Professeur d’histoire, il veut «ouvrir le dialogue pour tourner la page»
Yves Léauté, enseignant au lycée d’Urfé de Saint-Étienne, œuvre au quotidien à sensibiliser ses élèves aux questions de laïcité, de religion et de radicalisation. L’assassinat de Samuel Paty devrait donner «une résonance particulière» à la rentrée prochaine.
Voyage vers l’enfer, ce livre écrit par Mourad Benchellali, ancien détenu de Guantanamo, est posé sur la table de son salon. Yves Léauté l’a ressorti de sa bibliothèque le week-end dernier, avec un projet pédagogique en tête : « Ce qu’il s’est passé vendredi, l’assassinat de Samuel Paty, m’a poussé à le contacter. J’aimerais que nos élèves puissent rencontrer cet homme qui a passé deux mois dans un camp d’entraînement d’Al-Quaïda et libéré après plus de deux ans de prison. Il se consacre aujourd’hui à la prévention de la radicalisation. Ouvrir un débat en sa présence serait un excellent moyen de revenir sur ce drame et les questions de société qu’il soulève. »
Des débats pour aborder les thèmes sensibles
Pas une première pour ce professeur d’histoire du lycée Honoré d’Urfé de Saint-Étienne. Il en organise environ cinq par an et par classe en lien avec son établissement et le rectorat, autour d’un thème avec parfois l’intervention d’un tiers.
Latifa IbnZiaten, la mère de la première des sept victimes de Mohammed Merah est venue témoigner. « La liberté d’expression doit se construire avec les élèves, la parole doit venir d’eux. Ce n’est pas évident d’ouvrir un dialogue sur un mot fort tel que la radicalisation, le blasphème ou la représentation religieuse parfois totalement refusée par certains élèves. Alors quand la réponse à une question sensible est donnée vient de l’un d’eux et non du professeur cela choque beaucoup moins, il nous suffit à nous de creuser derrière le chemin ouvert. »
Faire part des choses en classe pour éviter les débats non contrôlés à l’extérieur. « Ces problématiques liées aux faits religieux, à la laïcité font partie de notre quotidien à nous professeurs d’histoire. Nous y sommes confrontés à chaque heure de cours et face à nous les contrastes sociaux sont très forts. »
Il évoque la mixité très faible dans les écoles ligériennes. Des communautés aux sensibilités religieuses ou aux origines différentes qui se côtoient sans se mélanger. Un problème, selon lui : « La segmentation peut paraître microscopique, elle est très sensible et ce, dans toutes les régions dans lesquelles j’ai pu enseigner. » Cela peut entraîner une forme d’autocensure en classe, selon lui.
Mais pour tourner la page, il faudra nécessairement ouvrir le dialogue entre tous : « À Saint-Étienne, beaucoup d’élèves sont nés en Tchétchénie. On peut alors se douter qu’à la rentrée, cet attentat, commis par un jeune russe Tchétchène de 18 ans aura forcément une résonance particulière dans les lycées stéphanois. »