La violence en Palestine, ce ne sont pas des ‘affrontements’ – c’est du colonialisme
Les médias continuent de traiter Israéliens et Palestiniens comme s’ils participaient à égalité à un conflit, mais les événements de Sheikh Jarrah révèlent la réalité – ce que nous voyons, c’est une bataille entre colonisateur et colonisé.
Ces quelques dernières semaines ont vu le colonialisme de peuplement en action avec la décision d’un Tribunal de District de Jérusalem exigeant l’expulsion d’un certain nombre de familles palestiniennes de leurs maisons dans le quartier de Sheikh Jarrah à Jérusalem Est occupée. Ces mêmes Palestiniens, déplacés de Yafa et Haïfa en 1956 sous le mandat jordanien, devaient être chassés de force de chez eux par des colons, avec l’appui des forces de police israéliennes, bien que la décision supérieure sur ces expulsions ait maintenant été repoussée. Naturellement, ceci a déclenché l’indignation et poussé de nombreuses familles et locaux à se mobiliser pour protester contre une nouvelle étape en vue de l’annexion de Jérusalem Est.
A un jet de pierre, dans la Mosquée Al-Aqsa, les fidèles participant aux prières nocturnes du saint mois du Ramadan ont dû affronter des bombes assourdissantes et des gaz lacrymogènes lancés par des soldats en armes. La violence s’est maintenant haussée jusqu’aux tirs de roquettes par le Hamas et des frappes aériennes par Israël. Jusqu’ici, ces incidents ont provoqué la mort de vingt-quatre Palestiniens, dont neuf enfants, et des centaines de blessés, d’après le ministère de la Santé de Gaza.
De nombreux articles grand public ont appelé ces récents événements un ‘affrontement’ ou un ‘conflit’ à propos d’ ‘évictions’, mettant en exergue des mots qui contribuent à un environnement linguistique trop bien connu. Ces mots aboutissent à un succès : le blanchiment et la banalisation d’un État ethnique néo-colonialiste, faisant de l’oppression continue des Palestiniens et du déni de leurs droits fondamentaux une normalité internationale.
La normalisation du colonialisme commence là où elle a toujours commencé : dans le langage. Ces choix langagiers, qu’ils soient irresponsables ou simplement dus à l’ignorance, renforcent la notion comme quoi il s’agit d’un conflit dans lequel les deux côtés ont les moyens d’être aussi violents l’un envers l’autre. Mais le fait est qu’Israël est l’une des nations occupantes les plus militarisées au monde, soutenue par les milliards de dollars et les armes des Etats Unis. La dynamique du pouvoir à l’existence de laquelle croit la société occidentale dans son ensemble n’existe tout simplement pas, et ce manque de compréhension est la conséquence de décennies d’amalgame entre antisionisme et antisémitisme, ce qui détourne la conversation du nettoyage ethnique de la Palestine.
Les médias grand public sont généralement attachés à détourner presque toute discussion à propos de la mort de Palestiniens vers le Hamas et ses roquettes. Le matin du 11 mai a vu le Directeur de la Mission Palestinienne au Royaume Uni, Husam Zomlot, devoir expliquer dans le Journal de la nuit que les mesures réactives de l’association, initialement financée par Israël dans son désespoir de contrer les laïcs de l’Organisation de Libération de la Palestine, ne devraient pas éclipser les violations des droits de l’homme qui se produisent au quotidien et aboutissent à un bilan croissant du nombre de morts. La Palestine ne se retrouve pas dans une vacance du pouvoir soudain gouvernée par le Hamas : c’est une région intentionnellement déstabilisée, dont la plus grande partie fonctionne comme une prison à ciel ouvert contrôlée par Israël.
Cette ligne répétitive de questionnement penche vers le temps de la lampe à gaz, que ce soit intentionnel ou pas, et le refus très répandu de reconnaître que les actions criminelles d’Israël font partie de la façon dont l’occupation s’est métastasée dans un paradoxe : dans un cas, on parle de ces ‘affrontements’ avec une frénésie de sensationnalisme, dans un autre, la mort de Palestiniens est une événement habituel et banal.
La politique de gauche au Royaume Uni manque actuellement d’une position forte contre le régime d’apartheid. Quelques jours après que Jeremy Corbyn ait imploré le président Biden d’exercer ‘une énorme pression et son influence sur le gouvernement israélien’, Keir Starmer, l’actuel dirigeant du parti Travailliste, a tweeté un tiède constat de la violence. La requête de Starmer au gouvernement israélien de ‘travailler avec les dirigeants palestiniens à faire baisser les tensions’ est conforme à la perception selon laquelle le gouvernement israélien veut travailler avec les dirigeants palestiniens – mais un an plus tôt seulement, Netanyahou avait proclamé : ‘Nous sommes ceux qui dictent les règles de sécurité… Ils demeureront des sujets palestiniens.’
La conséquence de cette querelle linguistique, c’est que l’annexion de la terre des Palestiniens par Israël, qui enfreint le droit international, devient acceptable. Les Palestiniens ont essayé de lutter contre cette suppression en se servant des réseaux sociaux avec des vidéos et des hashtags, tels que #SaveSheikhJarrah, en renseignant sur la brutalité explicite qui se déployait autour d’eux. Mais beaucoup ont été confrontés à la censure : certains posts ont été cachés, d’autres ont été supprimés. La réduction au silence de la contestation grâce à la sphère numérique est encore une autre forme dangereuse du contrôle systémique, niant la liberté d’expression et limitant la liberté de la presse.
Les actions d’Israël se centrent autour d’un dogme sur lequel les néocolonialistes peuvent tous s’aligner. Quand Israël commet ses crimes, le refus de voir l’illégalité et l’inhumanité de son occupation continue de la Palestine devient la norme. Le colonisateur a été depuis si longtemps le protagoniste de notre discours médiatique que les mots s’écrivent d’eux mêmes. Le nettoyage ethnique de la Palestine est sinistre sous toutes ses formes, mais la manipulation du langage pour transformer un peuple dépouillé de sa dignité et de son humanité depuis plus de 70 ans en méchant est particulièrement abominable.
Asia Khatun est une écrivaine et rédactrice en chef du magazine littéraire en ligne Thawa.
Source : Tribunemag