“La détention provisoire n’est jamais compatible avec la Sclérose en Plaques”
Si la dernière expertise en date atteste que l'état de Tariq Ramadan serait compatible avec la détention sous certaine conditions, nombreux experts interrogés nous on fait part de leur doute. Thevaki Sriseyohn, psychologue clinicienne répond à nos questions.
La détention provisoire de Tariq Ramadan, d’après vous, est-elle compatible avec la sclérose en plaques ?
La détention provisoire n’est jamais compatible avec une maladie dégénérative telle que la Sclérose en Plaques. Car si l’on observe cela sous l’angle du soin, jamais la détention ne peut garantir l’intégrité physique et psychique du sujet. Il est exposé à un système où il perd tout contrôle sur son quotidien. Or, les maladies auto-immunes ont besoin de rigueur, de régime alimentaire strict, de séances de kinésithérapie quotidiennes… que l’on soit en détention provisoire ou en détention, les soins requis, tant sur les plans physique et psychique sont quasi absent.
Dans le cadre de la détention provisoire de Tariq Ramadan, plusieurs choses apparaissent et sont significatives de la problématique sociétale actuelle en France. Premièrement, il ne reçoit pas les soins requis pour soigner sa maladie.
Le deuxième point est que ce confinement physique a un impact sur le psychique, donc même avec les soins médicaux requis, l’enfermement, le stress, l’isolement et les conditions de détention ne peuvent qu’avoir un impact grave sur le corps.
Ici, telle que le vit Tariq Ramadan, en isolement total parfois pendant 24h, comment pourrait-il être en bonne santé ? Tariq Ramadan, actuellement, ne peut plus se concentrer ou écrire correctement, il marche avec difficulté et n’a pas accès aux soins pour pouvoir s’en sortir. Il doit se battre contre la maladie, la détention, et préparer son procès. Les conditions auxquelles on le soumet ne lui permettent pas.
Et cette problématique, il n’est pas le premier à la rencontrer. Nombreux justiciables ont perdu leur santé comme cela. La Cour Européen des Droits de l’Homme a, de nombreuses fois, épinglé la France, pourtant on continue à ôter aux détenus ce qu’il a de plus fondamental : la santé. La détention, provisoire ou non, laisse des traces tant sur le corps et l’esprit.
Ce qui est vraiment surprenant c’est qu’il y aurait d’autres moyens de vivre le temps de l’enquête sans prendre le risque d’impacter de façon définitive la santé de Tariq Ramadan ou d’autres justiciables d’ailleurs. Le bracelet électronique par exemple. Or, il me semble qu’il y a une déshumanisation au cœur de toute incarcération. Le justiciable n’est plus protégé par la loi, au contraire, elle l’expose à une chaîne pénale, où son temps, sa santé et sa liberté sont entre les mains de magistrats qui ne le connaissent qu’en théorie, sous forme d’un dossier, d’un numéro, d’une accusation.
Et, si la détention provisoire est justifiée aux yeux de la justice, comment le manque de soin peut-il l’être ? Cette privation d’une réelle prise en charge quant aux soins requis, infligeant une détérioration inévitable dans cet espace-temps où il est toujours présumé innocent, démontre que c’est le système judiciaire qui handicape littéralement Tariq Ramadan. Il est ici responsable de la détérioration de sa santé.
Quel est l’impact de la détention provisoire sur les maladies auto-immunes telles que la sclérose en plaques ?
Les maladies auto-immunes touchent l’immunité du système corporelle et psychique du sujet. Le lien étroit entre corps et psyché est au centre de l’évolution de la maladie. Une détention, qu’elle soit provisoire ou non, est en soi un choc émotionnel qui ne peut qu’accroitre les symptômes de la maladie, voire les aggraver de manière définitive.
De nombreuses personnes en détention provisoire souffrant de cancer ou de sclérose en plaques sont mal soignées et parfois pas du tout soignés. C’est une problématique récurrente et significative en milieu carcéral. Les prisons deviennent des zones de non-droits. Ce n’est pas la faute du personnel soignant qui fait tout pour palier à cette problématique mais bel et bien à la manière dont est pensée la chaîne pénale et les lieux de détention.
Tout le monde sur le terrain le constate, médecins, infirmiers, gardiens, ce qui coince sont ceux qui, finalement, théorisent de loin une mesure sans prendre en compte les conséquences gravissimes que cela peut avoir sur le sujet qui est enfermé. En mon sens, il y a un fossé comme cela arrive souvent entre ceux qui théorisent la détention et ceux qui travaillent sur le terrain et en constatent les dégâts.
