«Loi de fiabilité et de confiance de l’information»: de la transparence, oui, mais à tous les niveaux
Pour les chercheurs Julia Cagé, Nicolas Hervé et Marie-Luce Viaud, auteurs de L'information à tout prix (INA, 2017), l'annonce d'une «loi de fiabilité et de confiance de l’information» ressemble furieusement à de la communication politique plutôt qu'à une réelle envie de changer les choses.
Les « fake news », tout le monde en parle sans que personne ne sache vraiment ce dont il s’agit. Derrière cette appellation popularisée outre-Atlantique au cours de la dernière campagne présidentielle, se cachent finalement toutes les techniques permettant d’influencer ou de manipuler l’opinion. Vieilles comme la politique, ces techniques se sont simplement adaptées au monde numérique, gagnant ainsi en ampleur et en rapidité. Sujet d’inquiétude du moment, elles sont au cœur du débat politique, on va jusqu’à leur prêter le pouvoir de faire vaciller les démocraties en influençant les électeurs. Regardez l’élection de Donald Trump ! Voyez le Brexit ! C’est aller un peu vite et oublier trop facilement que dans le débat public sur tout sujet de société, et a fortiori dans le monde politique, le mensonge, l’omission, le détournement, le discrédit ou les coups-bas ont de tout temps fait partie de l’arsenal des intervenants. Malgré cela, les démocraties ont choisi de consacrer la liberté d’expression comme valeur cardinale, l’une des principales garantes de son existence même.
Aujourd’hui, la situation serait différente du fait de l’existence des principales plateformes Internet et des réseaux sociaux, nouveaux intermédiaires entre producteurs et consommateurs d’information. Il serait devenu absolument nécessaire de contrôler ce qui s’y passe pour limiter l’influence néfaste d’acteurs aux intentions malhonnêtes. Ce débat est presque aussi vieux qu’Internet. En tant qu’outil de communication décentralisé et mondialisé, il échapperait aux règles établies pour les canaux de diffusion plus anciens tels que la télévision, la radio ou la presse. On se souvient des échanges virulents et des procès de la fin des années 90 et du début des années 2000, sur les plateformes d’hébergement web (prémisses des réseaux sociaux actuels en ce qu’elles permettaient à tout un chacun de publier facilement du contenu sur Internet) et finalement de la clarification des rôles entre éditeur et hébergeur. La législation a évolué et retranscrit dans la LCEN (loi de confiance dans l’économie numérique) les rôles et responsabilités des différents acteurs. Les limites que la loi fixe à la liberté d’expression peuvent aussi s’appliquer sur Internet, on ne compte d’ailleurs plus les procès pour diffamation suite à une publication numérique. Au-delà du vieux monde qui tarde à mourir, aller plus loin dans la régulation, c’est franchir le Rubicon de définir dans la loi la notion de vérité ou de détenteur a priori de cette vérité.
Pour contrer ces « fake news », nous devons donc nous situer sur le plan du débat public, de l’affrontement des idées, de la déconstruction des mensonges et contre-vérités. On sait que l’histoire est écrite par les vainqueurs, mais encore faut-il ne pas partir défaitiste dans cette bataille. Il faut miser sur l’intelligence, individuelle et collective. L’éducation est donc ici en première ligne pour donner au citoyen les clés du monde qui l’entoure, développer son esprit critique et l’armer pour décrypter l’information. Nous avons, en France, de gros efforts à faire sur ce sujet si l’on regarde les moyens financiers qui sont effectivement investis par rapport aux autres pays de l’OCDE ou si l’on écoute les discours utilitaristes souhaitant former des travailleurs adaptés aux besoins des entreprises avant d’en faire des citoyens avertis. Des programmes d’éducation à l’information sont mis en place, de nombreuses initiatives apparaissent, souhaitons qu’elles aient les moyens de se développer.
Autre acteur principal, le journaliste a un rôle clé dans cette guerre de l’information. Chargé de chercher, choisir, vérifier, recouper, trier et mettre en forme l’information, il est un médiateur essentiel des débats de société. Il est donc primordial qu’il puisse d’une part exercer son métier dans de bonnes conditions, et d’autre part de garantir un réel pluralisme de nos médias. La loi pose quelques garde fous et organise un système d’aides publiques sensés protéger ces conditions d’exercice. Qu’en est-il concrètement ? La confiance dans les médias, même si elle est supérieure à celle placée dans les réseaux sociaux, reste relativement basse. Plus inquiétant, un nombre important de citoyens affirment se désintéresser de l’actualité et, ceci étant probablement lié, une majorité pense que les journalistes ne résistent pas aux pressions de l’argent. Les entreprises de presse – qui cherchent depuis plusieurs années à adapter leur modèle économique et ont récemment dérouler le tapis rouge à Facebook dans l’optique d’élargir leur audience en ligne pour compenser l’érosion des ventes en kiosque – ont probablement contribué à un certain mélange des genres et à rendre difficilement lisible la distinction entre les différents types d’informations qui y circulent. Un autre biais est le choix éditorial de quelques médias axé sur l’infotainment ou une certaine dérive vers le titre accrocheur, l’information sensationnelle, l’émotion facile en vue de générer des clics, du partage, de l’audience à tout prix. La frontière floue est donc parfois savamment entretenue.
