Les musulmans de France et le devoir d’autocritique
La présence musulmane en France traverse une crise sans précédent et doit faire face à un tournant de son histoire. Les rapports des musulmans avec l’État et la société n’ont jamais été aussi chaotiques et complexes et tout porte à croire que cette séquence de grande tension sociétale ne va pas s’apaiser d’ici peu.
Pour schématiser une situation complexe, on peut dire que les musulmans sont pris en tenaille entre d’une part les défenseurs d’un laïcisme intégral qui masque en réalité une islamophobie d’État et d’une bonne partie des élites françaises en proie à d’anciens démons ; et d’autre part, les porteurs par conviction, complaisance ou inconscience d’une vision archaïque de la religion musulmane et d’un héritage théologique, dogmatique et jurisprudentiel sclérosé qui participe à l’auto-exclusion des musulmans quand il n’alimente pas lui-même cette peur de l’islam.
Or, ces deux formes de crispations identitaires et de systèmes de pensée fermées que certains instrumentalisent pour maintenir leur pouvoir, leurs intérêts et leur dominance, se nourrissent l’un l’autre comme l’autoritarisme et le terrorisme s’alimentent mutuellement partout dans le monde.
Face à cette équation, les musulman(e)s doivent se regarder sans complaisance pour s’affranchir de ces deux formes de sujétion par une lecture nouvelle et un projet global de renouveau, d’émancipation et de participation.
Si beaucoup d’articles ont été consacrés à la critique des dérives autoritaires, liberticides et anti-démocratiques d’une partie de la France ces dernières années, le discours critique de l’intérieur des communautés musulmanes ne s’est pas suffisamment déployé pour espérer un renouveau théologique et spirituel à la hauteur des enjeux de notre situation historique.
Cet article a pour ambition de mettre le focus sur cet aspect particulier de la crise de religiosité que traversent les musulmans de France. Celui qui concerne la banalisation de l’endoctrinement communément qualifié de « salafiste » (1) comme manière de penser et de vivre l’islam, comme perception du monde et comme norme islamique idéale pour une partie non négligeable de la jeunesse musulmane en France, en quête identitaire et/ou spirituelle.
Ignorer ou minimiser cette réalité et ses conséquences théologiques et sociales au prétexte qu’il existe une islamophobie tous azimuts qui justifierait une espèce de solidarité « intracommunautaire » tacite, reviendrait à passer sous silence nos maux internes et à laisser le champ libre à des religiosités et à des représentations de l’islam pour le moins problématiques car décontextualisées et violentes en acte ou en puissance. Cette attitude induit aussi le fait de prendre le risque d’aggraver significativement la crise interne que traversent les musulmans, que ce soit à titre individuel ou collectif.
Ce qui est en jeu et ce qui pose un sérieux problème aujourd’hui, ce n’est pas tant l’existence d’un courant littéraliste ou d’une sensibilité rigoriste qui, somme toute, a le droit de s’exprimer dans les limites que prévoit le cadre légal dans un état de droit, mais bien la systématisation artificielle et politique de cette tendance et l’ampleur des ravages que cette lecture opère chez les jeunes et les moins jeunes parmi les musulmans.
En effet, le processus de « salafisation » d’une partie de l’islam en France a été rendu possible et s’est progressivement imposé dans un contexte de décadence globale des « communautés » musulmanes et grâce aux moyens colossaux qui ont été déployés par le pouvoir saoudien pour la consécration du « wahabisme » (c’est-à-dire l’islam politique et officiel saoudien) comme nouvelle incarnation forcée de l’orthodoxie et de l’orthopraxie islamiques.
Avec la « salafisation » du discours islamique, la manière d’être musulman(e) et de pratiquer l’islam a profondément changé, et s’est imprégnée d’une bonne dose de misogynie, d’agressivité de superficialité, de simplisme et de violence très caractéristiques des sociétés bédouines de la péninsule arabique adossée à une certaine condition banlieusarde de perte de repères.
Il ne s’agit plus d’une pratique qui épouse plus ou moins son contexte mais d’une islamité hors sol, pleine d’arrogance et chargée de préjugés archaïques.
Il est donc essentiel de fournir une autocritique sans complaisance de cette religiosité et de la lecture décontextualisée et anhistorique de l’islam qui la fonde, et ce, non pas à partir d’une injonction faite de l’extérieur ou pour se plier au diktat d’une bien-pensance dominante mais par devoir interne et dans un souci de renouveau et de transmission authentique des valeurs islamiques.
Ce diagnostic est aujourd’hui une réalité, qui fait relativement consensus, que partagent un bon nombre d’acteurs musulmans. Ceux qui estiment que cette autocritique s’impose spirituellement, intellectuellement et politiquement pour offrir aux nouvelles générations, tous les possibles d’une religiosité de participation, d’intelligence et d’émancipation spirituelle. Une religiosité à la fois profonde et contextualisée, authentique, et enracinée dans son environnement.
Face à une volonté politique de favoriser la seule lecture littéraliste et d’imposer le « wahabisme » comme unique interprétation possible de l’islam, il faut apporter une réponse globale et une analyse qui nomment clairement et sans concession nos maux internes ainsi que notre crise profonde de méthode de penser et de vivre l’islam ici et maintenant.
La présence musulmane en France et en Europe gagnerait à affronter de manière claire ce mode de pensée qui constitue un piège spirituel et un frein au rayonnement et à l’épanouissement des musulmans dans leurs sociétés respectives.
(1) « salafisme » : un rapt par les doctrines rigoristes de l’idée de retour aux sources
Je trouve que cette article reflète la réalité du terrain, je dirais même que PSM et touché par cette idéologie, et l’islam traditionnelle.