Concepts qui gèrent la relation de couple dans le Coran

Ce texte est l’intervention de Hajer Missaoui, juriste, professeur de religion et présidente de l’association TETE, lors de la journée commémorative de la vie et l’œuvre d’Abdessalam Yassine, puisse Dieu l’accueillir dans Sa miséricorde, organisée sous le thème « Pour un universel féminin partagé ».Il apporte quelques notions coraniques tirées du verset 34 de la sourate « les femmes », au service d’une vison égalitaire dans la relation de couple.

La parole de Dieu n’est pas neutre. Elle porte un dessein pour l’humanité. Un projet universel qui doit se conjuguer aux particularismes humains tant à travers un processus d’adhésion que  d’identification.

La lecture du verset 34 de la sourate « les femmes » n’échappe pas à cette loi divine. Une connaissance vraie exige d’en saisir la raison d’être, l’interprétation téléologique. L’exercice est éminemment difficile. Que l’on soit sur le débat d’idée ou sur la discussion procédurale, les approches paradigmatiques ne sont pas les mêmes et de là peuvent naître des incompréhensions et des confusions.

En effet, une théorie, un discours qui ambitionne une visée supérieure ne rend pas toujours compte de la réalité des situations. Et la réalité bien qu’elle apporte de la nuance, de la précision voire même une ouverture de perspective, du fait qu’elle est sillonnée de subjectivités humaines, peut manquer de donner sens aux luttes qui la traversent.

On a tous un idéal, des principes intangibles et non négociables, dans le cas qui nous intéresse ici, sur le statut et la condition des femmes. Mais dans le quotidien des exemples abondent dans le sens contraire, les réalités des situations font parfois mentir le principe. Comment trouver le point d’équilibre où les moyens sont au service de leurs causes? Le discours divin opère cette combinaison. Faut-il encore le comprendre!

Ibn al Qayyim (paix à son âme), un éminent juriste musulman, écrit dans i’lâm almuwâqi’în : “L’idéal est une chose et le réel est une chose. Le (bon) juriste (le bon analyste) est celui qui fait le lien entre idéal et réel et applique l’idéal en fonction ou à partir des possibilités. Ce n’est pas celui qui provoque l’inimitié entre idéal et réel”[1]

Le verset 34 illustre ce nivelage à travers la finalité vers lequel tend ce verset (coopération/équilibre/plénitude dynamiques entre époux) confrontée à la réalité qu’il discute (gestion non violente du conflit et de la rupture).

Mais ce n’est pas le seul intérêt de ce verset dont tout l’enjeu réside dans le rôle que l’appréhension[2]  de ses termes (la façon dont ils sont compris) et des univers qu’ils projettent (la façon dont ils sont répercutés) joue dans la structuration des mécaniques mentales et des usages sociaux relatifs à la condition des femmes tant dans le microcosme du foyer que la macro sociale.

Autrement, les mots ont du pouvoir, un pouvoir structurant la pensée comme les pratiques. Soit le schéma que les mots induisent ou induiraient soit le schéma par lequel on fait parler les mots participe à architecturer quelque chose, c’est un véritable dispositif d’ingénierie. Participe à architecturer quoi ? En l’occurrence ici une vision, voire une imagerie identitaire des relations femmes/hommes.

Généralement,  celles et ceux qui ont une vague ou malveillante ou réductrice compréhension de ce verset, l’associent inopportunément à la légitimation d’une certaine violence conjugale. C’est faux !

Je vais vous demander le temps de notre exercice non seulement de vous débarrasser de cette représentation mais également de vous promener avec moi dans des contrées linguistiques, culturelles et cognitives inhabituelles.

Il est impossible de comprendre le Coran sans se référer au texte originel en langue arabe (bilissânin arbiyyin moubbin), sans se référer à l’usage qui est faite de cette langue (aousloub al arab) à l’époque de la révélation et sans déchiffrer le projet divin dans lequel s’inscrit la dialectique entre le Texte et le contexte.

