“Je m’en vais car tous les 6 mois on demande justice pour les victimes en Syrie et rien ne se passe !”
Carla Del Ponte a annoncé ce dimanche sa prochaine démission de la Commission d’enquête de l’ONU sur la Syrie, créée en août 2011 par le Conseil des droits de l’homme. L’ancienne Procureure spécialiste du crime de guerre a expliqué ce qui l’a motivée à Valérie Crova.
Carla Del Ponte était chargée d’enquêter sur l’usage d’armes chimiques en Syrie, le massacre des Yézidis ou encore le bombardement de convois humanitaires. L’ancienne Procureure du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda a annoncé ce dimanche sa démission de la Commission d’enquête indépendante de l’ONU sur la Syrie. Commission créée en 2011 quelques mois après le début du conflit syrien et qui émet des rapports réguliers sur les violations des droits de l’Homme sur place. Commission qui n’est pas assez entendue par le Conseil de sécurité de l’ONU d’après la magistrate âgée aujourd’hui de 70 ans. Elle s’en est expliqué avec notre journaliste Valérie Crova. Cette Commission, qui n’a jamais été autorisée par Damas à se rendre en Syrie, a annoncé la poursuite de son travail (dossier de l’ONU sur la Syrie).
Qui visez-vous quand vous parlez d’absence de volonté politique ?
Le Conseil de sécurité naturellement. Parce que c’est lui qui doit mettre sur pied un tribunal international, ou bien qui doit décider que ce soit la cour permanente, à La Haye, qui s’occupe des crimes commis en Syrie. Tout cela n’existe pas ! Et moi, je dis : la Commission, dans sa septième année de travail, n’a plus de sens ! Parce que ces Commissions, normalement, font de premiers rapports après une année et le Conseil de sécurité décide quoi faire. Tandis qu’ici, cette Commission doit continuer à travailler, donc à faire la liste des crimes commis en Syrie, et il y en a chaque jour, de tous les côtés, mais le Conseil de sécurité ne prend aucune décision ! Alors, moi j’estime, en tant qu’ancienne Procureure, que dans la septième année je ne veux plus rester. Cette Commission avait un sens au début, les premiers mois, les premières années, mais dans la septième année, le Conseil de sécurité doit agir !
Il y a eu pourtant des rapports faits sur les violations des droits de l’Homme.
Tous les six mois, on fait un rapport au Conseil des droits de l’Homme. Tous les six mois, on demande justice pour les victimes. RIEN ne se passe ! Alors, c’est pour cela que, maintenant, moi, je m’en vais !
Et pourquoi rien ne se passe ? Il y a des blocages au Conseil de sécurité. On connaît les vétos des Russes.
Oui. Il y a le droit de véto des membres permanents : les Russes, soutenus aussi par la Chine. Et puis il n’y a pas de résolution qui passe, donc il n’y a pas de justice pour les victimes.
Donc, quelle est la solution ?
(sourires) Il faut que le Conseil de sécurité puisse décider positivement, donc je ne sais pas quelle est la solution. Pression sur le Conseil de sécurité. Moi, je le fais à mon humble niveau en donnant ma démission.
Vous faites un parallèle entre les crimes commis en Syrie et ceux du Rwanda et de l’ex-Yougoslavie, que vous connaissez très bien. Ce sont des crimes abominables commis, dites-vous, par les deux parties. Par le régime comme par les rebelles ?
Oui. Au début, il y avait les bons et les mauvais et maintenant, ils sont tous mauvais. Parce que souvent, même les groupes d’opposition sont des groupes terroristes bien définis. Il y en a d’autres moins bien définis, mais qui commettent aussi des crimes contre l’humanité ou des crimes de guerre. Donc, j’estime qu’aujourd’hui on commet des crimes de chaque part car en Syrie il y a une impunité totale ! Depuis six ans.
Vous connaissez particulièrement la difficulté de poursuivre les auteurs de crimes de guerre. Pensez-vous qu’un jour les auteurs de tels crimes en Syrie seront jugés par un tribunal international ?
Oui. Je l’espère. Cela ne sera pas pour demain mais j’espère vivement que l’on réussira à juger les hauts responsables politiques et militaires.
Comment ont réagi vos collègues de la Commission d’enquête en apprenant votre décision ?
Déjà, je leur ai dit en juin dernier. D’un côté, ils comprennent, de l’autre, ils préféreraient que je reste. Mais ils comprennent mon attitude, surtout parce que moi je suis Procureure, ancienne Procureure, mais Procureure, donc après cinq années au sein de cette Commission et sans pouvoir rien faire, rien faire de positif, ce n’est pas mon rôle. Je n’aime pas. Mais en tout cas, je reste très attentive à la situation en Syrie, et les victimes en Syrie.