Vie chère, la misère : la double peine des ménages pauvres qui s’aggrave avec l’inflation
A la veille de la Journée mondiale du refus de la misère, plusieurs dizaines de milliers de manifestants ont parcouru le pavé parisien dimanche 16 octobre pour protester « contre la vie chère ». Une préoccupation très marquée des Français alors qu’une étude vient démontrer que les pauvres paient comparativement plus cher que les autres pour des biens et services essentiels.
Certains étaient venus de leur lointaine province, en car affrété par la France Insoumise. D’autres avaient pris le métro ou le RER pour rejoindre la manifestation organisée à Paris par toutes les organisations politiques réunies au sein de la Nupes. Ce dimanche 16 octobre, le pari de Jean-Luc Mélenchon n’est pas perdu : le nombre de manifestants est suffisant pour permettre au leader de LFI d’avoir initié, selon lui, « une sorte de Front populaire qui exercera le pouvoir le moment venu ». Et de prédire, avec la grève interprofessionnelle du 18 octobre, « une semaine hors du commun » pendant laquelle « la secousse va aller en profondeur dans les institutions ».
Il est vrai que l’inflation galopante que subissent les ménages depuis des mois et les grèves dans les raffineries qui se poursuivent malgré des accords d’entreprise signés par la CFDT et la CFE-CGC font monter la pression politique sur le gouvernement. Au mécontentement des salariés de Total Energies et Exxon s’ajoute la mauvaise humeur des automobilistes de plus en plus nombreux à manquer d’essence. Une situation qui, en outre, fait bondir le prix des carburants.
Dimanche soir, sur le plateau de TF1, Elisabeth Borne a annoncé la prolongation de la ristourne de l’État – 30 centimes – jusqu’à mi-novembre. La Première ministre a aussi insisté sur l’importance de « savoir sortir d’une grève » en demandant à la CGT « de ne pas bloquer le pays », alors qu’environ 30 % des stations de distribution de carburant sont en rupture de stock. Un appel jusque-là vain, poussant le gouvernement à prendre des mesures de réquisitions de personnels pour débloquer des dépôts de carburants.
La « double peine de la pauvreté »
A l’heure de la Journée mondiale du refus de la misère, une enquête sur « la double peine de la pauvreté », révélée lundi 17 octobre mais dont les premiers résultats avaient été présentés lors d’une table ronde en juin, est particulièrement intéressante à mettre en lumière. Initiée par Action Tank Entreprise & Pauvreté, qui se présente comme un « laboratoire d’innovation sociale » réunissant entreprises, acteurs publics, associations et chercheurs afin de contribuer à la réduction de la pauvreté et de l’exclusion en France, elle a été réalisée en partenariat avec le Boston Consulting Groupe (BCG) et la Banque Postale.
Ce phénomène de double-pénalité de pauvreté handicape les ménages pauvres : en plus de subir un pouvoir d’achat plus faible que la moyenne des Français, ils doivent payer un même bien ou service plus cher par unité de consommation. Le phénomène est insidieux et touche des dépenses sur des catégories de dépenses telles que les charges liées au logement (énergie, assurance logement), le transport (consommation de carburant, entretien, assurances) ou les coûts liés au crédit.
« En 2022, on estime que la double pénalité brute annuelle s’élève à 1 536 €, soit 8,7 % des dépenses. Certaines aides permettent de réduire ses effets à 96€ de double pénalité nette annuelle, soit 0,6 % des dépenses », indique la structure. « Néanmoins, selon leurs profils et capacité à bénéficier ou non de ces aides, de nombreux ménages sont confrontés à une double pénalité nette qui peut atteindre plusieurs milliers d’euros par an. »
« Le profil de risque, le manque de trésorerie des ménages pauvres ne leur permet pas d’accéder à des biens de qualité moyenne, fait-on savoir. Par manque d’informations, les ménages pauvres ont des comportements de consommation à leur défaveur. Par exemple, le mauvais dimensionnement de leur assurance ou les frais importants de gestion de leur compte bancaire. » Sans compter le nombre important d’entre eux qui ne réclament pas les aides sociales auxquelles ils pourraient prétendre, par ignorance ou par fierté excessive.
A chacun son rôle pour réduire le phénomène
« En matière de connaissance, la mesure de l’intensité de la double pénalité doit être améliorée », affirme Action Tank Entreprise & Pauvreté. Quant aux entreprises opératrices de certains des biens et services sur lesquels une double peine est mise en lumière, « il est possible de développer des offres inclusives qui ont un effet de réduction de la double-peine brute. C’est une des raisons d’être de l’Action Tank que de définir les contours, les conditions de telles offres et de favoriser leur passage à l’échelle ».
Enfin, « les pouvoirs publics ont également un rôle à jouer : au travers de règlementations protégeant les clients les plus fragiles qui permettent de réduire la double pénalité brute, et d’aides ciblées qui permettent aux ménages éligibles de réduire leur double pénalité nette. Les montants, modalités et conditions d’éligibilité de ces aides sont autant de curseurs pour s’assurer qu’elles atteignent bien ceux qui ressentent le plus durement la double pénalité ». Par ailleurs, « la lutte contre le non-recours aux aides existantes par l’Etat, les collectivités, les acteurs associatifs, mais aussi les entreprises vis-à-vis de leurs salariés, ou les banques vis-à-vis de leurs clients, est également un levier de réduction de la double pénalité nette ».
« Pour cesser de faire payer à certains ménages deux fois le fait d’être pauvre, une combinaison de ces leviers (adaptée selon les catégories de dépenses) doit être explorée et mise en place », conclut le rapport. « Ce passage à l’action est d’autant plus nécessaire dans le contexte actuel d’hausse généralisée des prix qui risque fort de conduire, mécaniquement, à une augmentation des montants de doubles pénalités éprouvées. »