Une femme libérée et responsable
Le Message façonna une génération de femmes dont Aïcha, que Dieu la bénisse, est le symbole par excellence; une génération de femmes responsables et libres. L’islam a éduqué des femmes sublimes connaissant aussi bien leurs droits que leurs obligations, comprenant parfaitement leurs rôles dans la mise en œuvre de cette société de confiance. Elles s’emparèrent des mains du Prophète, paix et salut sur lui, du don du ciel qu’était leur humanité enfin reconnue, leur dignité trouvée, avec une force admirable.
On eut ainsi des figures de proue telle qu’Oum Haram. Cette grande dame de l’Islam, pour ne citer qu’elle, ne se contenta plus d’investir l’espace public en tant que croyante responsable à part entière de la vie communautaire comme tout musulman et musulmane. Elle n’hésita pas à demander au Prophète de supplier Dieu afin qu’elle meure avec un groupe auquel il avait prédit le martyre sur des terres lointaines. Le Messager, paix et salut sur lui, trouva normal de répondre à sa demande. Des dizaines d’exemples de disciples femmes du Prophète[1] pourraient être évoquées.
Il est intéressant aussi de noter que si le Paradis a été promis expressément par l’Envoyé de Dieu, paix et salut sur lui, à dix hommes de son entourage, il le fut pour vingt femmes. Quand on sait ce que représente cette promesse aux yeux d’une société se définissant d’abord comme tournée vers la Vie dernière, le statut de la femme prend toute sa signification.
Aïcha, cette personnification par excellence de l’islam, a marqué et marquera encore pour l’éternité notre mémoire. Si les compagnons lui vouaient un respect particulier, c’était sans doute parce que le Prophète (paix et salut à lui) lui portait un amour singulier mais cela n’était pas la seule cause de leur admiration.
Aïcha avait une personnalité et une intelligence hors du commun. D’une précocité légendaire, elle avait été initiée par son père à la généalogie arabe et figurait parmi les érudits de la langue et de la littérature arabes. Un grand nombre de hadiths ont été mémorisés et transmis par elle aux compagnons qui venaient, sans complexe, la consulter au sujet des questions théologiques les plus délicates.
La famille étant un cadre déterminant dans l’édification de la personnalité, on comprend que la relation de Aïcha avec ses parents ait été privilégiée. Sa naissance au sein d’une des rares familles musulmanes acquises à l’islam sans restriction, lui permit de grandir dans une ambiance où la femme n’était plus la petite chose de l’homme sexiste et machiste. Abou Bakr, son vénérable père (que Dieu le bénisse) était réputé pour son caractère très doux, sa nature très proche de la fitra (prime nature) et sa confiance absolue dans les premières déclarations du Prophète, paix et salut sur lui. N’était-il pas as-sidik ? As-sidik est un terme désignant une sorte de superlatif; le confiant à l’extrême serait une bonne traduction. N’était-il pas le Compagnon par excellence reconnu comme tel par le Coran même qui relate sa fuite en compagnie du Messager lors de sa fuite de la Mecque ?
As-sidik, confiant dans les prescriptions de Mohammad, paix et salut sur lui, n’hésita pas à répudier pour toujours cette vision typiquement arabe de la fille-malédiction. L’amour qu’il portait à sa fille Aïcha était émouvant. On nous rapporte qu’un jour que Aïcha lui tenait compagnie, il parla de Omar Ibn Khattab en ces termes :
– « Il n’existe point sur cette terre quelqu’un que j’aime comme Omar.» [2]
Se reprenant parce que Aicha sans doute avait dû faire un geste de désapprobation, il s’exclama :
-« Qu’ai-je dit ? ».
Aicha, vive comme à son habitude s’empressa de répéter sa déclaration. Il se reprit aussitôt pour lui prouver l’amour qu’elle éprouvait pour elle :
-« Je voulais dire plus sympathique à moi que Omar, ce sont mes enfants qui sont plus proches de mon cœur. »
Cette tendresse d’un père pour sa fille est une preuve criante de sainteté dans une Arabie aux mœurs rêches et acérées au point d’en être mortelles pour la femme. Abou Bakr était le digne disciple du Prophète, paix et salut sur lui qui, lui, n’hésitait pas à manifester en public son grand amour pour ses filles et notamment pour Fatéma, que Dieu la bénisse. Il avait coutume de se lever pour lui céder sa place, allait vers elle tout sourire pour l’embrasser sur le front ou lui baiser la main.
Le Prophète, paix et salut sur lui, était alors en train d’inaugurer une nouvelle ère pour la femme, l’ère du Message ; ce message qui dénonce les pratiques inéquitables subies par les opprimés du système, que ce soient les esclaves ou les femmes : « Quand on annonce à l’un d’eux la naissance d’une fille, le visage de celui-ci se noircit et son cœur se serre. L’épargnera-il (le bébé) au prix de la honte ou l’ensevelira-t-il sous terre ? Combien est exécrable leur jugement. »
Un autre verset évoquant le jour du Jugement Dernier dit : « Et quand l’enterrée vivante sera questionnée, quel crime lui aura-t-on reproché pour la tuer ?»[3]
Ainsi, grâce au Coran et à l’enseignement pratique du Prophète, paix et salut sur lui, dans sa Sounna, la communauté développa doucement une nouvelle perception du rôle de la femme en la considérant comme l’égale de l’homme aux yeux de Dieu et de son Messager, paix et salut sur lui. La spécificité de son statut ne la distingue que dans la mesure ou sa fonction familiale et sociale l’appellent à des devoirs différents de ceux de l’homme ; ce qui ne suppose aucunement une différence d’essence, de dignité ou de droits.
L’élan pris par la femme du temps du Prophète continuera avec l’avènement du califat. L’histoire nous relate des portraits de femmes de tête et de cœur qui prirent le relais de la génération des sahabiates. Nous avons d’innombrables tabi’iates[4] à la personnalité marquante, concourant avec les hommes dans le domaine du savoir et participant à la vie sociale en tant qu’actrices de l’histoire. Des noms lumineux traversèrent l’histoire des musulmans laissant dans leur sillage un éclair d’espoir et une preuve évidente pour les générations féminines à venir de l’estime dans laquelle l’islam les tient. Aicha bint Talha, Fatéma bint Sirine, Soukeina bint Housseyine, Rabiâ Adaouya et tant d’autres.
Ces femmes entières participaient activement à la vie de leur communauté, marquant de leur empreinte l’histoire de la libération de la femme amorcée par le Prophète, paix et salut sur lui; libération réconciliant la femme avec Dieu, sa foi et son rôle de bâtisseuse d’avenir.
Extrait du livre “toutes voiles dehors” de Nadia Yassine
[1] Il existe en arabe le féminin de Compagnon. On dit sahabi pour un homme et sahabiya pour une femme disciple du Prophète
[4] On appelle tabi’i ou tabi’iates, l’homme ou la femme qui font partie de la deuxième génération de l’Islam