« Je me suis sentie humiliée » : basketteuse depuis 10 ans, Salimata a été exclue du terrain à cause de son voile
Alors que le hijab de sport est porté par de nombreuses athlètes dans le monde, la Fédération française de basket l’interdit à ses joueuses en compétition. Pourtant les Jeux olympiques de Paris 2024 l’autoriseront pour les joueuses étrangères. Une « injustice » selon Salimata Sylla, basketteuse depuis treize ans, qui nous raconte sa première exclusion d’une compétition.
« Salimata, c’est le pilier de notre équipe. C’est une très bonne joueuse sur laquelle on compte et c’est aussi une ambassadrice du sport. Là, on nous prive d’un modèle pour la jeunesse. » Sébastien Marie-Sainte, le président du club de basket d’Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) n’en revient pas. Salimata Sylla, l’une de ses joueuses phares, qui officie comme meneuse de jeu en N3, a été exclue lors d’une compétition dans le nord de la France, début janvier. Pour la première fois.
Le match n’avait pas débuté lorsque l’arbitre a fait savoir à l’entraîneur que la jeune femme de 25 ans – qui joue depuis plus de dix ans en Championnat de France – resterait sur le banc. Ce qu’on lui reproche ? De porter un couvre-chef. Salimata, de confession musulmane, couvre en effet ses cheveux avec un hijab de sport, un accessoire vendu par de nombreux équipementiers sportifs depuis plusieurs années maintenant. Elle, qui le porte depuis bientôt trois ans, n’avait jusqu’ici jamais été empêchée de jouer en compétition.
« Je gagne ma place pour ce match, je me lève un dimanche pour faire trois heures de route jusqu’à Escaudain (Hauts-de-France), je me change et je m’échauffe avec mes coéquipières pour ensuite être exclue ? Alors que j’ai un couvre-chef homologué ? » s’interroge Salimata Sylla. « Je me suis sentie humiliée » avoue-t-elle, blessée. Une situation d’autant plus incompréhensible pour elle qui travaille quotidiennement à rendre son sport plus inclusif et accessible auprès des jeunes et des femmes, tantôt avec sa casquette associative, tantôt en tant qu’ambassadrice pour des marques sportives dans leurs campagnes sur les réseaux sociaux.
Un récent rappel à la règle aux arbitres
Si le règlement de la Fédération française de basket (FFBB) mentionne en effet l’interdiction du couvre-chef depuis « trois ou quatre ans » selon le président du club d’Aubervilliers, « la chasse aux sorcières » n’aurait véritablement commencé qu’en janvier et « Sali » – comme la surnomment ses amis – ne serait « pas un cas isolé ». Et cette impression ces derniers jours d’un « tri » parmi les joueuses présentes sur le terrain n’est pas dû au hasard : un rappel à la règle a effectivement été transmis aux arbitres au mois de décembre.
Le Parisien s’est procuré l’e-mail envoyé par l’un des responsables de la Ligue Île-de-France de basket-ball. Celui-ci ayant pour objet « Info port du voile », alors même que ce terme n’est jamais utilisé dans le règlement, [puisqu’il peut légalement être considéré comme discriminatoire car visant directement la communauté musulmane] qui mentionne plutôt le terme de « couvre-chef ».
« Une décision écœurante » selon Romy, une des coéquipières de Sali qui a assisté – impuissante – à son exclusion du terrain. « Le port du voile, c’est un non-sujet entre nous, rappelle Muriella, une autre joueuse. On est toutes là pour faire du sport, pas pour se regarder les unes les autres. » Romy ironise : « Quand la fédération parle de « couvre-chef », je trouve ça hypocrite. On dirait que les joueuses se ramènent avec un chapeau de cow-boy ».
Contactée à plusieurs reprises, la FFBB n’a pas donné suite à nos sollicitations sur la raison de cette règle qui n’est pas appliquée par la FIBA, la fédération internationale de basket. Ni sur la sécurité des hijabs de sport que proposent pourtant à la vente de nombreux sponsors d’équipes sportives à travers le monde, à l’instar de Puma, Nike, Adidas, Asics, etc.
Salimata rappelle d’ailleurs que dans un an, la France accueillera les Jeux olympiques et paralympiques « et que plusieurs athlètes étrangères viendront participer avec leur couvre-chef alors que dans le même temps, on exclut les Françaises qui le portent. » La Fédération française de basket est d’ailleurs la seule instance sportive – avec la Fédération française de football – à empêcher le port du voile dans ses compétitions. Et plus globalement, à échelle mondiale où la France fait figure d’exception, même au niveau européen.
À l’été 2022 déjà, Diaba Konaté, une basketteuse française qui étudie et joue aux États-Unis, avait été empêchée de jouer en France lors du tournoi Open Plus, organisé au Pouliguen (Loire-Atlantique), par la Fédération française. Ayant l’habitude de jouer avec son hijab Outre-Atlantique, la joueuse avait exprimé son indignation sur ses réseaux sociaux.
« Pourquoi aller à l’encontre de la charte éthique qui encourage la pratique féminine et à lutter contre toute discrimination ? »
Plus récemment, Shahed Darvish, le président du club de Bonneuil-sur-Marne (Val-de-Marne) a publié un vif communiqué pour indiquer qu’il ne participerait plus à aucune réunion de comité tant que « cette règle absurde » qui « nuit au basket féminin » sera présente dans le règlement. Il fait savoir qu’il se retira de la présidence du club en fin de saison si rien n’est fait du côté des « instances complètement déconnectées de la réalité ».
« Ma position c’est de ne pas incriminer une instance plus qu’une autre, tempère de son côté Sébastien Marie-Sainte, à Aubervilliers. Mais plutôt de dire qu’il y a une règle aujourd’hui et qu’elle n’est pas forcément juste. Alors, que fait-on pour que personne ne soit lésé, que l’on puisse ne pas discriminer ? La charte éthique du basket éditée il y a quelques années parlait d’encourager la pratique féminine et de lutter contre toute discrimination. Pourquoi aller à l’encontre de ce texte aujourd’hui ? »
Et Salimata de conclure : « Je veux juste jouer au basket. Et que les autres femmes et jeunes filles aient cette même possibilité. C’est grave de demander ça en 2023. »