Entre engagement associatif et cheminement spirituel : constats et interrogations !
« Notre problème est un problème de spiritualité. Si un homme vient me parler des réformes à entreprendre dans le monde musulman, des stratégies politiques, des grands desseins géostratégiques… Ma première question sera de lui demander s’il a effectué la prière d’avant l’aube (al-fajr) à son heure… » (Said Ramadan, paix à son âme)[1]
Mon souci majeur tout au long de cet article est d’interpeller d’abord mon propre engagement, puis d’ouvrir un dialogue avec mes frères et sœurs acteurs musulmans en France sur le sens que nous donnons à notre engagement, la nature de nos motivations les plus intimes et la réalité de nos profondes aspirations.
Derrière ce choix, il y a le souhait sincère et fraternel de sortir de l’ombre certaines questions essentielles qui concernent à la fois notre devenir personnel auprès de Dieu en tant qu’individu et notre vocation en tant qu’œuvre collective. Des questions ô combien importantes que les urgences du moment, légitimes ou non, ne nous laissent pas méditer et approfondir.
Certains penseront qu’il s’agit d’un sujet classique, voire d’un faux débat, censé être clos dés lors que chacun affirme, sans ambiguïté, aucune la nécessité de l’éducation spirituelle comme fondement même de toute dynamique musulmane. Mais cette affirmation qui arrive souvent comme une réaction épidermique et superficielle ne cache-t-elle pas une autre réalité toute aussi évidente ? A savoir la misère spirituelle, le décalage insupportable, la déception et l’épuisement de beaucoup de nos frères et sœurs, à bout de souffle, après plusieurs mois ou années de travail islamique acharné, qu’ils n’ont, hélas, point accompagné d’une réelle vie de cœur et d’une vraie évolution spirituelle.
La réalité que nous occultons est que certains de nos frères et sœurs n’existent désormais qu’à travers une présence publique, une vie associative et militante, un agenda de rendez-vous et souffrent d’un déficit de vie spirituelle intime, de moments de « vie privée » spirituels.
Les grands rendez-vous spirituels et du cœur finissent par disparaître progressivement : « les minutes précieuses de la nuit » et son dernier tiers, le jeûne des lundi et jeudi, le Ramadan et les dix derniers jours de retraite, le Coran et les cinq prières, la souvenance de Dieu et la prière sur le Prophète, paix et salut sur lui, la présence dans la mosquée et les assises de la foi…
Progressivement on finit par perdre ces repères de lumière qui enracinent le fidèle dans la terre de la piété et tourner le dos à cet agenda prophétique et on sombre dans un activisme épuisant et un engagement sans âme !
Si l’attachement à la Spiritualité apparaît évident voire même revendiqué par tous, ce qui est un acquis considérable, force est de constater que « les facteurs d’érosion » finissent par triompher sur les intentions originelles qui animaient nos premiers pas vers l’Islam !
La nature de l’engagement militant et la définition profonde de la dynamique associative musulmane sont des questions qui méritent d’être traitées en profondeur.
En effet, ce malaise, parfois ce mal être et ce vide spirituel ne sont pas seulement le résultat d’un relâchement du cœur ou de l’absence d’un discours spirituel qui rappelle à chacun ses responsabilités individuelles en la matière. Une telle analyse réduirait le problème à une dimension individuelle. Or ce décalage trouve son explication surtout dans le sens que les acteurs donnent collectivement au travail islamique, dans l’orientation qu’ils lui assignent et l’environnement qu’ils arrivent à offrir à eux mêmes et à toute cette jeunesse musulmane assoiffée de spiritualité.
C’est une affaire et une responsabilité collectives qui doivent réintégrer l’ordre du jour de nos priorités.
Le constat est particulièrement triste : à une jeunesse en quête d’une grande spiritualité et à la recherche d’un cheminement de cœur, on propose un engagement associatif, des défis de société à relever, une vigilance citoyenne à développer, un éveil politique à approfondir.
Ce n’est nullement une manière de fuir le combat que de se réclamer d’une haute spiritualité et d’un attachement réel à Dieu, mon propos n’étant pas une invitation à fuir le monde ni à démissionner devant les « défis de l’Histoire » car la Spiritualité musulmane est aussi un témoignage, une présence, une résistance au cœur de la mêlée, une préparation permanente pour une vie au service des hommes et parmi les hommes. Pour l’amour de Dieu !
Le Modèle du Prophète et de ses compagnons ne représente pas un projet de salut individuel indifférent à la condition humaine des hommes. Harmonisant haute spiritualité et participation active, ce modèle est la majestueuse illustration du cheminement double qui conjugue projet individuel et œuvre collective, qui intègre le projet du salut collectif comme témoignage et de participation dans le projet du salut individuel comme quête de Dieu et recherche de l’Ihsan (le bel agir).
