Histoire de la pensée réformiste pendant les trois derniers siècles
On peut aussi définir le renouveau islamique comme étant : « l’appel à dépasser les lectures et les interprétations étroites pour retrouver une lecture vivante et revivifiée du Coran et de la Sunna. » Autrement, « ré-ouvrir les portes de l’Ijtihad qui permet de retrouver la vivacité qui fut celle des premiers musulmans. »
Le renouveau islamique des derniers siècles, tel qu’il est défini par Tariq Ramadan, se base sur trois fondements essentiels :
1. L’appel à un retour aux sources (Coran et Sunna) avec le souci d’engager une réflexion en phase avec l’époque.
2. Penser et organiser la résistance face aux colonialismes politiques, économiques et culturels afin de préserver l’identité musulmane.
3. Elaborer une stratégie de type social ou politique qui puisse préserver l’unité de l’Oumma.
On peut aussi définir le renouveau islamique comme étant : « l’appel à dépasser les lectures et les interprétations étroites pour retrouver une lecture vivante et revivifiée du Coran et de la Sunna. » Autrement, « ré-ouvrir les portes de l’Ijtihad qui permet de retrouver la vivacité qui fut celle des premiers musulmans. »
Les projets de renouveau de l’Islam ne datent pas des derniers siècles: Abou Hamid Al Ghazali (5ème siècle) et Ibn Taymiyya (7ème siècle) n’ont cessé d’appeler à dépasser les débats d’écoles sclérosées et inutiles.
Enfin, tout projet de renouveau ne peut être séparé du contexte politique et social vécu par le monde musulman. Avant d’étudier toute pensée réformiste de la société musulmane, il est nécessaire de comprendre son contexte politique et social.
L’empire ottoman en déclin (1750-1924)
A partir de la fin du 17ème siècle jusqu’à 1924 (fin du « Califat »), l’empire ottoman va subir des influences, perdre des guerres et des provinces, gérer des conflits et des divisions internes qui précipitent son déclin.
Mohammed Ibn Abdelwahab (1703-1792)
C’est dans le contexte troublé du déclin de l’empire qui représentait la puissance musulmane qu’il faut situer la formulation de la pensé de Mohammed Ibn Abdelwahab en Arabie. Comme Ibn Taymiyya quatre siècles plutôt qu’il a étudié, il lui apparaît que la cause de la décadence des musulmans n’est par circonstancielle. Elle est dûe à au moins trois raisons :
1. Trahison du message de l’islam.
2. Sclérose de la pensée musulmane : on continue à chercher les solutions aux grands maux de la société dans une pensée figée depuis plusieurs siècles.
3. Le traditionalisme étroit qui accepte les innovations.
Ce qu’il faut retenir de la pensée et l’action de Mohammed Ibn Abdelwahab :
· Influencées par l’enseignement d’Ibn Taymiyya, il se servira comme Ibn Taymiyya de la force du verbe et de l’épée pour combattre ses ennemis.
· Formulation du patrimoine islamique autour de son axe fondamental qui est le monothéisme (Attawhid).
· Retour à une lecture du Coran et de la Sunna sans médiation exégétique, donc refus du traditionalisme (Taqlid) et lutte pour dépasser les disputes et les commentaires des commentaires, autrement, réactiver l’exercice de l’Ijtihad.
· L’affirmation du Tawhid est la seule issue qui permettra aux musulmans de retrouver leur énergie qui fut celle du « As-salaf ».
La pensée de Mohammed Ibn Abdelwahab tourne autour de la définition du Tawhid, prévenir du chirk qui est l’opposé du Tawhid et la lutte contre les manifestations du chirk telles que : endosser la robe soufie, visiter les tombes des saints, etc.
Vu les maux de l’empire ottoman et de la société musulmane, un tel message est trop simplificateur sur le plan politique, il manque notamment de considérations stratégiques, le contexte est différent de celui qu’a connu Ibn Taymiyya quatre siècle auparavant puisque l’ennemi est armé d’outils intellectuels ayant fait leurs preuves contre le fait religieux chrétien.
