Réveillons-nous !, une lettre pour réconcilier les jeunes Français musulmans avec l’islam et avec la France
Réconcilier les jeunes Français musulmans avec l'islam et avec la France, tel est l'objectif de ce livre écrit par Mohamed Bajrafil, théologien, imam à Ivry-sur-Seine et auteur d’un « Islam de France, l'an I » remarqué.
Dans Réveillons-nous !, il y a quelque chose du « Indignez-vous ! » de Stéphane Hessel (Editions Indigène, 2010, 32 pages) : titre interpellant, format identique, écriture dynamique. Mais le texte est cinq fois plus long et nous plonge dans un univers que beaucoup ne connaisse pas, à savoir la foi musulmane et la pratique de l’islam, sur fond de Coran et de hadiths.
Mais cette « lettre » d’un imam à un jeune Français de confession musulmane s’inscrit dans « un devoir de conseil de l’un envers l’autre », du maître au disciple. Elle témoigne de l’importance de la transmission des essentiels, de génération en génération. Le jeune Bajrafil n’a-t-il pas bénéficié aux Comores, pendant des années, de l’enseignement des sciences religieuses, dans la tradition shafi’ite ?
Aujourd’hui, il y a urgence, écrit-il, à « pacifier les relations des humains les uns avec les autres », en usant de la raison et en se rappelant que l’islam « repose sur quinze siècles de production intellectuelle, théologique et scientifique ». Aussi veut-il pousser le jeune lecteur à réfléchir par lui-même et à être responsable de son avenir, à exercer sa vraie liberté de choix.
Pour cela, il lui parle du corps, de l’esprit et du cœur de la religion. Le corps, c’est l’islam envisagé comme sommes des œuvres attendues du croyant et régi par le fiqh. L’esprit, c’est la foi, nourrie par les Saintes Ecritures et régie par le kalâm (la dialectique), tawḥîd (l’unicité de Dieu) ou ʿaqîda (le dogme). Le cœur de la religion, c’est « l’élévation spirituelle du croyant vers son Créateur » qui peut se vivre dans le soufisme.
« Notre religion est belle et que les prédateurs de la Toile et autres médicastres œuvrent à en faire une bête immonde »
Pour lui, la foi « ne peut pas être quelque chose qui s’hérite, ni quelque chose que l’on nous impose. Elle cesse d’être dès lors qu’elle n’est pas le fruit de notre effort ; dès lors qu’elle ne nait pas de notre intellect » (p. 23). La foi en Dieu doit avoir un minimum de logique. Elle doit être vécue « comme un acte de liberté par lequel le croyant rompt avec toute soumission à une créature comme lui, y compris sa propre personne, à ses propres passions, pour être en phase avec son Créateur » (p. 34).
Evoquant « les annulatifs de la foi », l’auteur dénonce les excommunications abusives et l’idéologie takfiriste. Il a des pages sans ambiguïté sur le wahhabisme et l’extrémisme. Il prend la défense du Prophète Muhammad, « miséricorde offerte aux univers ». A la suite d’al-Dhahabi, il rapporte que le Prophète a trouvé à l’intérieur de la Kaaba un dessin de la Vierge Marie et a demandé qu’on n’y touche pas : « En choisissant de le conserver, le Prophète scellait le lien entre chrétiens et musulmans. »
Une ode au pluralisme
Dans cette première partie de la lettre où est mis en exergue la fraternité entre les hommes, l’auteur invite à revoir complètement la notion de mécréance. Pour lui, le Coran rappelle à plus d’une reprise que nous sommes tous issus de la même personne et que la fraternité humaine est fondamentale. Reprenant la pensée d’al-Ghâzalî, il rappelle que la plupart des humains finiront au paradis, que l’islam est ouverture, que Dieu est le garant de la vraie guidance et que « Lui seul nous connait, Lui seul sait ce que nous désirons et vers où nous allons, et avec quel désir au fond de notre cœur, de même que Lui seul connait la validité ou l’invalidité des œuvres que nous accomplissons » (p. 81).
Aussi, quand, dans la deuxième partie, il va s’agir d’évoquer les bonnes pratiques en islam, Mohamed Bajrafil va au préalable souligner que « la détestation et la haine ne peuvent pas être un acte d’adoration ; ce sont des maladies rongeant toute personne qui en est atteinte, comme le dit le Prophète » (p. 100). Ne rapporte-t-on pas son propos : « Etre doux avec les gens, dans les actes et paroles, est un don » (p. 101) ? La création de l’homme répond à cinq objectifs : être éprouvé, faire régner la justice, connaître son prochain, croire en Dieu et L’adorer. Ils vont des questions de relation à la vie et aux autres vers les questions de relation à Dieu. Les trois premiers peuvent se vivre avec ou sans la foi. Les deux dernières varient selon les gens, les temps et les espaces.
Aussi, l’imam d’Ivry-sur-Seine va-t-il consacrer une dizaine de pages au pluralisme religieux car, pour lui, « chercher à empêcher l’exercice d’un culte – quel qu’il soit – devrait être considéré comme une insubordination à Dieu, Lui qui S’affirme garant de la non-disparition de ces temples non musulmans que sont les synagogues, les oratoires et les monastères » (p. 105 ; cf. Coran XXII, 40).
« Plus on est humain, plus on est musulman. Sois humain, tu seras véritablement musulman »
Mais cette lettre s’inscrit dans un contexte et une actualité où émergent le halal, le voile, serrer ou non la main, la taille de la barbe, la pudeur, la mixité, la longueur du pantalon… Un adage est mis en exergue : « Plus on est humain, plus on est musulman. Sois humain, tu seras véritablement musulman. » D’où une invitation à être attentif à la culture et aux traditions du pays où l’on réside, à ne pas avoir la haine de son pays ou de son époque.
Dénonçant la bigoterie, ennemi de toutes les religions, Mohamed Bajrafil termine sa lettre par une invite adressée au jeune Français musulman qui pourrait être influencé par les pourfendeurs de la réforme : « Vis ta vie et ne t’éloigne surtout pas, à cause d’eux, d’une pratique raisonnée de ta religion. L’islam est beau : ils travaillent à l’enlaidir, par leur ignorance. L’islam est une facilité : ils œuvrent à l’alourdir, par leur imbécillité. Ne sois ni ignorant, ni imbécile. Sois musulman. C’est censé vouloir dire : lucide » (p. 154).
Et de conclure : « La France, le monde ont besoin de toi, de ton génie, de ton savoir-faire pour avancer. (…) Invente, crée, innove. Trouve par toi-même les moyens d’aider concrètement à améliorer les conditions de vie des autres. C’est par ce biais seulement que tu pourras espérer renverser la courbe des injustices que tu subis ou vois subir. »