Hajj 2022 : l’organisation du pèlerinage menacée en France, la mort annoncée des agences de voyage
Sale temps pour les agences de voyage spécialisées dans l’organisation du pèlerinage. Alors qu’un quota de pèlerins a été attribué à la France pour accomplir le hajj, les structures habituellement agréées pour organiser ce rite n’ont toujours pas reçu d’autorisation officielle pour exercer, non sans fâcheuses conséquences sur elles comme sur les pèlerins. Un professionnel du secteur témoigne sur Saphirnews d’une situation difficile et complexe qui pousse bien des structures à envisager l’annulation pure et simple du hajj cette année et, surtout, annonce la mort prochaine des agences telle qu’elles sont aujourd’hui en France.
Ces toutes dernières années, la menace de mettre la clé sous la porte se fait lourde sur les agences de voyage spécialisées dans le pèlerinage. Au sortir de deux années d’interruption de travail en raison de la pandémie de la Covid-19, elle se précise plus que jamais en 2022.
A 30 jours du début annoncé du hajj, les agences de voyage n’ont, en effet, toujours pas reçu l’agrément qui leur permet d’organiser les séjours hajj en bonne et due forme alors même que la France métropolitaine s’est vue accorder un quota de 9 268 pèlerins sur le million de musulmans autorisés à se rendre à La Mecque. Le même problème est observé dans plusieurs pays européens, à l’instar de la Belgique où le quota s’élève en 2022 à quelque 1 500 pèlerins.
Devant une telle incertitude, la menace d’une annulation pure et simple du hajj en France plane plus que jamais. Entretemps, des mises en garde ont été lancées aux responsables des agences. « Il nous a été signifié que, tant que nous n’avons pas reçu une note officielle du ministère du Hajj nous autorisant à exercer, ceux qui donnent des acomptes pour réserver des hôtels ou des vols, c’est à leurs risques et périls s’ils ne sont finalement pas sélectionnés dans le pool des agences organisatrices. Elles devront en assumer les conséquences en cas de pertes » auprès des pèlerins, affirme auprès de Saphirnews Kamel S. (prénom modifié), un professionnel du secteur en France opérant à Paris.
Or, des agences dont l’agrément est habituellement reconduit chaque année l’ont fait car, selon ce fin observateur du marché du hajj, « dès qu’elles ont reçu, début mai, l’information selon laquelle le hajj pourra avoir lieu cette année, elles ont pensé que le pèlerinage s’organisera comme les années précédentes ». Sauf qu’à trois semaines des premiers départs supposés, « personne ne sait si on va pouvoir exercer cette année, ni dans quelles conditions. On n’est pas sûrs de pouvoir honorer les demandes des voyageurs ». L’inquiétude, légitime, ne fait que monter chaque jour un peu plus.
Un marché en pleine mutation
A ce jour, officiellement, dans les pays non musulmans où la gestion du hajj est privative, ce sont toujours les agences de voyage qui sont appelées à s’occuper de l’organisation du grand pèlerinage. Elles étaient même chargée de celle du petit pèlerinage jusqu’en 2019, année de la mise en place du visa touristique qui a ouvert la possibilité aux musulmans de réaliser une omra à la carte sans passer par les agences. Un changement notable qui s’inscrit dans le cadre du plan Vision 2030 visant à diversifier l’économie saoudienne.
C’est un schéma similaire que souhaite appliquer le royaume pour le hajj, sans l’être complètement du fait des spécificités et des contraintes tant rituelles qu’organisationnelles de ce pilier de l’islam par rapport à la omra. Il reste, selon Kamel S., qu’une plateforme de réservation a été créée en vue de mettre en place la vente directe de prestations liées au hajj aux pèlerins. Dans cette nouvelle configuration, les agences de voyage sont globalement hors-jeu. A ce stade, la plateforme n’a pas été mise en service et tout lancement, si près du hajj, sans possibilité pour les pèlerins de se rabattre sur les agences en guise de solution intermédiaire, serait plus qu’hasardeux pour les autorités saoudiennes.
