Regards sur la France actuelle
« Inventez une charlatanerie, n’importe laquelle, vous trouverez toujours des hommes qui diront que ça marche, tant notre besoin d’illusion est intense ».
Boris Cyrulnik, L’Ensorcellement du monde, 1997
« Je suis pessimiste par l’intelligence, mais optimiste par la volonté…En particulier je me suis toujours armé d’une patience illimitée, non passive, inerte, mais animée de persévérance ». Antonio Gramsci
De nombreux citoyens français, de confession ou de culture musulmane, ont l’impression d’être les témoins, non avec une certaine forme de lassitude voire de sidération, d’une séquence particulière de l’histoire politique de leur pays.
Peut-être d’un immense bouleversement de l’échiquier politique où certains courants jouent la survie de la boutique quand d’autres font de la surenchère sécuritaire et identitaire pour mieux cacher un racisme structurel, donner une pseudo consistance culturelle et patriotique à un vide éthique et politique abyssal et esquiver les vrais rapports de domination et d’exploitation dans une société à deux vitesses, confrontée à un « mondialisme » et à un « néolibéralisme » qui brouillent les repères et méprisent l’homme et son environnement…
Plus largement nous sommes les témoins d’un dessèchement de l’imaginaire sociétal et politique français ouvrant la voie aux thèses les plus irrationnelles voire les plus folles qui entretiennent le préjugé raciste de l’« inassimilabilité » de certains citoyens en raison de leur religion réelle ou supposée (guerre civile, territoires perdus, invasion, grand remplacement…)
Une nation paradoxale
La France est certes une nation particulièrement difficile à définir et à saisir d’une façon simple.
Son passé comme son présent offrent un tableau de situations extrêmes, une chaîne de cimes et d’abîmes oscillant entre grandeur et décadence, mission de civilisation et œuvre de barbarie, entre génie et ridicule, unité et déchirement, universalisme et chauvinisme, rationalité et fanatisme, esprit critique et aveuglement collectif…
Une nation nerveuse et pleine de contrastes comme l’affirmait Paul Valery, et qui peut trouver malgré tout dans ses paradoxes, des ressources toutes imprévues pour peu qu’elle fasse appel à son génie collectif, qu’elle ait confiance en la créativité de l’ensemble de ses citoyens et parvienne à renouer avec ses valeurs fédératrices de liberté, d’égalité et de fraternité.
Le spectre de la guerre civile
La prolifération des références au risque de guerre civile est ce qui caractérise le débat public en France aujourd’hui. Cette référence est un marqueur de la fébrilité d’un pays qui ne parvient pas à se confronter à la complexité du monde…
Il s’agit aussi d’une obsession bien entretenue par certaines forces idéologiques et politiques, pour justifier une volonté abjecte d’éliminer l’ennemi intérieur, jadis juifs des ghettos, aujourd’hui musulmans des banlieues, instrument du fameux « grand remplacement ».
La question culturelle et identitaire dans son acception la plus sclérosée, est imposée artificiellement dans le débat public pour mieux esquiver les vrais rapports de domination politiques, économiques et symboliques qui traversent la société ainsi que les systèmes de corruption qui pillent les ressources de la nation au profit d’une minorité qui détient le capital, contrôle les médias et dicte l’agenda sociétal…
Dans un climat hystérique et hystérisé, l’ambition de certaines forces politiques est de créer les clivages nécessaires et les fractures sociétales qui empêchent d’emblée de saisir les difficultés de la société dans leur complexité politique et dans la prise en compte de la configuration sociale française aujourd’hui…
Plus que jamais être et témoigner
Il est impératif pour la société française, dans sa richesse et sa diversité, de retrouver foi en son espace commun, en ses valeurs fondatrices et en ses capacités de dialogue, de débat et de coexistence intelligente et fraternelle. Là réside une des missions les plus importantes des citoyens racisés, aujourd’hui interdits de cité, puisque nulle puissance ne saurait arrêter cette aspiration à la justice enfouie dans l’innéité de l’homme.
Il faut refuser de croire que la médiocrité des idéologues du « choc des civilisations », concepteurs de la haine et de la confrontation, aura raison des intelligences et des générosités que recèle notre société.
Un défi stimulant qui doit nous obliger à faire preuve de remise en question, de volontarisme, de patience, de présence, d’intelligence, de partenariat et d’optimisme lucide plus que jamais.
C’est une très bonne base de départ que ce devoir d’être et de témoigner, et ce besoin commun de connaissance et de reconnaissance mutuelles.
Très bel article.