Le déchiffrage du projet divin quant à lui exige de se familiariser avec le contexte historique et l’environnement culturel sur lequel s’est posée pour la première fois la révélation afin de saisir comment cette société-là a compris le message et a concrètement répercuté sa dynamique universelle dans sa vision et sa réalité.  

Quand le prophète Mohammed (paix sur lui) reçoit la révélation, certes universelle, il doit donner corps à certains commandements dans un contexte culturel spécifique, ceci à partir de ce qui est mobilisable dans cette société. Chaque société suivante fera de même avec ce qui est mobilisable en son temps auquel cas elle trahit le message.

Attention, il ne nous est aucunement et certainement pas demandé de sacraliser des standards culturels du 7ème siècle mais de distinguer les finalités du message de ses aspects formels et fonctionnels qui sont une construction humaine, qui sont le produit d’une société donnée et ancrée culturellement.

Ce travail à sa base, je dis bien à sa base, ne peut se faire à partir de nos standards actuels au risque de porter des jugements a posteriori. Nos codes contemporains interviendront au moment où il s’agira pour nous de faire sens, au présent, de la dynamique réformatrice du message.

En la circonstance de la révélation, qu’est-ce qu’on observe au sujet de la condition féminine, c’est la réforme vers une meilleure condition. Aussi, le dénominateur commun de toutes les cultures qui sont et seront traversées par l’islam au sujet des femmes doit être la réforme vers une meilleure condition. Et la condition d’hier n’est pas la condition d’aujourd’hui. La réforme d’hier n’est pas la réforme d’aujourd’hui.

La meilleure des démonstrations étant l’illustration, je vous propose d’étudier le processus qui est à l’œuvre dans l’émergence de cette conception moderne de la place des femmes à travers le verset 34. Je ne vais pas faire un cours de théologie, je ne suis pas théologienne, ni un cours d’exégèse, je ne suis pas exégète mais vais dépister avec vous les deux visions qui s’affrontent dans la lecture de ce verset mais dont une seule répond à l’orientation divine.

Je vais dans un premier temps nous «électrochoquer», ce mot n’existe pas mais les effets de ce que je vais vous lire seront bien réels quant à eux. Voici une interprétation/traduction assez courante bien que fausse de ce verset que je vous proposerai sous une autre version après un retour au texte originel.

La version qui tue : «Les hommes ont autorité sur les femmes, en raison des faveurs qu’Allah accorde à ceux-là sur celles-ci, et aussi à cause des dépenses qu’ils font de leurs biens. Les femmes vertueuses sont obéissantes (à leurs maris), et protègent ce qui doit être protégé, pendant l’absence de leurs époux, avec la protection d’Allah. Et quant à celles dont vous craignez la désobéissance, exhortez-les, éloignez-vous d’elles dans leurs lits et frappez-les. Si elles arrivent à vous obéir, alors ne cherchez plus de voie contre elles, car Allah est certes, Haut et Grand !»

On vient de vivre le pire. Maintenant décortiquons.

«Les hommes ont autorité sur les femmes…»

Le premier concept qui s’offre à l’analyse est celui de la qiwâma traduit dans cette vision/lecture par autorité mais qui signifie en réalité dans la langue arabe : qâma bi chay-in assumer, être responsable de. Le sens de la  qiwâma est protection, préservation, prise en charge morale et matérielle. La signification impérieuse de ce terme est «être chargé d’une mission, d’une responsabilité» et non pas chargé de pouvoir. Le verset précise que cette responsabilité est d’ordre financier mais cela n’exclue pas les devoirs moraux et éthiques de l’époux rappelés dans de nombreux autres versets et hadith.

Attention, ce devoir dans le chef de l’homme n’institue pas des rôles. Il ne s’agit aucunement d’attribuer des rôles ou des espaces de mobilité comme c’est souvent compris. Ce n’est pas la femme = foyer, L’homme = travail. Ce n’est pas un avantage que de se prévaloir de la qiwâma, c’est un devoir qui consacre la reconnaissance d’un droit social et économique inaliénable à l’épouse, en cas de conflit comme de paix dans le couple. L’homme ne peut pas aller en deçà et pour le reste, le couple fonctionne librement (travailler, partager les charges financières, etc.). Si la femme ou la situation l’exige, l’homme doit assumer ce minimum. Dieu prémunit la femme contre la tendance à l’avarice de  l’homme.[3]

« en raison des faveurs que Dieu accorde à ceux-là sur celles-ci »

Il est insolite à partir de ce bout de verset de comprendre que Dieu a favorisé les hommes par rapport aux femmes, car rien ne le laisse à penser dans la formulation en arabe. Trois lectures sont possibles.

