Position de l’AURDIP sur l’exclusion d’étudiants de l’IEP Paris
L’AURDIP adresse une lettre au directeur de l’IEP Paris pour dénoncer l’exclusion d’étudiants mobilisés en soutien aux Palestiniens et rappeler l’obligation de respecter le droit international.
M. Luis VASSY,
Directeur de l’Institut d’Études Politiques de Paris
Monsieur le Directeur,
L’Association des Universitaires pour le Respect du Droit International en Palestine (AURDIP) s’inquiète des mesures d’exclusion qui ont frappé certains étudiants et syndicalistes de l’IEP Paris en raison de leur rôle dans la mobilisation en soutien aux Palestiniens victimes de la politique génocidaire – pour reprendre le qualificatif de la Cour Internationale de Justice – de l’État d’Israël. Qu’il s’agisse d’une politique génocidaire est confirmé par ses développements actuels en Cisjordanie occupée et par les déclarations, la semaine dernière, du vice-président du parlement israélien Nissim Vaturi appelant publiquement à tuer tous les hommes adultes de Gaza. C’est dans ce contexte douloureux que vous avez pris la décision d’exclure ces étudiants, ce qui laisse planer le soupçon qu’il s’agit moins de défendre l’ordre public que l’indéfendable en Palestine.
Alertés par la rapidité et la rigueur des mesures disciplinaires, nous avons donc pris connaissance des motifs qui, selon vous, justifiaient l’exclusion des étudiants visés. Vous leur reprochez de porter atteinte aux activités d’enseignement et de recherche en troublant l’ordre public et de contrevenir ainsi à l’article L. 811-1 du code de l’éducation. Cette décision, en dépit des apparences formelles dont elle peut se prévaloir, ne nous paraît pas à la hauteur des enjeux. Outre que nous ne sachions pas que l’IEP ait cessé de fonctionner sous la pression de hordes extrémistes, il faut surtout rappeler ici l’essentiel : vos étudiants et une partie de votre corps enseignant se réclament d’une légitimité qui n’est certes pas celle du « code de l’éducation », mais qui est tout de même celle du droit international. La Cour Internationale de Justice a en effet déclaré qu’il était plausible qu’un génocide se déroule à Gaza et le droit international prohibe toute forme d’aide et d’assistance à ce crime. Suite à l’avis consultatif rendu par la Cour Internationale de Justice (CIJ) le 19 juillet 2024– qui ajugé la présence d’Israël dans les territoires palestiniens occupés comme illégale et a exigé qu’Israël mette fin à cette présence dans un délai de 12 mois (point 2) – le rapport des Nations Unies du 18 septembre 2024 (point 6)insiste sur la nécessité de donner pleinement effet à cet avis. Conformément à ces décisions, les États et les institutions ont l’obligation légale de suspendre ou d’annuler les relations universitaires avec Israël, qui contribuent à son occupation illégale et à son régime d’apartheid dans les territoires palestiniens occupés, sous peine de se rendre complices de violations graves du droit international. C’est parce que l’administration de l’IEP Paris ne montre aucun empressement à se conformer à cette obligation légale – qui est sans doute, vous en conviendrez, aussi sacrée que l’article L. 811-1 du code de l’éducation – et à se protéger de toute forme de complicité avec des universités israéliennes soutenant la politique génocidaire de leur État, que les étudiants se sont mobilisés pour se faire entendre. Je serais heureux que vous me démentiez sur ce point.
Quant à leurs méthodes, il faudrait en premier lieu se demander si la responsabilité des agissements que vous leur reprochez n’est pas, au moins autant, imputable à l’administration de l’IEP. Nous ne vous apprendrons rien en rappelant combien il est facile de discréditer une opposition en la poussant, faute de dialogue véritable, à hausser le ton.
Mais surtout, vous savez qu’il y a toujours eu, dans les nations démocratiques, une tolérance à l’égard des mobilisations étudiantes, même lorsque leur mode d’expression dépassait le cadre policé du séminaire de discussion. C’est même l’un des critères qui distinguent une démocratie véritable du totalitarisme, qui se caractérise non pas par l’absence, mais par la pléthore des lois et des codes sous lesquels la liberté d’expression est étouffée. L’application automatique et rigoureuse du « code de l’éducation » relève de la logique étroite du ministère de l’intérieur, non de celle du monde universitaire, qui sait que la formation des citoyens de demain impose d’encourager, avec bienveillance, la politisation de la jeunesse. Il serait grave que l’institution d’excellence que vous dirigez ne soit plus régie, dans l’esprit, par ces principes qui valent dans l’université française depuis des siècles.
En vous priant de croire à l’expression de ma haute considération,
Marwan Rashed
Président de l’AURDIP
Professeur à Sorbonne Université