Autour du 8 Mars…

Lancé par des militantes de l’internationale socialiste il y a 100 ans et en ce 40ème anniversaire du premier cri de naissance du mouvement de libération des femmes en France, qui se trouve correspondre ou presque avec les élections régionales, qu’en est-il du féminisme où nous avions appris à penser, dire et mettre en pratique comment le personnel est politique ?

Je pense aux déluges de réactions négatives provoquées, au sein des mouvements féministes et des partis politique de tous bords, par la candidature d’une femme du N.P.A. (nouveau parti anticapitaliste) « voilée, féministe et laïque » comme elle se définit elle-même. Ce rejet violent s’exprime au nom du féminisme, de la république, de la laïcité, de « nos valeurs » d’égalité et de liberté. Le féminisme de ce 8 mars 2010 trahirait-il ses convictions des années 70 ou plutôt exigerait-il aujourd’hui de certaines femmes, en l’occurrence musulmanes, une séparation qu’il a essayé de combattre pendant si longtemps parce qu’elle était considérée comme au fondement d’une logique d’exclusion ?

Cette candidature pose, en fait, la question du lien entre spiritualité et féminisme dont j’aimerais dire quelques mots en ces jours anniversaires où se bousculent, s’excluent mais aussi parfois se rencontrent de nouvelles diversités féministes dont Ilham Moussaïd est, pour moi, un nouveau symbole très fort.

 

FEMINISME ET SPIRITUALITÉ : UNE CULTURE DE RELATION

Dans un livre intitulé « Standing again at Sinaï », l’auteure, Judith Plaskow, juive féministe, explique la chose suivante : accepter la logique d’opposition entre féminisme et judaïsme, c’est laisser à d’autres le pouvoir d’une définition du féminisme et du judaïsme, nous mettant en demeure de choisir entre divers aspects de notre identité. Il s’agit donc de refuser cette logique d’exclusion identitaire très figée du ou bien ou bien, cette scission à l’intérieur de soi, cette séparation/ségrégation étanche aux conséquences mortelles parce que violente et totalitaire.

Parler, vivre, penser le lien entre féminisme et spiritualité, c’est donc parler, vivre, penser les outils d’une autre logique, celle du mouvement, du processus de transformation mutuelle d’une union sans confusion puisque spiritualité vient d’esprit, souffle qui transforme les oppositions statiques et les complémentarités hiérarchiques en polarités horizontales irriguées par une respiration à jamais insaisissable, inappropriable, irreprésentable. Toutes les luttes des féministes juives, chrétiennes, musulmanes sont l’expression de ce changement de paradigme dans les outils de la connaissance traditionnellement patriarcale qui n’a cessé, depuis des siècles de vouloir se rendre maître de ce souffle créateur en en faisant un masculinothéisme, ce Dieu-Un au masculin dans les représentations et pouvoirs religieux terrestres. Qu’il s’agisse de réinterprétation des textes, de leadership religieux, de langage à propos de Dieu, de transformation des rapports sociaux et familiaux, le fil commun de tous ces combats est celui d’une expérience alternative du divin en nous, autrement dit d’une respiration qui n’est plus « enrôlée » en différences hiérarchisées, mais qui nous revêt sans cesse de réciprocité dynamique.

Cette culture de la relation dans laquelle s’inscrit féminisme et spiritualité brise le monopole du masculin sur Dieu sans vouloir en faire un monopole féminin, mais travaille à la mise en œuvre d’une autre conception du monde dans son double sens de concevoir des concepts et des enfants… Concevoir et mettre au monde une théorie/pratique de la connaissance d’un monothéisme inclusif du pouvoir avec et non du pouvoir sur, forge les outils « nuptiaux » comme le dit si magnifiquement René Char, d’un bousculement lent, conflictuel et douloureux parfois, de la pensée qui hiérarchise, infériorise au nom de Dieu, non seulement les femmes par rapport aux hommes mais les femmes entre elles… la même que celle qui sépare, au nom de la « bien-pensance progressiste » le monde entre « d’un côté, les laïcs et féministes éclairés et, de l’autre, les obscurantistes ». Je cite ici un passage d’un article paru dans le monde du samedi 20 février 2010, sous le titre « une autre manière de faire de la politique, à rebours de la bien-pensance progressiste » et signé Isabelle Stengers et Philippe Pignarre, article à propos de la candidature de Ilham Moussaïd dont je parlais plus haut.

Beaucoup de femmes du monde entier participent activement à cette révolution conceptuelle qui traverse tous les niveaux de leurs différentes pratiques, du spirituel au politico-économique, social, familial jusqu’au plus intime. J’aime penser à cette internationale féministe/féminine sans frontières dont il est rendu compte dans un livre intitulé « Par delà le féminisme » paru aux éditions Charles Leopold Mayer en 2004, en ce 8 mars français terni par les débats sur « l’identité nationale » qui illustrent si bien (si l’on peut dire) cette logique binaire qui a du mal à penser l’interdépendance d’une culture de relation.

Malgré cela, et je terminerai avec Mahmoud Darwich, « je refuse l’esprit de défaite et m’accroche à l’espoir fou que la vie, l’histoire, la justice ont encore un sens. J’ai choisi d’être malade d’espoir ».

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