(1)               Les deux sujets contenus dans ba’dahoum  et ba’d concernent uniquement les hommes selon Tahar ibn ‘achour[4] qui en fait l’analyse grammaticale poussée et indiquent une différence de situations, de capacités et de moyens entre les hommes eux-mêmes. Aucune hiérarchie Hommes/femmes n’est établit.

(2)               Les deux sujets contenus dans ba’dahoum et ba’d concernent les hommes et les femmes dans la réciprocité selon les exégètes classiques Az-zamakhcharî.et Al Qortobî. Le houm contient les femmes et les hommes ainsi que le ba’d dans une réciprocité servant à potentialiser la dynamique de couple.  «en fonction des bienfaits que Dieu accorde aux femmes par rapport aux hommes et aux hommes par rapport aux femmes.» Pour preuve le verset 71 de la sourate 9 qui utilise la même formulation. Aucune hiérarchie Hommes/femmes n’est établit.

(3)               Le premier sujet concerne les hommes tandis que le second concerne les femmes selon Tabarî, mais le sens dans le contexte du texte servirait à expliquer la raison qui impose sans discrimination ce devoir aux hommes.

Aucune hiérarchie Hommes/femmes n’est établit.

Ce verset est en quelque sorte un véritable plaidoyer pour l’égalité au sein du couple car il la métaphore en la plaçant au service de la diversité ; l’égalité n’ayant de sens que parce qu’elle s’applique à des individus différents. Des différences, s’il y a, qui n’ont pas vocation à être hiérarchisées ou servies comme prétentions «métaboliques»[5] à la servitude des femmes faisant d’elles les otages d’un système de neutralisation ou de domination. Mais des différences qui ont vocation à coexister en toute égalité dans le but de potentialiser les ressources du couple.

Avec cette autre lecture, on change d’univers, on passe d’une relation de subordination à une relation d’égalité « An-nissa chiqâqou ar-rijal »«Les époux ont la responsabilité de mettre leur force et leur ressources dans la défense et la prise en charge du foyer entendu au service de la construction et du maintien de l’entité familiale.»

Grammaticalement et syntaxiquement, ce début de verset est un moubtada’, un début d’information qui nécessite d’être complété. Si l’on comprend ce moubtada’ comme instituant une hiérarchie entre les hommes et les femmes, il n’y a rien d’étonnant au face à face qui est fait entre les deux notions qui suivent : nuchuz et tâ’a dans le sens de désobéissance et d’obéissance. Mais si l’on comprend ce début de verset à l’aune de l’égalité, il n’y a plus de face à face mais deux êtres égaux, bien que différents, qui côte-à-côte, décident et construisent ensemble leur propre identité de couple.

« Les femmes vertueuses sont obéissantes (…) Et quant à celles dont vous craignez la désobéissance (…) Si elles arrivent à vous obéir (…) »

Les deuxième et troisième concepts sont ceux de la tâ’a et du nuchuz[6] que je présente conjointement car ils s’opposent dans le verset.

Le terme tâ’a exprime la coopération, la disposition, la disponibilité, la spontanéité, la complaisance, la docilité, le fait de se prêter volontiers à quelque chose, etc. tandis que le terme de nuchuz a le sens de discordant, irrégulier, saillant, intraitable, inconciliant, se dresser au-dessus, choquer, offenser, s’irriter.

L’état de nuchuz couvre autant un sentiment de supériorité, une situation de non concertation qu’un comportement anormal. L’état de tâ’a couvre quant à lui celui de la coopération volontaire sur la base d’une conviction libre. La tâ’a vu comme l’antonyme de nuchuz signifie convaincre et non vaincre. Il y a une différence entre obéir dans la contrainte et revenir/collaborer en toute conviction.

