La cause du terrorisme est bien plus que la religion
Une grande partie du public semble penser que l’islam radical est la cause du terrorisme. Or, la psychologie qui sous-tend la violence relève de bien davantage qu’une simple religion.
La série d’attaques terroristes qui frappe l’Europe et les États-Unis jette la lumière sur un débat apparemment insoluble. L’islam est-il responsable de la recrudescence de l’extrémisme violent ?
Le président américain Donald Trump et ses alliés répondent avec emphase : oui, incluant dans leur lutte contre la « terreur » l’interdiction d’accès des musulmans aux États-Unis et l’expulsion potentielle des personnes de confession musulmane présentes dans le pays.
Toutefois, afin d’élaborer une politique judicieuse en la matière, la bigoterie et la xénophobie sont un substitut médiocre à une analyse fondée sur des preuves. Des décennies de recherche sur l’extrémisme violent ont produit des connaissances empiriques capables de nous aider à affronter ce terrorisme beaucoup plus efficacement qu’en jouant avec les peurs.
Pas de « vrais » musulmans
Superficiellement, la connexion à l’islam radical est évidente. Les auteurs d’attaques – à Barcelone, Manchester, Londres, Nice, Orlando ou Paris – ont tous rendu hommage à l’État islamique (EI). Certains s’étaient rendus en Syrie.
Mais en réalité, ces assaillants et de nombreux autres comme eux sont loin de respecter les principes de l’islam :
• Salman Abedi, le terroriste de Manchester, était un fêtard ayant un goût prononcé pour la vodka au Red Bull et le hachich ;
• Mohamed Bouhlel, l’assaillant de Nice, avait des antécédents de petite criminalité, « ne priait pas et aimait les filles et la salsa » ;
• Omar Mateen, le tireur d’Orlando, et Salah Abdessalam, le leader du réseau des attentats de Paris, consommaient de l’alcool publiquement et régulièrement, et tous deux étaient des habitués des bars homosexuels ;
• Mateen avait des profils sur plusieurs applications de rencontres homosexuelles alors qu’Abdessalam était connu comme prostitué homosexuel ;
• Michael Zihaf-Bibeau, l’homme qui a abattu un soldat dans la capitale canadienne Ottawa, était un petit criminel consommateur de drogues qui, comme Abdessalam, avait fait de la prison.
L’histoire personnelle de nombreux auteurs d’actes terroristes dans les pays occidentaux correspond exactement à ce profil : enfance troublée, non-observance religieuse et criminalité occasionnelle. Ces caractéristiques conduisent de nombreuses personnes au sein de la communauté musulmane, ainsi que des experts comme Olivier Roy, à conclure que ces terroristes ne sont pas de « vrais » musulmans et que l’islam n’a aucun rapport avec leur violence.
L’importance de l’estime de soi
La recherche sur la « radicalisation » suggère qu’il n’y a pas de voie unique vers la radicalisation. Un fondement idéologique pour la violence telle qu’élaborée par Daech peut être un facteur.
Mais d’autres facteurs sont également importants : des griefs politiques ou sociaux ; un manque d’alternatives pour les formuler (par exemple, on a constaté une forte réduction de l’attrait exercé par des groupes violents au lendemain du Printemps arabe et une forte hausse après le coup d’État militaire en Égypte) ; les moyens et les ressources pour organiser une attaque ; et, enfin, des facteurs individuels.
La théorie de la gestion de la terreur, développée par un groupe de psychologues américains au cours des années 1980 et validée par plus de 400 études empiriques, peut nous aider à comprendre ces facteurs individuels.
Celle-ci pose que, parce que nous avons tous le désir de vivre, la conscience de notre propre mortalité peut conduire à une terreur existentielle potentiellement paralysante. Nous pouvons gérer cette terreur en niant que nous allons mourir (« Je suis trop jeune » ou « Je suis trop en bonne santé », etc.), mais, au final, nous la gérons en croyant en notre immortalité – soit littéralement (croyance en une vie après la mort), soit symboliquement (legs, travail, etc.).
En outre, pour que ce sentiment d’immortalité réussisse à atténuer la terreur de la mort, les individus doivent se croire dignes de ces récompenses.
En d’autres termes, pour que la croyance dans une vie après la mort ou qu’un héritage soulagent notre terreur de la mort, il nous faut croire que la façon dont nous avons vécu notre vie est digne du salut ou de l’adulation des autres hommes.
