pour s’élever dignement, avec droiture, a besoin d’un tuteur : « Et quand il eut atteint sa maturité Nous lui accordâmes sagesse et savoir. C’est ainsi que nous récompensons les bienfaisants. »[2] Donc, arrivée à maturité, le jardinier décide de détacher ce tuteur et de laisser la plante face à son autonomie, à ses choix, sa floraison, ou son dépérissement. Il y a des plantes qui n’oublièrent jamais le tuteur et tinrent honneur à se dresser aussi haut que le guide-tuteur l’indiquait.  Ces plantes se sont enracinées, par des dons, des propos ravissants, une profondeur spirituelle. La sève s’est fluidifiée, purifiée, en répétant les invocations, le programme spirituel du croyant (wird), qui tenait tant au maître-tuteur. Le tronc s’est renforcé, est plaisant à l’œil du cœur. Rassurant, nous aimons nous poser sous son ombre, quelquefois pique-niquer, nous ravitailler, d’autre fois, psalmodier le Coran ou y prier.

Mais personne n’aperçoit les larmes qui ruissellent depuis la cime pour irriguer les racines. Ces larmes qui, à chaque lever du soleil, font écho à la rosée bienveillante, qui expriment cet amour, et qui pourtant apportent  à la plante les nutriments, les fertilisants si nécessaires à la (sur)vie.

Alors la plante s’empressa de grandir suivant les saisons, le climat, et traversa les aléas climatiques. Son écorce, polie par le Coran, dégageait une chaleur qui rassurait les oiseaux de passage. Les insectes, attirés par sa lumière, y établirent des colonies. Les abeilles, flairant la richesse du nectar, la pureté de la chlorophylle, pollinisèrent et diffusèrent sa sagesse. L’arbre persista à étendre ses ramures, à y abriter de nombreuses âmes, et devint un havre de paix.

Un jour d’été, les premiers fruits vinrent à maturité. Gorgés de sucre, de jus, et à l’écorce délicate, ils attirèrent de nombreuses personnes et devinrent des cocktails énergisants pour ces assoiffés de foi. Certaines graines furent transportées par des oiseaux, et plantées en toute conscience. Elles seront tout autant utiles. Elles redonneront vie à des terres arides, par la permission de Notre Seigneur. Elles pourront être à l’origine de biosphères, de jardins enrichis, de havres de paix.

Cette image reste celle d’un homme générateur d’impulsions, d’un tuteur universel, et qui portait l’amour des hommes, du monde sur ses épaules : « Les hommes sur terre ont droit à la vérité, à Dieu …. Dieu est compatissant et le meilleur de Ses serviteurs est celui qui est le plus pénétré de compassion et d’amour pour ses semblables. »[3]

 


[1] Coran : sourate 48, verset 18

[2] Coran : sourate 12, verset 22 à propos de Youssef /sourate 28, verset 14, à propos de Moussa/sourate 46, verset 15 concerne tout le monde

[3] Extraits de « la Révolution à l’heure de l’Islam », Abdessalem Yassine

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