Voile, «islamisme»… de Mennel à Maryam Pougetoux, des polémiques et des méthodes qui se répètent
La présidente de l’Unef Paris-Sorbonne fait l’objet d’un procès en «islamisme» mené par le Printemps républicain, sur la foi d’un voile qu’elle portait lors d’une apparition télévisée. Elle est la dernière d’une longue liste de personnes harcelées sur les réseaux sociaux.
Maryam Pougetoux, présidente de l’Unef Paris-IV, est la dernière personne d’une longue série à avoir eu l’honneur de découvrir, ce week-end, les joies du combat politique tel que pratiqué par le Printemps républicain, mouvement lancé en mars 2016 avec l’appui des magazines Marianne et Causeur pour défendre une vision extensive de la laïcité. Le tort de Maryam Pougetoux : être apparue samedi, dans une séquence filmée par M6 où elle parlait de la mobilisation des étudiants, coiffée d’un voile signifiant son appartenance à la religion musulmane. Il n’en fallait pas plus au professeur de théorie politique Laurent Bouvet, cofondateur du Printemps républicain, pour dégainer un post Facebook sarcastique sur «la convergence des luttes». Interpellé sur le sens de ce message dénué de toute explication, il a ensuite avancé dans un tweet qu’il faisait «le simple constat d’une incohérence chez une dirigeante de l’Unef : comment défendre en même temps des principes progressistes-féministes (contraception, IVG, mariage pour tous…) et afficher ostensiblement ainsi ses convictions religieuses ?» Car dans l’esprit de Laurent Bouvet, il est impossible d’être féministe tout en étant ostensiblement musulmane, et qu’importe si le féminisme musulman est une réalité. De toute manière, cet argument sera vite oublié au profit d’un autre, développé par le Printemps républicain dans une série de tweets : Maryam Pougetoux serait l’incarnation d’une infiltration «islamiste» au sein de l’Unef (qui a publié un communiqué pour défendre sa représentante), ce que son seul voile permettrait d’établir sans l’ombre d’un doute.
Finalement, c’est simple : si l’on veut exclure une personne (réellement ou supposément) musulmane du débat public, il suffit de l’accuser d’être islamiste, en profitant du flou sémantique qui entoure ce mot depuis plusieurs décennies maintenant. Il sera toujours temps de prouver plus tard que l’on a raison, en invoquant le fait qu’elle a un jour rencontré telle ou telle personne, posté tel ou tel message sur Facebook. C’est la procédure qui fut appliquée à la chanteuse Mennel en février, lorsqu’elle se présenta à l’émission The Voice coiffée d’un turban. Suspecte, forcément suspecte : des twittos d’extrême droite et de la mouvance du Printemps républicain fouillèrent son passé sur les réseaux sociaux, en extrayèrent quelques posts aux accents complotistes publiés il y a plusieurs années, et en firent une figure des tactiques qu’emploieraient les islamistes pour séduire la population. Après coup, ils expliquèrent que le problème n’était pas le turban, mais les tweets complotistes. Mais auraient-ils cherché ces tweets si la vue d’un turban n’avait pas déclenché chez eux un soupçon immédiat ? Pour une femme musulmane portant un voile, l’alternative est la suivante : rester hors de la vie publique et être «communautariste», ou bien y participer et être immédiatement soupçonnée d’«islamisme».
Rokhaya Diallo, Edwy Plenel…
Ce ne sont que des polémiques sans importance sur Twitter, pourrions-nous dire. Après tout, elles concernent un faible nombre d’acteurs et ne dépassent guère les frontières des réseaux sociaux. Elles se succèdent semaine après semaine, après n’avoir, dans la plupart des cas, pas duré plus de deux ou trois jours. C’est vrai ; et à chaque épisode du genre, on se demande, en tant que journaliste, s’il est bien utile de donner plus d’écho à ces agitations. Le problème est que ce qui se passe sur les réseaux sociaux a régulièrement, pour les personnes ciblées, des répercussions. Le numéro de téléphone de Maryam Pougetoux a été balancé sur Twitter avec un appel à la harceler. Mennel a dû quitter The Voice. La nomination de Rokhaya Diallo au Conseil national du numérique a été annulée. Il y a quelques jours, la même Rokhaya Diallo a fait l’objet d’une polémique montée en épingle autour d’un tweet qu’elle avait publié sur la couleur des pansements.
Les exemples abondent. Des personnes, comme l’humoriste Yassine Belattar, ou des associations comme Lallab voient désormais leur nom irrémédiablement accolé à des qualificatifs comme «islamiste», «controversé» ou encore «racialiste». Les campagnes peuvent aussi viser une jeune étudiante qui a eu le malheur de défendre, sur un plateau de télévision, la possibilité de militer en organisant des réunions en non-mixité – on fera alors tourner un charmant montage la qualifiant de «folle». Certains journalistes sont évidemment disqualifiés, puisqu’ils soutiendraient, eux aussi, «les islamistes». Ainsi en va-t-il du directeur de Mediapart, Edwy Plenel, accusé d’avoir couvert Tariq Ramadan, ou de la directrice du Bondy Blog, Nassira El Moaddem.
«A l’exception [de la journée «Toujours Charlie» organisée à Paris le 6 janvier], le Printemps républicain, en près de deux ans d’existence, n’a […] rien produit d’autre que des polémiques sur Twitter», relevait Le Monde dans un portrait consacré à Laurent Bouvet en février. La troisième année semble mal engagée.