L’obéissance pour tâ’a comme la désobéissance pour nuchuz est une mauvaise compréhension et traduction qui ne rend pas le sens de retour spontané à la collaboration au sein du couple d’autant que dans le verset 128 de la même sourate, le terme de nuchuz est également employé pour l’homme. S’il s’agit de désobéissance, un coup c’est l’homme qui désobéit, un coup c’est la femme, alors qui obéit à qui? C’est un non-sens.

La meilleure façon d’expliquer le Coran est par le Coran lui-même. Voici le sens de tâ’a dans d’autres versets :

قُلْ أَنفِقُواْ طَوْعاً أَوْ كَرْهاً لَّن يُتَقَبَّلَ مِنكُمْ إِنَّكُمْ كُنتُمْ قَوْماً فَاسِقِينَ

9/53 «Dis : “Dépensez bon gré, mal gré : jamais cela ne sera accepté de vous, car vous êtes des gens pervers».

أَفَغَيْرَ دِينِ ٱللَّهِ يَبْغُونَ وَلَهُ أَسْلَمَ مَن فِي ٱلسَّمَٰوَٰتِ وَٱلأَرْضِ طَوْعاً وَكَرْهاً وَإِلَيْهِ يُرْجَعُونَ

41/11 «Désirent-ils une autre religion que celle d’Allah, alors que se soumet à Lui, bon gré, mal gré, tout ce qui existe dans les cieux et sur la terre, et que c’est vers Lui qu’ils seront ramenés ?»

ثم ٱسْتَوَىٰ إِلَى ٱلسَّمَآءِ وَهِيَ دُخَانٌ فَقَالَ لَهَا وَلِلأَرْضِ ٱئْتِيَا طَوْعاً أَوْ كَرْهاً قَالَتَآ أَتَيْنَا طَآئِعِينَ

3/83 «Il s’est ensuite adressé au ciel qui était alors fumée et lui dit, ainsi qu’à la terre : « Venez tous deux, bon gré, mal gré.» Tous deux dirent : « Nous venons par nous-mêmes obéissants. »

Les termes de kourh et tâ’a sont antithétiques dans les versets. Kourh : à contrecœur, avec peine, ressentiment, dégoût, exécration. Taw‘ : volontairement, de bon cœur, esprit coopératif.

Dans d’autres versets, Dieu s’adresse au prophète Mohammed (paix sur lui) avec le même verbe dont voici le verset 8 de la sourate 68 :  فَلاَ تُطِعِ ٱلْمُكَذِّبِينَtraduit par :«ne te laisse pas convaincre (et non n’obéis pas) par ceux qui te démentent”. Dans des versets à la formulation  similaire, le sens est également : se laisser convaincre, composer, coopérer.

وَمن ‘تَطَوَّعَ خَيْراً فَإِنَّ ٱللَّهَ   شَاكِرٌ عَلِيمٌ

2/158 «Et quiconque fait de son propre gré une bonne œuvre, alors Dieu est Reconnaissant, Omniscient.»

Donc la tâ’a, c’est revenir volontairement à la coopération, à de meilleurs sentiments, etc. et non l’obéissance. Le nuchuz n’est pas la désobéissance mais la non coopération et la mauvaise cohabitation.

Maintenant que le cadre relationnel égalitaire au sein du couple est posée, comment interpréter la suite, la fameuse phase du darb, alors que nous sommes toutes et tous d’accord sans ambiguïté que l’époux n’a aucun droit de frapper ou de battre ou de corriger sa femme.

«Et quant à celles dont vous craignez la désobéissance, exhortez-les, éloignez-vous d’elles dans leurs lits et frappez-les.»