Jamal Eddine Al-Afgani (1838-1897)
L’empire ottoman ne cessa de s’affaiblir malgré la période des réformes (1838-1878) :
· Troubles dans les Balkans (perte de toutes les provinces européennes en 1878).
· Rebellions en Arabie, Egypte et Syrie.
· Sécession grecque, serbe et moldave (1830).
Diverses analyses et prises de position pour expliquer les causes du déclin. Al-Afgani était le témoin de cette période du 19ème siècle : décadence spirituelle, militaire et économique du monde musulman. Il a effectué plusieurs voyages dans le monde musulman.
A l’âge de 16 ans, il est en Iraq, puis l’Inde, la Mecque, Egypte, Istanbul, Moscou, Iran, Paris et Londres. Il termine sa vie à Istanbul.
La pensée et l’action d’Al-Afgani peuvent être résumée en ces points :
1. Un nouveau type d’action : publication de journaux, prise de position dans des débats tels que la place de l’homme de sciences dans l’histoire, prise de position politique sur les événements de l’époque à travers le prisme de l’Islam.
2. La réalisation de l’union islamique comme une fin et un objectif religieux. Cependant, il considère l’action strictement nationaliste comme une étape.
3. Le conflit avec l’occident ne relève pas du pur calcul géopolitique, mais à un rapport de référence religieux et culturel, autrement, de civilisation. Il écrit par exemple un livre « La réfutation matérialiste »
4. Opposé à l’occupation de l’Egypte. Il sera exilé en Inde.
5. Adepte d’un islam engagé, son enseignement est entièrement tourné vers la pratique. Il crée des cellules de réflexion qui sont spécialisées dans différents domaines. Il forme les écrivains capables de traiter des sujets de l’actualité.
Cette attitude et les nouveaux sujets soulevés par Al-Afgani ont crée des dissensions dans les rangs des musulmans par des querelles inutiles. Le dénominateur commun de tous n’est-il pas la référence au Coran et à la Sunna autour duquel faut-il rassembler?
Mohammed Abduh (1849-1910)
Mohammed Abduh est considéré comme un élève d’Al-Afgani. Même contexte historique que Al-Afgani : présence de plus en plus importante des anglais en Egypte et accélération de la chute de l’empire ottoman.
Il accompagne Al-Afgani pendant 15 ans en partageant avec son maître les mêmes opinions. Il diffère de lui sur deux plans :
1. Les moyens et les modalités du changement.
2. Le choix des priorités concernant l’action et la réforme.
Il met en évidence son désaccord avec Al-Afgani en disant : « Je m’étonne que les plus avertis parmi les musulmans et leurs journaux mettent toutes leurs préoccupations dans la politique et qu’ils négligent le fait de l’éducation qui est toute chose et sur lequel repose toute chose… Sayyid Jamal Eddine Al-Afgani avait des capacités impressionnantes s’il en avait usé dans l’éducation et l’instruction, l’Islam en aurait reçu le plus grand bénéfice. »
Trois aspects de son engagement seront privilégiés :
1. L’éducation et l’instruction des masses.
2. La politique des étapes à long terme.
3. La priorité au travail social sur la « haute politique. »
L’éducation et l’instruction du peuple est la seule voie à son sens qui permette aux musulmans de se libérer. Pour lui, l’éducation des masses prend une dimension politique. Il veut qu’il soit transmis à chaque musulman un minimum sur la référence islamique : Coran et Sunna, le cadre moral, Sira, etc.
Rachid Réda (1865-1935)
Cette pensée de l’action qu’ont élaboré Al-Afgani et Abduh va se diffuser, s’approfondir et s’ancrer de façon plus évidente chez les savants musulmans dans l’ensemble du monde.
