Gaza : la Cour internationale de justice examine les accusations de génocide portées par l’Afrique du Sud contre Israël
L’État d’Israël, dans la terrible offensive qu’il mène contre Gaza, bafoue les obligations qui lui incombent au titre de la Convention des nations unies pour la prévention et la répression du crime de génocide. Tel est l’avis tranché de l’Afrique du Sud, qui a développé ses arguments devant la Cour internationale de justice (CIJ). Celle-ci est appelée à prendre des mesures urgentes de protection envers une population palestinienne démunie.
L’Afrique du Sud a présenté, jeudi 11 janvier, devant la Cour internationale de justice (CIJ) ses arguments visant à fonder sa plainte pour « actes de génocide » contre Israël. Au cours d’une audience publique historique, le ministre sud-africain de la Justice, Ronald Lamola, a introduit les enjeux de cette plainte formée en décembre 2023 par son pays, qui réclame la suspension immédiate des opérations militaires menées de façon indiscriminée contre Gaza par l’Etat hébreu.
« Les Palestiniens subissent une oppression et des violences systématiques depuis 76 ans. Ils l’ont vécu une nouvelle fois le 6 octobre 2023 et le subissent encore après le 7 octobre », a souligné d’emblée Ronald Lamola, qui accuse Israël de violer la convention sur la prévention et la répression du crime de génocide adoptée en 1948 après l’Holocauste.
L’Afrique du Sud, rappelle le ministre, a condamné avec clarté l’attaque du Hamas. « Cela étant dit, aucune attaque armée contre le territoire d’un Etat, aussi grave soit-elle, même marquée par la commission de crimes atroces, ne saurait constituer la moindre justification ni le moindre prétexte pour se rendre coupable de violations de la convention, ni sur le plan juridique ni sur le plan moral. La réponse d’Israël à l’attaque du 7 octobre 2023 a franchi cette limite », a-t-il déclaré.
Des actes qui attestent d’un « comportement génocidaire » d’Israël
Face aux 17 juges de l’organe judiciaire principal des Nations Unies basé à La Haye, les avocats de l’Afrique du Sud ont tour à tour développé leurs arguments pour étayer les accusations. « Le premier acte de génocide commis par Israël est le meurtre de masse des Palestiniens à Gaza (…). Du fait de leur ampleur, comme l’a expliqué le secrétaire général de l’ONU (Antonio Guterres), il n’y a pas d’endroit sûr à Gaza », a affirmé Adila Hassim.
« Les Palestiniens de Gaza sont soumis à des bombardements incessants où qu’ils aillent. Ils sont tués chez eux, à la maison, là où ils cherchent à se mettre à l’abri, dans les hôpitaux, les écoles, les mosquées, les églises, ou alors quand ils vont chercher de l’eau ou de la nourriture pour leurs familles (…). L’intensité de ces massacres est telle que les corps qui sont retrouvés sont enterrés dans des fosses communes sans être identifiés », a-t-elle signifié. A ce jour, plus de 23 000 personnes sont mortes dans l’enclave palestinienne, principalement des femmes et des enfants selon les autorités locales. En outre, plus de 7 000 personnes sont présumées disparues sous les décombres des habitations détruites sous les bombes.
Parmi les autres actes démontrant un « comportement génocidaire » d’Israël, l’avocate cite notamment « l’atteinte grave à l’intégrité physique et mentale des Palestiniens de Gaza » (plus de 60 000 blessés) et « la soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle » au travers de moyens cruels comme le déplacement forcé des habitants (85 %) à l’intérieur d’un territoire sous blocus sans aucune garantie de sécurité, la famine et le blocage de l’aide humanitaire.
Adila Hassim a relevé également « les attaques visant délibérément le système de santé », rendant la vie à Gaza « invivable », ainsi que « la violence reproductive infligée aux femmes » et qui entrave de fait les naissances, ce qui constitue à leurs yeux des « actes de génocide ».
« Tous ces actes, pris individuellement ou collectivement, constituent une ligne de conduite planifiée par Israël révélant l’intention génocidaire de ce pays », soumet-elle. Avant de conclure sa plaidoirie : « Un génocide n’est jamais annoncé à l’avance. Mais cette cour a devant elle 13 semaines de preuves accumulées qui démontrent de manière irréfutable l’existence d’une ligne de conduite et l’intention qui s’y rapporte justifiant une allégation plausible d’actes génocidaires » à Gaza.
Israël balaye les accusations sud-africaines
Sans surprise, Israël a rejeté l’ensemble des accusations. A son passage devant les juges de la CIJ, le conseiller juridique Tal Becker a accusé l’Afrique du Sud d’avoir présenté « une version dénaturée des faits et du droit » et d’avoir « pris le parti à la fois d’effacer l’histoire juive et toute responsabilité des Palestiniens » dans « une guerre qu’Israël n’a pas entamé et qu’il ne voulait pas ».
A ses yeux, « la requête et la demande doivent être rejetées pour ce qu’elles sont : une calomnie visant à priver Israël du droit de se défendre conformément au droit contre l’attaque terroriste sans précédent (du 7-Octobre) et de libérer les otages qui sont aux mains du Hamas ».
Une telle ligne de défense saurait-elle convaincre des juges de la CIJ ? La balle est désormais dans leur camp. Les magistrats se prononceront dans les toutes prochaines semaines. Les décisions de l’organe judiciaire sont juridiquement contraignantes pour les parties concernées mais il n’a pas le pouvoir de les faire appliquer. Toutefois, pour Amnesty International, la procédure engagée par la CIJ « pourrait aider à protéger les civils palestiniens à mettre fin à la catastrophe humanitaire d’origine humaine dans la bande de Gaza occupée et à offrir une lueur d’espoir en matière de justice internationale ».
« Dans l’attente d’une décision finale de la Cour internationale de justice sur la question de savoir si des crimes de génocide et d’autres crimes au regard du droit international ont été commis, déclare sa secrétaire générale Agnès Callamard, une ordonnance urgente pour la mise en œuvre de mesures conservatoires serait un moyen important d’aider à prévenir d’autres morts, destructions et souffrances civiles, et de signaler aux autres États qu’ils ne doivent pas contribuer à des violations graves et à des crimes contre les Palestiniens. »