Séparatisme ? Quel séparatisme ?
Avec son offensive contre le séparatisme, le président veut-il abolir la loi de 1905 ? Car l’intitulé de cette loi est « Loi concernant la séparation de l’État et des Églises ». La loi reconnaît donc qu’il y a bien un espace religieux séparé de l’État. Et l’on a compris que la cible du président ne concernait pas les formes séculières de séparatisme (« laissez les Corses tranquilles », a dit Marlène Schiappa, ministre chargée de la citoyenneté).
La cible est évidemment l’islam, mais comme on ne peut légiférer contre une religion particulière, on fait comme on a fait pour interdire le voile à l’école : on s’attaque aux signes « religieux » en général, tout en pensant que les coups n’atteindront que les musulmans « séparatistes » puisque les autres religions sont supposées ne pas l’être. Mais tous seront atteints. La lutte contre le « séparatisme » est mal engagée pour deux raisons :
1) On met derrière l’étiquette de séparatisme des comportements, des groupes ou des déclarations parfaitement hétéroclites, comme le montre d’ailleurs la liste à la Prévert des premières mesures annoncées.
2) On considère dans le fond que le simple fait de placer Dieu au-dessus des hommes est une déclaration séparatiste. En ce sens, toute religion qui ne se replie pas dans le privé est séparatiste aux yeux des chantres d’une laïcité hégémonique qui n’a plus rien à voir avec la loi de 1905.
Une campagne politique et médiatique, appuyée sur quelques travaux universitaires, suppose que la France est l’objet d’une « stratégie d’islamisation ». Or on mélange des choses très différentes. Salafi, djihadistes tablighis, Frères musulmans, mamans voilées voire trafiquants de drogue, bandes de jeunes des quartiers difficiles et adeptes de Black Lives Matter joindraient leurs forces pour chasser l’État des banlieues et y imposer la norme islamique. D’une part l’État n’a jamais été chassé : il s’est retiré (on a vu comment les habitants de Dijon ont dû attendre trois jours que la police intervienne). D’autre part ces acteurs n’ont la plupart du temps pas grand-chose en commun, sinon d’avoir une origine musulmane.
Tour des mesures évoquées
Quelles mesures sont évoquées ? Interdiction des certificats de virginité : il s’agit certes d’une opération humiliante et interdite par l’ordre des médecins, mais quel rapport avec le séparatisme ? La virginité n’est pas une valeur de la République ? Fort bien, mais quid de ceux pour qui elle est une valeur ? Faudrait-il interdire toute « incitation à la virginité » ?
Pas de halal à la cantine ? Pourquoi pas, mais végétariens, bouddhistes, juifs pratiquants, ainsi bien sûr que les musulmans, demandent simplement qu’il n’y ait pas d’obligation de manger de la viande, ce qui est l’exercice d’une liberté élémentaire.
Sanctionner les prêches de haine ? Excellente idée, mais l’on dispose de tout un arsenal de mesures qui ont considérablement étendu le champ de la « haine » depuis trente ans (le sexe, la race, l’antisémitisme). Qu’est-ce qu’on pourrait criminaliser de plus ? Ah si : la condamnation des « infidèles ». Déclarer que le non-croyant n’ira pas au paradis n’est pas démocratique. Le paradis pour tous, la communion pour tous.
Supprimer les appels au meurtre dans les textes sacrés ? Si le législateur ne pense pas forcément au Psaume 137, verset 9, d’autres sauront le lui rappeler.
L’égalité entre hommes et femmes ? Excellente idée. Si tout refus de mixité est une forme de séparatisme, alors il faut interdire les ordres monastiques – ce que la Révolution française, logique avec elle-même, avait fait. La mesure serait limitée aux associations financées par l’argent public, nous dit-on. Mais la frontière n’est pas nette. On voit ce qui se passe avec le voile : interdit seulement à l’école, il fait depuis l’objet d’une « chasse » dans tout l’espace public en dehors de tout cadre légal (Parlement, conseils généraux…). Et que se passera-t-il quand les femmes qui ont postulé pour être évêques porteront plainte contre le refus des séminaires catholiques de les accueillir ? L’État devra-t-il alors interdire l’usage des lieux de culte qui sont propriété publique aux religions qui refusent d’ordonner des femmes ? On pourra enfin transformer Notre-Dame de Paris en musée.
Vers une interdiction de toute expression publique du religieux
Déclarer que la loi de Dieu est supérieure à la loi de l’homme serait du séparatisme ? Le croyant en tant que citoyen obéit bien sûr à la loi des hommes, encore que… L’objection de conscience existe dans le droit français, et l’on a connu des circonstances où il a bien fallu rejeter la loi des hommes. Car pour le croyant en tant que croyant, Dieu est bien au-dessus des hommes (et même le pape François le dit !). Criminaliser la croyance en une transcendance (sauf bien sûr si elle reste dans le for intérieur) revient en fait à interdire toute expression du religieux dans l’espace public. Seules pourraient subsister les formes « culturelles » du religieux (la crèche provençale, l’institut des cultures musulmanes…). Mais alors on n’est plus dans la religion : la religion n’est pas seulement de la culture (et pour certains c’est même tout sauf de la culture). Or la liberté de pratiquer sa religion (et pas seulement de croire) est bien inscrite dans la Constitution.
Bien sûr on n’en est pas à l’athéisme officiel, mais ce qui est en jeu c’est bien l’expulsion du religieux de tout l’espace public, ce qui est le contraire de la loi de 1905, qui définit le cadre de la pratique du culte dans l’espace public.
On va donc vers une série de mesures superfétatoires, inapplicables ou sans point d’imputation précis. Au mieux elles ne servent à rien, au pire elles contribueront à la restriction de la liberté religieuse en général. Bref de la rhétorique… pardon, de la communication. Et ça ne ramènera pas l’État dans les « zones interdites » car pour ça il faudrait faire de la vraie politique, et s’en donner les moyens.