Une loi sur les « fake news » doit arriver très prochainement à l’Assemblée Nationale. Même s’il est difficile de la juger précisément tant que le texte n’est pas connu, il semble bien que la principale cible soit l’ingérence d’une puissance étrangère dans les débats électoraux français. Tout le monde pense à la Russie qui serait derrière l’élection de Donal Trump ou le Brexit (même si cela reste d’ailleurs à être démontré scientifiquement). Nommée « loi de fiabilité et de confiance de l’information » elle souhaite, pour la partie concernant les réseaux sociaux, rendre plus transparente la diffusion de contenus qui ont été sponsorisés pendant les cinq semaines précédent une élection. Point positif de cette approche, elle reconnaît que l’argent peut largement influencer les informations diffusées et que la transparence est une piste importante pour que le débat puisse se tenir, sans censurer mais en sachant clairement qui parle et quels moyens il met en œuvre pour s’exprimer. Mais alors, pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Quelle urgence y a-t-il à répondre aux vœux présidentiels à la presse par une loi préparée en catimini et à la va-vite ? Au prix d’un contournement du processus législatif en faisant porter la loi par un député plutôt que par le gouvernement pour éviter une étude d’impact et un passage au Conseil d’État ? Tout ceci ressemble furieusement à de la communication politique plutôt qu’à une réelle envie de faire changer les choses.
Nous sommes en effet en droit d’attendre autre chose d’une loi de confiance dans l’information. On l’a vu, la défiance envers les médias traditionnels est en partie due au fait qu’on les soupçonne, eux-aussi, d’être sous l’influence de l’argent. Cette influence s’exprime principalement de deux façons. Aujourd’hui en France, la grande majorité des groupes de presse est détenue par des industriels dont les médias ne sont pas l’activité principale. Il s’agit souvent d’un enjeu de pouvoir et d’influence pour eux. L’ingérence d’un actionnaire sur la ligne éditoriale n’est pas obligatoire, pas systématique. Il n’est bien évidemment pas question de douter de l’éthique ou du professionnalisme du journaliste, mais dans les rédactions les anecdotes sont nombreuses sur des articles qui passent à la trappe, des coups de pression sur l’angle d’un papier, voire des licenciements pour avoir franchi la ligne jaune, non écrite, implicite. L’auto-censure guette, d’autant que les journalistes sont de plus en plus précaires ce qui ne les incite pas à lever la tête.
L’influence de l’argent passe également par la publicité. Bien qu’en baisse dans la part des recettes de la presse, elle n’en demeure pas moins une source importante de revenus. Les dépenses en communication des grands groupes industriels sont également un moyen pour eux de s’acheter une influence sur les organes de presse. Là encore, combien d’anecdotes dans les salles de rédaction ? N’y a-t-il pas des rubriques dans la presse quand ce ne sont pas des suppléments dont le seul but est d’attirer les pages de publicité les plus rentables ? Ne voit-on pas régulièrement des menaces de retrait de budgets publicitaires suite à un article ayant déplu ? Que dire des contenus sur Internet dont le seul but est de provoquer des clics en espérant ainsi vendre plus de bandeaux publicitaires ?
L’influence de l’argent sur le travail des journalistes est difficilement quantifiable et même si, au final, il ne s’agissait que de suspicions, il est important que ces derniers puissent avoir des conditions de travail sereines afin de lever le doute qui peut exister sur leur indépendance. Le regain de confiance du citoyen dans la presse et, par là-même, sa bonne information, diverse, éclairée, est nécessaire à l’exercice de son devoir civique et à ses choix politiques. La lutte contre les « fake news » passe bien évidemment par des médias qui ont la confiance de la population.
Nous l’avons déjà écrit, il faut donc revoir la régulation de l’actionnariat des entreprises de presse, qui ne peuvent pas être considérées comme des entreprises classiques. L’information qu’elles produisent est un bien public vital qui ne peut être assimilée à un bien de consommation comme un autre. Éviter une trop forte concentration, faire émerger davantage de structures à but non lucratif, repenser les aides à la presse sont autant de leviers pour y parvenir. La transparence est également un élément important. Que ce soit dans l’actionnariat, mais également dans les autres sources de capitaux pour la presse. Il semblerait ainsi judicieux d’étendre cette transparence aux revenus publicitaires. Au même titre que les contenus sponsorisés sur Internet, on pourrait imaginer que les titres de presse indiquent l’origine et les montants des campagnes publicitaires qu’ils relayent.
Ces débats sur la place des médias dans notre société ont été en partie évoqués pendant la dernière campagne présidentielle. Des propositions avaient été effleurées. Les hommes et femmes politiques de tous bords sont souvent prompts à critiquer le traitement médiatique dont ils sont l’objet ou à accuser la presse de l’impopularité de leurs projets de réforme en arguant d’un manque de pédagogie. Doit-on donc se contenter dans une loi de confiance dans l’information d’une obscure opération de communication ou souhaite-t-on aborder le fond du problème et se donner les moyens d’avoirs des citoyens correctement et sereinement informés ?