A l’Assemblée nationale, la droite républicaine et la majorité présidentielle font la courte échelle au RN
Depuis une semaine, tout est affaire de symboles et de statuts au Palais Bourbon. La nouvelle législature est marquée par la normalisation accélérée du Rassemblement national. L’illustration en est faite avec l’élection à l’Assemblée de deux députés d’extrême droite à des postes clés. Une situation qui en dit long du très mauvais état du front républicain.
La valse des déclarations intempestives, des coups bas et des conciliabules ont commencé mercredi 29 juin. C’était le grand jour de l’élection du bureau de l’Assemblée nationale. Il s’agissait de choisir les vice-présidents, les questeurs et les secrétaires. Tous, députés, ont, une fois élus à leur poste, un rôle particulier dans le fonctionnement de l’Assemblée :
• Les vice-présidents remplacent le président en cas d’absence, et supervisent ainsi la séance.
• Les secrétaires du bureau assistent le président, en veillant notamment au bon déroulement du processus législatif. Ils constatent les votes et les résultats des scrutins.
• Les questeurs, au nombre de trois, gèrent, par délégation du Bureau, les services financiers et administratifs de la vie de l’Assemblée. Il est de tradition, depuis 1973, que deux d’entre eux appartiennent à la majorité, le troisième à l’opposition.
Mardi 28 juin, l’élection de Yaël Braun-Pivet (LREM-Ensemble) au poste de présidente de l’Assemblée nationale s’est réalisée dans un relatif consensus. La députée rassemble les 242 voix de son groupe sur son nom au second tour. Elle est appréciée par une partie des députés de droite et de gauche, même si son attitude en tant que co-rapporteuse de la commission d’enquête au moment de l’affaire Benalla est largement critiquée.
Mais le lendemain, les discussions s’éternisent. Traditionnellement, lorsque les groupes politiques s’entendent pour se répartir les postes, il n’y a pas vraiment de vote puisque le nombre de candidats correspond au nombre de postes. Après cinq heures de discussion entre groupes parlementaires, un accord s’esquisse pour répartir les six vice-présidences entre la majorité, la NUPES et le RN, à raison de deux chacun. Mais deux députés écologistes déposent leur candidature au dernier moment pour « faire barrage aux deux candidats d’extrême droite », déclare Benjamin Lucas, l’un d’entre eux.
Trop de candidats, le scrutin est incontournable
Huit candidatures pour six postes, le scrutin est obligatoire. Les deux députés écologistes sont éliminés mais l’opération révèle que des voix de la majorité et de la droite se sont portées sur les deux candidats RN : Sébastien Chenu (290 voix) et Hélène Laporte (284 voix). En effet, le groupe RN ne dispose « que » de 89 députés, donc 89 voix. Mathématiquement, il a bien fallu que des voix venant de la majorité présidentielle (250) et des Républicains (62) s’ajoutent pour aboutir aux scores obtenus par les deux candidats dès le premier tour.
Sans surprise, les autres vice-présidents sont Naïma Moutchou (Horizons, avec 373 voix), Elodie jacquer-Laforge (MoDem, avec 373 voix), Valérie Rabault (PS, avec 367 voix) et Caroline Fiat (LFI, avec 297 voix). Avec ces deux vice-présidences, le RN accède au sommet de la hiérarchie parlementaire et peut se vanter de ne pas être « incompatible avec les valeurs de la République ».
Dans la foulée, trois députés, Marie Guéroux et Eric Woerth (LREM –Renaissance), avec Eric Ciotti (LR), sont élus questeurs par leurs collègues. En fin de journée du mercredi 29 juin, douze secrétaires du bureau sont également désignés : sept députés de la majorité, trois de la NUPES, un élu LR et un élu du groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires.
LFI s’impose pour la commission des finances
Jeudi 30 juin, troisième et dernière journée d’élection interne à l’Assemblée nationale, cette fois des présidents de commissions permanentes, au nombre de huit. Chacune d’entre elle est dotée d’un président, de quatre-vice-présidents et de quatre secrétaires. Elles sont chargées, entre autres, d’examiner les textes de loi proposés par le gouvernement ou à l’initiative d’un groupe de députés, avant leur arrivée dans l’Hémicycle.
Seuls les députés désignés par leur groupe pour participer à une commission élisent leur président. La répartition des députés respecte l’importance de chaque groupe à l’Assemblée. Une exception, la commission des finances dont le poste est réservé à un membre de l’opposition depuis 2007 et pour laquelle les députés de la majorité, même relative, ne participent pas à l’élection du président de manière à laisser les groupes de l’opposition désigner quelqu’un.
C’est ce qui explique l’élection du député LFI, Eric Coquerel, au grand dam du groupe RN qui espérait l’aide du groupe LR pour imposer Jean-Philippe Tanguy. La commission des finances occupe un rôle stratégique d’examen des budgets avant leur arrivée dans l’hémicycle. Sa présidence offre en outre l’accès à des informations couvertes par le secret fiscal, sans pour autant permettre à ses membres de pouvoir les dévoiler. Comme toutes les présidences de commission permanente, le mandat court pendant un an. Les sept autres commissions ont élu des députés de la majorité à leur tête : cinq Renaissance, une Horizons et un Démocrate (MoDem). Contrairement à 2017, la parité n’est pas respectée sur ces postes importants.
Un front républicain bien fissuré
Rien ne permet d’anticiper le fonctionnement futur de l’Assemblée nationale après cette semaine particulière. Une chose est sûre cependant : le front républicain, bien fissuré après les élections présidentielle et surtout législatives, a été un peu plus ébréché avec l’élection des deux députés RN aux postes de vice-présidents de l’Assemblée nationale dès le premier tour de scrutin.
Cette situation illustre l’importance du groupe d’extrême droite à l’Assemblée, mais aussi le choix « des Français lors des scrutins des 12 et 19 juin. Il ne nous appartient pas de choisir nos oppositions, mais bien de faire respecter le volonté des Français telle qu’exprimée lors des élections législatives », a commenté sobrement Aurore Bergé, la présidente du groupe Renaissance. Un positionnement qui ne passe pas à la gauche de l’hémicycle. « Ce jour, LREM a fait voter RN pour faciliter l’accession de députés d’extrême droite à la vice-présidence de l’Assemblée nationale. Les masques tombent : LREM se prétendait rempart et se fait marchepied », a tweeté Julien Bayou, député de Paris et coprésident du groupe parlementaire Europe Ecologie-Les Verts.
Quand à Manuel Bompard, député de Marseille et membre du groupe LFI, il dénonce tout autant un « accord LREM/LR/RN conclu pour écarter le NUPES de la questure de l’Assemblée nationale et garantir deux vice-présidences à l’extrême droite. Tout ça au mépris du résultat du vote des électeurs. C’est ça la nouvelle manière de gouverner et le respect des oppositions ? »
L’ambiguïté, déjà présente entre les deux tours des élections législatives lorsque des membres de la majorité présidentielle ont clairement amalgamé extrême gauche et extrême droite et refusé à donner des consignes de vote claires pour faire barrage au RN, est loin d’avoir disparue.