Les personnes manquant d’estime de soi, qui n’ont pas efficacement géré leur peur de la mort, réagissent en s’en prenant à ceux qui ne partagent pas leur vision culturelle du monde.
Par exemple, des études montrent que lorsque l’on évoque devant des Américains leur mortalité ou le 11 septembre, ceux-ci sont plus susceptibles d’être d’accord avec l’utilisation de tactiques extrêmes pour capturer ou tuer Oussama ben Laden, même en sachant que ces tactiques pourraient tuer également des milliers de personnes innocentes, et de soutenir l’utilisation d’armes nucléaires contre l’Iran.
De même, confrontés à leur mortalité, les Iraniens sont plus susceptibles d’exprimer leur soutien aux attentats-suicides contre des Américains. Dans les deux cas, les groupes de contrôle qui n’ont pas été exposés à l’idée de mourir ont répondu de manière plus tolérante et inclusive.
Un phénomène qui n’est pas propre à l’islam
Comment cela façonne-t-il les débats actuels ? Comment l’islam s’intègre-t-il dans cette équation ?
Abedi, Bouhlel et d’autres auteurs d’actes terroristes ayant manifesté une certaine religiosité ont un profil classique caractérisé par une faible estime de soi et ce que le psychologue de Harvard Gordon Allport a qualifié de « religiosité extrinsèque », où la religion sert essentiellement à s’identifier à un groupe social.
La religiosité intrinsèque, en revanche, décrit la religion comme une partie essentielle de ce qui définit des individus – comme une fin en soi. Il n’est pas surprenant que la religiosité intrinsèque, et non pas extrinsèque, protège contre la haine de – et les attentats contre – d’autres groupes, selon les études sur la théorie de la gestion de la terreur.
Ce phénomène n’est pas propre à l’islam et est en adéquation avec un rapport exhaustif du service de renseignements britannique, le MI5, selon lequel une identité religieuse peut en réalité protéger contre la radicalisation.
Les études menées dans le cadre de la théorie de la gestion de la terreur montrent qu’exposer les sujets à des passages positifs de leurs textes sacrés – par exemple, « Faites le bien aux autres, car Allah aime ceux qui font le bien » (Coran, 28:77) ou « Aimez votre prochain comme vous-même » – réduit la haine envers, et les attaques contre, autrui.
Mohamed Bouhlel et ceux dont l’éducation religieuse provient principalement de la propagande de l’EI ne peuvent s’appuyer sur ce fonds d’illumination spirituelle.
Ainsi, confrontés à des crises personnelles – telles que l’échec scolaire et l’isolement grandissant d’Abedi ou la rupture conjugale et les problèmes financiers de Bouhlel –, ils peuvent tenter de retrouver leur estime de soi en commettant des actes spectaculaires de terrorisme.
Le monde du « nous versus eux »
Une partie de la solution pour atténuer le risque terroriste peut effectivement consister en l’élaboration de politiques nationales et étrangères décentes afin de réduire les inégalités, l’isolement et l’injustice.
L’État islamique et les individus troublés utilisent la religion pour créer un monde du « nous versus eux ». Les mesures de sécurité punitives contre les musulmans renforcent cette vision binaire. Les populistes comme Trump semblent ne pas avoir conscience du fait qu’ils reflètent les discours mêmes qu’ils prétendent combattre.
Leurs mesures, à leur tour, peuvent pousser toute une génération de jeunes musulmans à approcher leur foi non pas comme un chemin vers l’épanouissement social et l’illumination spirituelle, mais plutôt comme une identité extrinsèque qui les aide à s’affirmer dans un monde hostile. Cela joue directement en faveur de l’EI, dont les discours renforcent exactement ce dont mettent en garde les études sur la théorie de la gestion de la terreur.
Une grande partie du public semble penser que l’islam radical est la cause du terrorisme. Or, la psychologie qui sous-tend la violence relève de bien plus qu’une simple religion. La responsabilité d’endiguer le fanatisme vicieux par le biais de l’inclusion et du respect n’incombe pas seulement aux musulmans, c’est le devoir de tout un chacun.
– Wael Haddara est un éducateur, professeur agrégé de médecine à la Western University (Canada) et chef de file de la communauté musulmane canadienne. Entre 2012 et 2013, il a été l’un des principaux conseillers du président égyptien Mohamed Morsi.
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