Enfants des rues à la Goutte d’Or : la police marocaine appelée à la rescousse par la France
Après un accord signé entre Paris et Rabat, des policiers marocains doivent intervenir à Paris. Objectif : identifier les mineurs et éventuellement les expulser. Des défenseurs des mineurs s'insurgent.
Solution négociée pour régler une crise ingérable en plein Paris ou arrangement inquiétant pour le droit des mineurs étrangers non-accompagnés ? Selon nos informations, un nouveau dispositif est en place à Paris pour tenter de régler la question des mineurs marocains isolés signalés depuis plusieurs mois.
Un accord a été signé courant juin entre les ministères français et marocains de l’Intérieur et 4 policiers marocains doivent être dépêchés en France et envoyés en mission dans le quartier de la Goutte d’Or. C’est là qu’une cinquantaine de jeunes garçons âgés de 15 à 17 ans, pour la plupart originaires du Maroc et en rupture totale, sont en errance, personne ne voulant les prendre en charge, et s’échappant des centres éducatifs dans lesquels ils sont placés.
Aucune solution
La situation, depuis 2017, est un sujet délicat pour les riverains, la municipalité parisienne, la préfecture de police et le parquet de Paris : Très jeunes, ces mineurs sont de passage entre l’Espagne et des pays européens du Nord. Les services spécialisés qui ont déjà pu retracer leurs parcours évoquent des routes d’immigration illégale. Ils partiraient des deux enclaves marocaines en Espagne, Ceuta et Melilla, et auraient comme objectif l’Angleterre ou les pays scandinaves. Jusque-là, en dépit de faits d’agressions, de toxicomanie et de prostitution, aucune solution n’avait été trouvée pour ces mineurs. Un spécialiste du dossier explique : “Ce sont des victimes-délinquants, étrangers, non accompagnés pour lesquels aucune solution de placement ne fonctionne. Ils fuguent ou dégradent les structures, y compris en milieu médical.”
Pour la seule année 2017, selon “le Monde”, 813 gardes à vue de ces jeunes auraient été enregistrées pour des vols de bijoux, agressions aux tessons de bouteilles ou effractions d’Autolib’ pour y dormir. Le 3 avril dernier, le maire du 18e avait alerté Matignon, soulignant à quel point tout le monde semblait dépassé.
L’accord policier signé en juin entre la France et le Maroc baptisé “arrangement administratif relatif au renforcement de la coopération policière opérationnelle” vise à lutter à la fois contre la délinquance et contre l’immigration irrégulière sous forme de criminalité organisée. Il est ainsi prévu que les expertises techniques et le travail de terrain seront partagés. Un document précise que l’équipe des policiers franco-marocains “aura pour mission d’auditionner les mineurs isolés marocains et de recueillir les informations permettant de lancer les investigations en vue de leur identification et de leur retour au Maroc”. Sollicités par “l’Obs”, le ministère de l’Intérieur et la préfecture de police de Paris n’ont pas souhaité apporter pour l’heure de commentaires supplémentaires à cette information.
Quelle sécurité pour ces enfants des rues ?
Le ministère de la Justice, pour sa part, a été sollicité au cours de la mise en place de cet accord pour savoir quelles garanties juridiques pourraient être apportées sur la sécurité de ces enfants des rues à leur retour au Maroc. Sur un strict plan judiciaire et au vu des textes sur la protection de l’enfance, il s’agit notamment de s’assurer que ces mineurs seront pris en charge de l’autre côté de la Méditerranée par des professionnels de l’enfance et non par les forces de l’ordre et que ces mineurs, manifestement victimes de filières de l’immigration clandestine, ne seront pas poursuivis pour le délit d’émigration illégale.
Combien sont-ils ? L’hiver dernier le chiffre de 128 avait été évoqué par des avocats parisiens. Dans un courrier adressé au procureur de la République de Paris le 8 février dernier et rendu public par Dalloz Actualités, ces membres du barreau alertaient alors de “la situation très préoccupante des nombreux mineurs non-accompagnés qui se trouvent actuellement livrés à eux-mêmes dans les rues de Paris, sans abri, par des températures négatives, et de ce fait exposés à un danger grave et immédiat pour leur santé physique et psychique”.
Interrogé par “l’Obs”, l’avocat Emmanuel Daoud, membre du conseil de l’ordre et cosignataire de ce courrier, estime aujourd’hui que la mise en place d’un accord franco-marocain sous l’égide des deux ministères de l’Intérieur n’offre pas les garanties nécessaires : “Une exigence juridique s’impose à tous les acteurs notamment celle de l’intérêt supérieur de l’enfant, explique-t-il. Si cela n’est pas pris en compte, à la fois en vérifiant l’âge des mineurs et en contactant son avocat, la loi est contournée.” Pour le Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigrés) qui a également réagi :
“Un tel dispositif strictement policier serait totalement contraire aux droits de l’enfant”.
La question désormais posée est celle de la mise en place du dispositif sur le terrain durant l’été. “Les magistrats parisiens du tribunal pour enfants et du parquet des mineurs mènent de manière générale un travail formidable sur ces questions difficiles. S’ils étaient informés d’un tel accord administratif, ils interviendraient nécessairement pour que le droit et la justice reprennent leurs places”, conclut Emmanuel Daoud.