Une lecture attentive du Modèle Prophétique, paix et salut sur lui, s’impose pour prendre conscience de cet équilibre, de cette vraie intelligence des priorités ; ainsi que pour découvrir le secret et les principes de l’éducation spirituelle sur la voie du Prophète, paix et salut sur lui.
A ce titre, Abdessalam Yassine affirme que « la redécouverte du modèle prophétique et l’ouverture à ce modèle permettra surtout aux nouvelles générations de voir comment l’islam propose les solutions aux problèmes globaux de l’Homme en lui montrant comment mettre fin à ses problèmes existentiels par le même mouvement qui le porte à combattre les malheurs physiques et sociaux »[2]
Le même mouvement doit nous porter vers Dieu et vers une présence significative et efficace dans le monde parmi les hommes.
Il précise que « les questions de fond doivent être posées en parfaite correspondance avec les questions de méthode. « Pourquoi faire bonne œuvre ? » est la question sœur de « Comment acquérir la foi et monter vers Dieu ? »[3]
L’éducation spirituelle n’est pas quelque chose qui s’improvise, elle n’est pas une affaire de programmes et de formations, pas plus qu’une amusette culturelle et un « nomadisme » dans les forums, les congrès et les colloques…
Une grande partie de la jeunesse musulmane sincère et motivée demeure pourtant sans réponse sur le comment du cheminement. Elle souffre de l’absence de visibilité sur les questions de la spiritualité et de l’éducation. D’où le vide spirituel, les grandes déceptions et les dérives d’une partie de cette jeunesse.
Nous avons grandement besoin de clarté pour que la vision de notre islam, de notre spiritualité, de notre participation, de notre projet global ne soit pas trouble à nos yeux.
L’Éducation spirituelle n’est pas une chose qui s’improvise, elle doit être pour chaque aspirant à Dieu un projet de longue haleine, un projet de vie, une recherche constante qui suit une méthode authentique, vise des objectifs clairs, exige des conditions et repose sur des fondements.
Le devenir de chacun d’entre nous après la mort et sa place auprès de Dieu sont des questions trop importantes et trop sérieuses pour se contenter d’idées vagues et superficielles. Il faut échapper à l’abrutissement qu’exerce sur nous le tapage du monde, à la précipitation de la vie superficielle centrée sur la vie d’ici-bas et à l’agitation des lectures culturelle, littéraliste et « militante » de l’Islam.
Méditer en profondeur l’exemple du Prophète, que la paix soit sur lui, c’est le stade préparatoire à l’élaboration d’un projet, au choix d’une méthode, à l’exécution d’un programme. Redécouvrir le secret de son éducation constitue une condition sine qua non pour entrer dans les sphères de « l’iman » et de « l’ihsan », pour entreprendre le voyage vers Dieu, vers les plus hauts sommets de la foi d’un pas sûr et déterminé.
Il faut échapper avec intelligence tout en restant vigilant, au diktat des urgences du moment et prendre le temps pour que, à contre-courant, chacun de nous regarde à son propre compte et réfléchisse sur l’état de son cœur et de sa relation avec son Seigneur. L’engagement sur les fronts extérieurs ne doit pas se faire au détriment de l’effort qui doit se faire sur le front intérieur. L’investissement pour le salut collectif ne peut être considéré comme un effort pour Dieu que lorsqu’il se fait au nom et dans la continuité de la quête réelle de Dieu et la recherche de Son amour.
Le Message spirituel de l’Islam est un défi à la volonté comme à l’intelligence. Pour être transmis et bien compris, il exige une curiosité du cœur, une prédisposition au changement et une soif de Dieu. Le premier pas vers Dieu pour tout candidat aux sphères de l’iman et de l’ihsan est coûteux. Il n’y a pas plus facile ni plus stérile que de labourer dans l’eau.
Je réaffirme en guise de conclusion que ce sont mes propres engagements et sincérité que je remets en cause, et non ceux des autres. En effet, un profond respect pour tous les frères et sœurs anime ici ma volonté de partager avec eux ces soucis et ces interrogations.
Puisse Dieu le Clément le très Miséricordieux guider nos pas vers Lui pour que nous ne cherchions que Lui et que nous n’espérions que Sa Miséricorde et Son Agrément.
[1] Gendre et héritier spirituel du fondateur des Frères musulmans Hassan El Banna
[2] Abdessalam Yassine, La Révolution à l’heure de l’Islam, page 49
Cest un message ö combien necessaire que u nous livre dans cette réflexion.
A nous à présent de méditer…et d’appliquer pour l’amour de Dieu
Barakallahoufik.
MachaaLlah… Comment faire pour une plante sans l’arroser d’eau… Baraka Llahou fik pour ce rappel très pertinent.
aslam alaycom
tres belle leçon de spiritualité également riche en conseils. Chaque musulmane militants associatif ou pas se doit d’apliquer une éducation spirituel car celle-ci procure au coeur une dynamique, un soufle est une énergie débordante de milles et une belle intention. le moteur de la vie est le coeur , et sont carburant et la spiritualité.
baraka allaho fik