Le testing, un moyen infaillible pour documenter le racisme en France
La méthode est utilisée depuis les années 90 par SOS Racisme pour prouver devant la justice les discriminations liées aux origines dans l’accès aux services, au travail et au logement. Selon l’ONG, « l’extrémisation » du milieu politique français a banalisé les pratiques racistes;
Tester pour prouver des faits de racisme en France ? La méthode marche à tous les coups chez SOS Racisme, et ce depuis des années. En août dernier, l’ONG de lutte contre le racisme et l’antisémitisme créée en 1984 s’est attaquée au secteur des loisirs en mobilisant une quarantaine de militants. Nice, Marseille et Perpignan, trois villes balnéaires du Sud de la France prisées des vacanciers, ont été choisies pour abriter les opérations dites de « testing estival », avec pour cible les plages privées.
Le résultat s’est révélé accablant. Au cours d’une opération en caméra cachée, quatre militants qui se font passer pour des couples noirs et maghrébins se voient refuser l’accès à deux plages sous prétexte que c’est complet, alors que leurs camarades blancs, arrivés plus tard, sont acceptés.
Dans la classe politique, tout particulièrement à gauche, l’affaire soulève un tollé. « Il y a la réalité insupportable du racisme et des discriminations. Et il y a le fait qu’il faille encore aujourd’hui apporter la preuve de ce racisme structurel dans notre société, que certains s’obstinent toujours à nier », s’est indigné le député de La France insoumise (LFI) Bastien Lachaud.
Les porte-paroles du parti écologiste EELV Chloé Sagaspe et Alain Coulombel se sont élevés, eux, contre l’absence de sanctions. « Le racisme est bien présent à chaque instant pour un grand nombre de citoyens sans qu’il y ait une réponse politique et publique à la hauteur pour combattre et sanctionner ces comportements et attitudes racistes », ont-ils déploré, en insistant sur la nécessité de prendre « des décisions fortes et profondes » pour lutter contre les discriminations.
Selon la ministre déléguée en charge de la diversité et de l’égalité des chances, Isabelle Rome, le gouvernement est déjà pleinement engagé sur la question et prépare un plan national pour enrayer les discriminations liées aux origines.
En attendant la mise en place de cette nouvelle stratégie, c’est SOS Racisme qui continue à mener la bataille. L’association a décidé de porter l’affaire devant la justice. « Des témoignages ont été joints à la plainte qui sera déposée dans les prochaines semaines à Nice », révèle à Middle East Eye Aurore Barbier, chargée de projet et coordinatrice du testing dans les plages privées.
Des discriminations même pendant les vacances
D’après elle, l’opération vise à montrer que les discriminations existent en tout lieu, en tout temps, y compris pendant les vacances et dans tous les domaines de la vie courante comme le travail, le logement et les services.
« On peut très bien être victime d’une discrimination sans le savoir ou ne pas pouvoir le démontrer. Le testing est un moyen de le démontrer », précise Aurore Barbier à MEE.
Dans un document de vulgarisation transmis à MEE, SOS Racisme décrit le testing comme un moyen qui consiste à comparer la réponse apportée à deux profils similaires en tous points, excepté leur couleur de peau.
« Le premier testeur ‘’non blanc’’, appelé ‘’profil test’’, essaiera par exemple d’entrer en discothèque. Si celui-ci se voit opposer un refus, alors le deuxième testeur, ‘’blanc’’, appelé ‘’profil contrôle’’, essaiera à son tour d’entrer dans cette même discothèque. Si le profil ‘’contrôle’’ parvient à entrer contrairement au profil ‘’test’’, cela prouve que ce dernier a été refusé en raison de sa couleur de peau », explique l’association, en assurant que « le testing apporte la preuve de la discrimination devant les tribunaux ».
Cette méthode est apparue pour la première fois aux États-Unis dans les années 1980. Elle est utilisée par les associations de défense des droits des populations noires américaines pour révéler des faits de racisme dans l’accès au logement.
Une décennie plus tard, SOS Racisme s’empare du procédé et l’expérimente dans les boîtes de nuit. Pendant l’été 2021, une énième campagne est menée dans des établissements de Montpellier.
Elle permet à ses initiateurs de voir à quel point le racisme s’est normalisé. Des jeunes noirs et d’origine maghrébine sont refoulés à l’entrée des discothèques, sans que cela ne fasse scandale.
« Avec nos actions, nous voulons justement montrer que les discriminations se sont banalisées », explique Aurore Barbier, en déplorant une sorte de résignation généralisée alors que, dans le même temps, la parole raciste est de plus en plus libre.
« L’extrémisation du milieu politique depuis quelques années a conduit au développement des discours et des pratiques stigmatisants. Avec les testing, nous avons le moyen de les dénoncer », ajoute la militante.
SOS Racisme utilise les tests soit pour interpeller les autorités politiques, soit à des fins judiciaires.
Grâce à son action, la Cour de cassation, dans un arrêt du 11 juin 2002, a reconnu le testing comme un mode de preuve recevable devant les tribunaux pénaux.
La méthode est légalisée en 2006 par la loi sur l’égalité des chances du 31 mars 2006 qui introduit un article spécifique (225-3-1 ) dans le Code pénal. En vertu de cette loi, les délits sont constitués même s’ils sont commis à l’encontre d’une ou plusieurs personnes ayant demandé des biens ou des services dans le but de démontrer l’existence de comportements discriminatoires.
En 2017, la loi relative à l’égalité et à la citoyenneté consacre le principe selon lequel le testing est susceptible de fonder une action en responsabilité devant les juridictions civiles.
Des ajustements législatifs insuffisants
C’est ainsi que plusieurs agences immobilières d’Île-de-France attaquées en justice par SOS Racisme ont été condamnées par la justice en 2019. Sur 90 établissements testés, 50 % ont accepté de réaliser des sélections de demandeurs de logements sur des bases raciales, à la demande de propriétaires fictifs.
À la suite de cette affaire, un décret publié en 2020 impose aux professionnels du secteur de l’immobilier une formation sur la non-discrimination dans l’accès au logement.
« Outre les conséquences judiciaires, les testing permettent d’avoir un levier de pression pour pousser les pouvoirs publics à introduire de nouvelles normes dans la lutte contre le racisme », souligne Aurore Barbier.
Cependant, malgré les ajustements législatifs, les pratiques discriminatoires persistent. Par exemple, un nouveau testing sur les agences immobilières en 2022 a révélé que près de la moitié accède aux exigences discriminatoires des propriétaires dont elles gèrent les logements locatifs. Certaines avaient déjà été épinglées par SOS Racisme trois ans plus tôt.
Une autre simulation a montré en 2021 que les discriminations liées à l’origine étaient également fréquentes dans les agences d’intérim du BTP. « C’est faisable à condition que cette conversation reste confidentielle », a répondu l’une d’elle à un représentant fictif d’une entreprise du bâtiment, missionné par SOS Racisme.