La révélation qui dure vingt-trois ans s’effectue d’abord à la Mecque, puis à Médine. Ces deux environnements sont sensiblement différents par rapport à leur vision des femmes et surtout à la place qu’elles occupent. Citons Omar’ bnou al khattab : « Par Dieu, à l’époque païenne nous n’accordions aucune importance aux femmes ; cela cessa lorsque Dieu fit des révélations à leur sujet, et indiqua ce qui devait leur revenir…» (Rapporté par Boukhâri et Muslim). Une autre version donne : « A l’époque païenne, nous comptions les femmes pour rien ; mais lorsque vint l’Islam et que Dieu les mentionna, nous sûmes qu’elles avaient des droits sur nous. Néanmoins, nous ne leur permettions pas de se mêler de nos affaires. » (Rapporté par Muslim)

Avec l’avènement de l’Islam, une première révolution se produit : « … elles avaient des droits sur nous… » ; « Dieu (…) indiqua ce qui devait leur revenir… ». Le Coran contient à ce propos environ 300 versets qui mentionnent explicitement la femme, tous sujets confondus, et une partie de ces versets a pour objet la restitution de ses droits.

Néanmoins, malgré cette grande avancée, la société Mecquoise demeure fortement patriarcale. Ce n’est qu’à Médine au contact d’une autre culture que les lignes bougent. Écoutons à nouveau ‘Omar (que Dieu soit satisfait de lui) : « … Les gens de Qoraïch avaient le dessus sur leurs femmes. Lorsque nous arrivâmes chez les Ansâr, nous trouvâmes un peuple dominé par les femmes, et voilà que nos femmes se mirent à adopter les manières des femmes des Ansâr. Comme j’invectivais ma femme, elle me répondit sur le même ton. Je le lui reprochai, et elle me répondit : « Pourquoi me reproches-tu de te répondre ? Par Dieu, les femmes du Prophète (paix sur lui) lui répondent, et l’une d’elle le boude toute la journée jusqu’à la nuit. » Je fus troublé par ces nouvelles… » (Rapporté par Boukhâri et Muslim)

Selon Ibn hajar al-Asqalâni dans son Fath al-bâri, commentaire de la compilation de Boukhârî, vol. 11, p. 202 « … Le hadith indique qu’il est blâmable d’être trop dur envers les femmes, car le Prophète (paix sur lui) a adopté l’attitude des Ansâr envers leurs femmes et abandonné celle de sa tribu. »

Pourtant, la réaction spontanée de ‘Omar ibn al-khattab consiste à reprocher à son épouse la liberté qu’elle prend à lui donner des «conseils » et donc à exercer d’une certaine façon une forme de liberté d’expression et d’opinion ; il n’en a pas l’habitude, c’est absolument neuf pour lui. Son épouse, quant à elle, réplique à nouveau et poursuit la discussion en lui opposant un argument incontournable : l’acceptation de ce mode de communication entre conjoints par le Prophète (paix sur lui) dont elle prend la conduite à témoin. ‘Omar (que Dieu soit satisfait de lui) ira vérifier ![7]

Quelle est alors la conduite du prophète (paix sur lui) concernant les pratiques que les hommes avaient de frapper leurs épouses? Le prophète (paix sur lui) a interdit de frapper les femmes, il était leur plus actif défenseur et il reste pour toutes les musulmanes et tous les musulmans qui tendent à suivre son exemplarité le modèle par excellence. Ses propos sont clairs : « ne frappez pas les servantes de Dieu.»[8] Ou encore « Comment l’un d’entre vous peut-il frapper son épouse comme on frappe une bête alors qu’ensuite il se peut qu’il partage une intimité avec elle ou l’embrasse. » (Rapporté par Boukhâri)

Cette position du prophète (paix sur lui) a fait suite à de nombreuses plaintes qui lui étaient remontées : « De nombreuses femmes sont venues se plaindre de leurs époux auprès de la famille de Mohammed, vous n’êtes les meilleurs des nôtres.» (Rapporté par Abou Dawoud)

Si le verset autorise le darb au sens de frapper, comment expliquer que le prophète (paix sur lui) tiennent ces propos qui donnerait à penser qu’il se place en porte-à-faux avec le verset. C’est parce qu’il (paix sur lui) a bien compris que ce n’était ni une légitimation de la violence telle que pouvaient la concevoir certains hommes de l’époque ni un mode d’emploi du comment battre islamiquement sa femme. Mais qu’est-ce donc ce darb ?[9]

