Face à une jeunesse étudiante en détresse, la solidarité portée à bout de bras
Loin des polémiques entourant un supposé « islamo-gauchisme » qui gangrènerait les universités, la jeunesse étudiante n’a de cesse de le répéter : elle traverse une passe des plus compliquées. Face aux dures conséquences de la crise sanitaire, un véritable élan de solidarité s’est manifesté ces dernières semaines, avec une multiplication d’initiatives un peu partout en France. Mais pour les responsables de structures estudiantines, « l’heure est grave ! » et « le poids de la précarité étudiante ne peut plus reposer sur les seules épaules des associations ».
La crise du Covid-19 a laissé dans son sillage une économie en berne. Et en France, l’une des catégories de la population les plus touchées sont les étudiants. Depuis plusieurs mois, associations et organisations étudiantes tirent la sonnette d’alarme. L’immolation par le feu d’Anas, un jeune de 22 ans devant une des antennes du Crous de Lyon le 8 novembre 2020 est venu rappeler le drame en cours qui se joue pour une grande partie de la jeunesse étudiante.
Les chiffres viennent confirmer la situation préoccupante dans laquelle elle se trouve. Selon une enquête de l’Observatoire de la vie étudiante (OVE) réalisée en septembre 2020, 58 % des jeunes qui exerçaient une activité rémunérée en parallèle de leurs études ont dû y renoncer, ou réduire leur temps de travail. Ce temps mort représente un véritable trou dans leur budget, entraînant une perte de revenus souvent vitale estimée à 274 euros par mois, révèle encore l’enquête.
Face à l’urgence de la situation, une partie de la société civile est passée à l’action pour aider cette jeunesse à sortir la tête de l’eau à travers la France. C’est notamment au sein même de la communauté étudiante que bon nombre de personnes se sont mises en mouvement.
Quand des étudiants se mobilisent pour leurs camarades
Née sur le campus de l’université Panthéon-Sorbonne (Paris 1) à la veille de la rentrée universitaire 2020-2021, Cop1 s’est construit comme un rempart à la précarité étudiante après le premier confinement, explique à Saphirnews Lucine Didier, la cofondatrice de l’association. « On a vu des étudiants comme nous tomber dans la précarité alors qu’avant ils arrivaient à joindre les deux bouts » grâce à leurs emplois étudiants. Des petits boulots indispensables mais qui furent perdus pour les uns, introuvables pour d’autres à la rentrée.
Le réseau étudiant mis en œuvre « par des étudiants et pour des étudiants » organise ainsi deux fois par semaine la distribution de 500 paniers comprenant 7 à 8 kilos de produits alimentaires divers permettant de « tenir idéalement une semaine », indique la cofondatrice. Des fruits et légumes frais, des plats préparés livrés par l’association de lutte contre le gaspillage Le Chaînon manquant qui récupère les plats des cantines d’entreprises, des pains et pâtisseries fournis l’association « Pâtisseries solidaires », des repas et produits de première nécessité donnés par le mouvement du Beurre dans les épinards… Les bénévoles de Cop1 s’appuient sur un grand réseau de solidarité qui leur permet de donner un coup de pouce aux plus démunis. De kits d’hygiène sont également remis aux bénéficiaires de ces paniers.
Malheureusement, l’association est vite devenue victime de son (triste) succès, tant et si bien qu’elle a dû mettre en place une liste d’attente. « Au départ, on organisait une distribution par semaine et très rapidement, on s’est rendu compte que ce n’était pas suffisant », rapporte Lucine Didier. « On a donc mis en place deux distributions sachant qu’on a encore beaucoup de mal à trouver des denrées pour pouvoir faire de vrais paniers chaque semaine », déplore-elle. Ce qui interpelle d’ailleurs la jeune femme est la file d’étudiants qui se rallonge chaque jour à la porte de la Maison des initiatives étudiantes (MIE) chaque vendredi et samedi. Des images, ici parmi tant d’autres, qui suscitent des réactions émues sur les réseaux sociaux.
« On observe une explosion du nombre de bénéficiaires à laquelle on fait tout pour répondre. Avant, les créneaux de distribution se remplissaient au bout de deux ou trois jours, ce qui était déjà assez court comme délai. Maintenant, sur certaines semaines, les places partent en quelques heures », constate-elle. Ce douloureux constat a poussé les bénévoles de Cop1 à tirer la sonnette d’alarme sur sa page Facebook fin janvier : « Cette situation est inacceptable : elle ne devrait pas exister. Agissons ensemble et faisons entendre notre voix, la voix des étudiantes et étudiants qui disent stop. »
Cette situation joue inévitablement sur le moral des étudiants, déjà fragilisés par les restrictions des contacts sociaux et l’impossibilité de suivre les cours normalement à l’université. « Au niveau psychologique et mental, c’est vraiment dur pour eux. Des étudiants nous disent “J’ai peur pour l’avenir” », confie Lucine. « C’est dessus que nous alertons. »
« Le poids de la précarité étudiante ne peut plus reposer sur les seules épaules des associations »
Dans une lettre ouverte adressée à Emmanuel Macron fin janvier, Etudiants Musulmans de France (EMF) a réclamé des « gestes forts » du gouvernement pour répondre à la montée du mal-être des jeunes de leur génération et « faire naître l’espoir d’une situation plus digne pour cet âge charnière ». « La situation actuelle qui, nous pouvons le dire, est critique, est pourtant dénoncée depuis plusieurs mois par les syndicats étudiants et les présidents d’université », signale l’organisation étudiante.