Une réponse rapide nécessaire vers le 8 juin
En attendant qu’une telle stratégie se confirme, « rien n’arrive, dans un sens comme dans un autre », peste Kamel S. pour qui « les agences sont pris en otage ». « On n’a pas notre mot à dire, on ne fait que subir. Si on nous dit d’exercer, on le fera. Si on nous dit de ne pas exercer, il faudra convoquer les passagers et leur dire qu’on ne pourra rien faire pour eux. Ce sera difficile à gérer mais ce ne sera pas de notre faute. » Du moins pour celles qui ont joué la carte de la prudence en ne donnant pas d’acomptes. Une autre galère en perspective.
L’espoir reste permis. Une délégation de la Coordination des organisateurs agréés Hajj de France (CHF), avec des représentants d’agences, sont sur place, en Arabie, pour essayer d’obtenir gain de cause auprès du ministère du Hajj. Leur deadline pour obtenir une reponse ? D’ici aux alentours « du 7 ou du 8 juin », un mois pile avant le hajj. Pour Kamel S., « on ne peut pas aller au-delà parce qu’il faut du temps pour organiser le hajj techniquement, pour obtenir les visas, trouver des vols et des chambres, préciser les dates… Il risque d’y avoir des loupées (comme en 2019, ndlr), même en mettant une équipe dynamique du matin au soir, sept jours sur sept, car on ne peut pas faire en quelques jours ce qui se fait en plusieurs semaines. C’est difficile et frustrant, surtout quand on veut travailler de manière rigoureuse et professionnelle ».
Une flambée des prix qui ne cessera pas à l’avenir
En raison du flou de la situation, « les prix affichés par les agences sont souvent approximatifs non pas parce que les agences arnaquent les pèlerins, qu’elles ne sont pas sérieuses ou qu’elles n’ont pas envie de bosser dans la transparence, c’est qu’elles n’ont pas d’éléments de réponse à apporter aux pèlerins tout simplement », déclare Kamel S.
Des prix approximatifs car des compagnies aériennes ont reçu « instruction de nous donner ni vols ni grilles tarifaires tant que l’agrément ne nous a pas été octroyé ». Il en va de même pour des hôtels. « Nous avons du mal à construire un prix et un programme. » Néanmoins, en prenant en compte l’augmentation générale du coût des hébergements et des billets d’avion, ou encore l’envolée des taxes saoudiennes en rapport notamment avec les travaux en cours menés à Mina et à Arafat, les agences sont en mesure d’estimer le coût du hajj. « Ce sont des calculs de probabilités qu’on a l’habitude de faire en tant que professionnels du tourisme en se calant sur le marché très concurrentiel mais toujours règlementé du hajj. »
Résultat, les forfaits s’élèvent globalement cette année entre 8 500 et 9 500 € par personne en France, quand il était à 6 000 € avant la pandémie. Des prix très élevés qui obligent des aspirants pèlerins à reporter leur voyage. Pour Kamel S., « la règle sur le hajj, c’est que les prix montent, mais ne redescendent jamais. Si une personne n’a pas les moyens de le faire cette année, il sera difficile de les avoir l’année prochaine ». Le hajj devient assurément un produit touristique haut de gamme.
Les agences jouent leur survie, les pèlerins trinquent
Au bout du compte, « ce sont les pèlerins qui trinquent ». Plus encore ceux provenant de pays à faible population musulmane où les enjeux sont négligeables pour l’Arabie Saoudite. « Le hajj est très complexe dans son organisation et la dimension humaine n’est pas prise en compte dans les calculs des Saoudiens. On ne gère pas du bétail mais des êtres humains qui ont besoin de poser des congés et de s’organiser pour la garde de leurs enfants. »
A côté, les agences opérant en France mais aussi ailleurs en Europe jouent leur survie après deux années de Covid. « Les agences sont dans une phase où elles n’arrivent plus à se projeter. On part sur des situations de quasi faillites pour plusieurs d’entre elles. Celles qui ont de la trésorerie et les reins solides pourront résister jusqu’à l’année prochaine, si le système existe encore », prévoit le professionnel. Ce sera au bon vouloir des autorités saoudiennes ; la balle est dans leur camp.
Source : SaphirNews