Une parole du prophète (paix sur lui) évoque un «darban ghayra moubarrih»[10] «un darb qui ne fait pas mal ». Cette information est très précieuse. Elle disqualifie l’aspect violent physique ou psychologique[11] du darb. Elle explique que le darb n’est pas un moyen mais un état d’esprit. On apprend aux hommes, face au nuchuz de leur épouses, c’est très circonscrit, qu’ils ont en dernier recours la possibilité d’entrer en conflit, de faire preuve de caractère et de s’opposer à leurs épouses mais sous un autre mode que celui de la violence. On apprend aux hommes à entrer en conflit au lieu de réagir par la violence. Par tout cela, le prophète (paix sur lui) fait comprendre à certains de ses compagnons qui ont compris le darb comme frapper qu’ils se sont trompés.

C’est pourquoi des savants tel ‘atâ bnou abî rabbah, un successeur,[12] élève de ‘abdallah bnou abbâs et ‘abdallah bnou Omar, résume cette étape d’opposition dont parle le verset dans sa parole suivante : «la yadribouhâ wa in amaraha wa nahaha falam touti’hou wa lakin yaghdab ‘alayha.» «Il ne la frappe pas quoi qu’il lui reproche mais peut se fâcher contre elle.»

Nul besoin de le dire, pour les esprits avertis, que l’approche pédagogique du texte ne remet aucunement en cause l’interdiction absolue de faire violence aux femmes, et ce, qu’elle que soit le rythme ou le niveau d’éducation auquel parviennent certains hommes.

Voici comme promis un essai d’interprétation plus fidèle au texte :

«Les hommes ont la responsabilité de mettre leur force (physique/morale) et leur ressources au service de la prise en charge du foyer entendu au service de la construction et du maintien de l’entité familiale. Les femmes qui ont la droiture religieuse et agissent par le bien sont tout aussi dévouées et garantes de la cohésion du foyer. Mais les femmes dont vous appréhendez une attitude de non coopération, procédez par étapes : dialogue, distanciation, opposition. Si elles reviennent volontairement à une coopération saine dans le couple, alors il vous est interdit de leur en tenir rigueur à moins de ne tomber à votre tour dans l’injustice.

En conclusion, tout libellé scripturaire a deux facettes, le texte et la compréhension du texte. Faire fi des outils de la rhétorique arabe, de la théorie (fondements et philosophie) du droit, de la dialectique avec les autres textes et des principes de la charî’a revient à ne pas comprendre le texte, voire à nier sa signification profonde.

Dieu Seul est Le plus Savant.

Puisse Dieu illuminer nos esprits et nos vies au rythme de Sa miséricordieuse Parole.

 


[1] Tome 4, p. 169

[2] Le prophète Mohammed (paix sur lui) a dit : « Cette science est portée par les justes de chaque génération ; ils réfutent les altérations des extrémistes, les errances des négateurs et les interprétations des ignorants » 

 ” يحمل هذا العلم من كل خلف عدوله ينفون عنه تحريف الغالين وانتحال المبطلين وتأويل الجاهلين ” . رواه البيهقي

[3] cf.  verset 128 de la sourate 4 qui parle de l’état de nuchuz de l’époux.

[4] Tafsir at-tahrîr wa at-tanwîr

[5] Pour ne pas dire diabolique !

[6] Nuchuz et darb conflit de couple et violence conjugale dans le Coran, Djamel Djazouli

[7] Le temps d’une vie : une vision évolutive de la « femme » selon la pensée et l’action de ‘Omar ibn al-Khattab, article de Hajer Missaoui

[8] «lâ tadhriboû amâ Allah»

[9] Nuchuz et darb conflit de couple et violence conjugale dans le Coran, Djamel Djazouli 

[10] Sermon d’adieu (rapporté par Mouslim)

[11]Dans d’autres hadith, interdiction est faite d’humilier les femmes.

[12] Tâbi’î (génération savante venant après celle des compagnons)

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