« Cette dégradation de la santé mentale et des conditions de vie dans le monde étudiant n’est pourtant pas nouvelle. La crise du Covid 19 n’a fait qu’aggraver la situation. La génération actuelle ne se sent pas assez soutenue, délaissée. (…) Le poids de la précarité étudiante ne peut plus reposer sur les seules épaules des associations », estime EMF, qui plaide pour le retour en présentiel en cours pour tous les étudiants allant au-delà d’un jour par semaine « le plus rapidement possible ».
« Cette dégradation de la santé mentale et des conditions de vie dans le monde étudiant n’est pourtant pas nouvelle. La crise du Covid-19 n’a fait qu’aggraver la situation. La génération actuelle ne se sent pas assez soutenue, délaissée. (…) Le poids de la précarité étudiante ne peut plus reposer sur les seules épaules des associations », fait part l’association.
En attendant ces gestes forts, elle s’est mise à pied d’œuvre pour, elle aussi, tendre la main aux plus précairex. Ainsi, l’antenne d’EMF de l’université Panthéon-Sorbonne organise depuis plusieurs semaines des opérations de distribution auprès des résidents des logements Crous. Une première opération a été organisée le 31 janvier au parc de Choisy dans le 13e arrondissement de Paris, où la structure a distribué 1 000 colis avec l’aide de Human Appeal. Elle a prolongé son action le 6 février en offrant plus d’une centaine de plats et de kits d’hygiène à des jeunes logés dans des résidences Crous à Paris et sa proche banlieue.
Des mosquées aussi se mobilisent, comme la Grande Mosquée de Paris qui apporte sa pierre à l’édifice en finançant depuis le 15 février des repas distribués tous les jours par la boulangerie Daubenton située dans le 5e arrondissement de Paris.
Une solidarité visible aux quatre coins de la France
La capitale et son agglomération ne sont pas les seules à concentrer un bon nombre d’initiatives solidaires. A Aix-en-Provence, l’association Patates créée voici quatre ans par trois prêtres effectue des redistributions de produits alimentaires à plus d’une trentaine d’étudiants par semaine et leur offre un espace d’échanges et de discussions aux plus isolés. Une main tendue plus que nécessaire tant le moral des étudiants est au plus bas.
Dans la métropole de Lyon, deux mamans ont elles aussi décidé de prendre le taureau par les cornes pour aider la population estudiantine. Anne Wuattier et Marion Dolizy Galzy ont imaginé la plateforme 1 cabas pour 1 étudiant pour mettre en relation les jeunes et leur voisinage. L’objectif ? Apporter une aide matérielle et donner aux jeunes la possibilité de recréer du lien social.
Grâce à cet espace, des binômes de parrains et de filleuls se constituent. Produits alimentaires, manuels scolaires, tickets de bus mais aussi billets de trains pour permettre aux plus éloignés de rejoindre leurs proches… Le parrain ou la marraine peut composer le panier comme bon lui semble, sans montant minimum obligatoire. Lancée le 8 février, la plateforme compte déjà un millier d’inscrits et a permis la création de 150 binômes.
Une forte action gouvernementale attendue
Si la société civile se mobilise largement autour de cette question, le gouvernement est plus que jamais appelé à réagir avec force avec des mesures impactantes. Après l’annonce en novembre 2020 de la création de 20 000 jobs étudiants grâce à des contrats passés avec les Crous, Emmanuel Macron a indiqué en janvier l’instauration de dispositifs comme la possibilité pour les étudiants d’accéder à deux repas par jour pour un euros ou encore l’allocation d’un « chèque-psy » depuis le 1er février pour permettre aux étudiants en situation de mal-être de consulter un psychologue, un psychothérapeutes ou un psychiatre.
Néanmoins, la grogne continue, les annonces ayant été jugées insuffisantes par des syndicats étudiants et les associations œuvrant sur le terrain. « Pendant toute l’année 2020, les étudiants ont été les grands oubliés », confie Lucine Didier. « On a pas pu retourner à l’université et on ne nous a pas forcément pris en compte. Ni notre mal-être ni le fait que les étudiants étaient parmi les premières victimes de la crise. (…) Le message qu’on veut faire passer : Ecoutez-nous, faites quelque chose, agissez parce que l’heure est grave ! »