La détention, qu’elle soit provisoire ou non, est en soi un enfermement qui prive le sujet de sa liberté et du contrôle nécessaire à son équilibre physique et mental et le soumet à une organisation carcérale qui n’a rien à voir avec la vie en société. On retire donc le sujet de son environnement quotidien pour l’enfermer dans un environnement pathogène.
Pour une personne dont la culpabilité est avérée, cela est punitif mais pas forcément salvateur. De nombreuses études soulignent que la détention accroit le risque de récidive. Ce n’est donc pas une solution.
Mais alors, imaginez ce que cela peut être pour un homme ou une femme innocent (e) qui subit, le temps de l’enquête, la détention provisoire. C’est littéralement destructeur.
En France, de nombreux détenus sont enfermés sans avoir accès aux soins, qu’en pensez-vous ?
Ces quatre murs rendent invisible ce qui se passe réellement en prison et réduit tout sujet à l’impuissance. Une fois en détention, provisoire ou non, l’humanisation disparaît.
Le système judiciaire me questionne quant à son raisonnement et ses outils, ainsi que le jeu de rôle qui se scénarise par les médias, et donc de ceux qui en détiennent le pouvoir.
Comme dans toute sphère, la Justice se constitue d’Hommes de toutes structures psychologiques (névrosé, psychotique et perverse) et la dangerosité se loge lorsque ces personnes se mettent au-delà de ce système lui-même, lorsqu’elles ne représentent plus la Loi, mais SONT la Loi.
Dans ce système, la question des limites doit être interrogée tant du côté du « juste », du « légal », de celui qui « décide », de « l’abus », de « l’injuste », de « l’illégal » quant à cette manière de prendre pouvoir sur l’autre à la fois dans le cadre de la LOI et de ce qui se fait SOUS-COUVERT de la LOI.
Rien ne nous permet aujourd’hui de croire que celui qui entre en prison est d’emblée coupable. Rien ne nous permet aujourd’hui de croire que ce qui se scénarise devant nos yeux soit vérité.
Il est, à mon sens, essentiel de s’interroger sur ce qui existe et n’existe pas dans cette pièce de théâtre, et de s’accorder sur le besoin d’humaniser les liens comme les lieux, de ne réduire des individus en produits condamnés de ces systèmes tant dans les sphères de l’éducation que dans les sphères de la justice et du médical.
Pensez-vous que la détention laisse une trace traumatique ?
Un traumatisme est une trace qui ne s’oublie pas. Il se dessine à la suite d’un choc émotionnel, cristallisant ainsi l’événement dans une bulle la conservant comme intacte dans la psyché. Il n’est pas laissé au temps de créer une distance en termes de mémoire et d’émotions. Le tout est enregistré tel quel et sera vécu comme si cela s’était passé hier accompagné de son lot d’émotions toujours actif. La mémoire condamne la personne à revivre cet évènement de façon atemporelle.
Comme pour tout trauma, cela vient fragiliser le sujet dans son espace de vie quotidienne, physique et psychique, l’insécurisant à chaque point de contact qu’il va rencontrer sur son chemin, éveillant d’une manière ou d’une autre les sensations désagréables et négatives de cet événement traumatique, plongeant la personne à nouveau dans cet espace-temps. Le traumatisme fait écho à cette condamnation du côté de l’être. Prisonnier des traces de ce lien vécu avec le pays, la justice et ses hommes.
Là où nous devrions observer une justice juste où elle devrait traiter tout homme comme citoyen et présumer son innocence avant toute preuve vérifiée venant l’inculper directement, nous sommes en présence d’une justice qui traumatise tant le citoyen que la société.
En effet, il ne s’agit pas simplement d’être enfermé, mais de ne plus pouvoir accéder à la personne que nous étions. D’emblée coupable, d’emblée traité comme prisonnier ayant commis l’objet des accusations, d’emblée ôté de sa parole et de sa liberté, d’emblée condamnée. Ce type de traitement laisse des traces dans ce rapport à l’être, aux autres et au monde.
Comment un homme innocenté pourrait faire confiance et vivre en confiance à la suite de ce type de trauma ?
Thevaki Sriseyohn
Psychologue clinicienne