Le début du 20ème siècle verra disparaître définitivement l’empire ottoman et l’apparition de mouvements laïques. Le courant réformiste islamique doit se positionner entre deux pôles :
1. Les savants « traditionalistes » : se référant à une pensée figée.
2. Les occidentalisés : amoureux de tous ce qui vient de l’occident.
L’époque est encore plus trouble, l’apparition de nouveaux courants de pensée qui sont plus dangereux pour l’identité musulmane.
On peut résumer la pensée réformatrice de Rachid Réda en ces points :
1. Son réformisme se réfère à l’Islam en acceptant les principes de l’évolution de l’histoire et des sociétés en même temps que la diversité culturelle des nations.
2. Il défend toujours la ligne réformatrice de ses prédécesseurs Al-Afgani et Abduh.
3. Il prend position pour l’idée de la ré-instauration du Califat. Sur ce point ses prédécesseurs n’avaient pas de positions fondamentales, il s’agit pour lui d’organiser les nations de façon fédérative.
Ibn Badis (1889-1940)
Après des études en Egypte où il prend connaissance de la pensée de Al-Afgani et Abduh. De retour en Algérie (1914), Ibn Badis lance le journal « Ashihab » où il dit clairement qu’il doit beaucoup à Rachid Réda et se situe dans la même ligne de pensée que Abduh.
Les principes sur lesquelles se basent sa pensée et son action :
1. L’affermissement de la foi de l’individu doit mener à la réforme de la famille qui en aval doit permettre la transformation de la société.
2. A l’opposé de Rachid Réda : La ré-instauration du Califat n’est pas une nécessité Il propose plutôt la création d’un organisme qu’il appelle « Jamâte al mouslimine » qui sur le plan international représenterait les musulmans malgré leur répartition en nations.
3. Il crée en 1931 un organisme appelé « association des savants » s’occupant à la fois des domaines politique, social et culturel.
Hassan Al Banna (1906-1949)
Durant cette période, le monde musulman est soumis à la partition, des sociétés en crise, gouvernements sous tutelle, faiblesse très avancées sur les plans économique, politique, social et culturel. La déclaration de Belfort (1917) promettant un « foyer national juif » en Palestine. La Turquie s ‘européanise et se laïcise.
La pensée de Hassan Al Banna doit beaucoup à celle d’Al-Afgani, Abduh et Rachid Réda. Il considère aussi Ibn Badis comme une référence dans la voie du réformisme.
L’apport de Hassan Al Banna est surtout d’ordre pratique :
· Il construit un mouvement rigoureusement structuré ayant la plus importante base en Egypte.
· Elabore une méthode d’éducation et d’intervention sur le champ social.
L’idée qui le motive est celle de fonder son action sur le peuple : « La voie individuelle ne peut suffire, il est nécessaire de former une opinion publique qui soutienne cette idée. Il faut constituer dans chaque village une association de gens de bien qui croient en cette mission et qui s’unissent autour d’elle et que nous appelons frères musulmans » disait-il.
Pensée de Hassan Al Banna
Quand on lui demandait pourquoi il n’écrivait pas de livres, Al Banna répondait que son objectif était avant tout de former des hommes.
A retenir de la pensée de Hassan Al Banna, les points suivants :
1. L’universalité de l’Islam : les enseignements de l’Islam sont destinés à tous les êtres humains. Les musulmans doivent œuvrer pour propager l’Islam au delà du monde musulman.
2. Ar-Rabaniya (être avec Dieu) : inscrire l’action du musulman en société dans une démarche de cheminement vers Dieu. « Etre au monde », « agir dans le monde » c’est avant tout approfondir sa relation avec Dieu : être avec Dieu.
3. Globalité : l’Islam est une organisation complète qui englobe tous les aspects de la vie. C’est un état, une nation, un gouvernement, une communauté, culture et juridiction, une morale, une force, une science, lutte dans la voie de Dieu, un appel à Dieu, une armée, une pensée, une croyance sincère, une adoration.
La pensée de Hassan Al Banna est surtout une pensée pragmatique orientée vers l’action.