Lettre à Ursula von der Leyen concernant sa déclaration publiée à l’occasion du 75e anniversaire de la création de l’État d’Israël
Chère Madame von der Leyen,
En tant que coalition de 42 organisations européennes, nous vous écrivons pour exprimer notre profonde préoccupation et, pour tout dire, notre colère, concernant votre déclaration publiée à l’occasion du 75e anniversaire de la création de l’État d’Israël.
Votre déclaration passe sous silence le fait historique que l’État d’Israël fut fondé sur le nettoyage ethnique entre 1947 et 1949 des deux tiers du peuple palestinien autochtone.
Ce fait a été bien documenté par les historiens et chercheurs palestiniens et israéliens. Les palestiniens commémorent cette période sous l’appellation de la Nakba (« catastrophe » en arabe) qui marque le début du processus de dépossession et d’expulsion planifiée de la majorité du peuple palestinien.
Plus de 500 villes et villages ont été systématiquement détruits et vidés de leurs habitants par des massacres et des expulsions massives. S’en est suivi que plus de 750 000 Palestiniens ont été exilés de force et se sont retrouvés réfugiés. Beaucoup de ces réfugiés et leurs descendants languissent encore dans des camps de réfugiés paupérisés, privés d’un droit au retour qui non seulement va de soi, mais qui est rappelé par l’ONU depuis 75 ans.
Ce processus de dépossession, ce que les Palestiniens appellent la « Nakba en cours », n’a jamais pris fin. Il se poursuit aujourd’hui : Israël continue d’occuper et d’annexer des terres palestiniennes, de voler des ressources, de démolir des maisons, des écoles et des hôpitaux, et d’arrêter, de blesser et de tuer arbitrairement des Palestiniens, y compris des femmes et des enfants.
En omettant des faits et en adoptant aveuglément le récit d’Israël, vous effacez l’histoire, la mémoire et la riche culture du peuple palestinien autochtone avec sa diversité, qui a habité la Palestine pendant des siècles. En reprenant le récit selon lequel « Israël a fait fleurir le désert », vous remplacez l’histoire par un mythe, utilisant une idée coloniale qui tente de « verdir » le régime colonial et d’apartheid d’Israël que l’on inflige au peuple palestinien autochtone. On ne se serait pas attendu à une telle ignorance de la part de la Présidente de la Commission européenne.
Depuis début 2023, le monde est de nouveau témoin d’une augmentation des attaques israéliennes contre les Palestiniens, y compris de raids militaires menés par l’armée israélienne dans les villes cisjordaniennes de Jénine, Jéricho et Naplouse. Ceux-ci ont succédé au pogrom à Huwara et dans ses villages voisins, ainsi que le raid violent contre les fidèles de la mosquée Al-Aqsa pendant le mois de Ramadan, trois semaines seulement avant votre déclaration. Est-ce vraiment le pays que vous louez pour son « dynamisme », « sa culture » et ses valeurs » partagées ?
Il est douloureux de vous entendre louer « les 75 ans de dynamisme, d’ingéniosité et d’innovations révolutionnaires » d’un État qui impose une politique coloniale répressive, raciste et brutalement violente à une population qu’il asservit et contrôle. Le régime de contrôle israélien sur le peuple palestinien est de plus en plus reconnu par les principales organisations de défense des droits de l’Homme, y compris des organisations israéliennes, comme constituant un apartheid.
Il est vrai qu’Israël a développé une technologie « dynamique, ingénieuse et révolutionnaire » dans le domaine de l’armée, de la cyberguerre, des logiciels espions, de la désinformation et du truquage des élections en utilisant comme cobayes les palestiniens captifs qu’il tient sous son contrôle.
Israël est l’un des principaux exportateurs mondiaux de ces produits de haute technologie destructeurs, ses exportations militaires et de « sécurité » permettant aux dictatures et aux régimes autoritaires du monde entier de perpétrer de graves violations des droits de l’Homme.
Non seulement votre déclaration raciste trahit les faits historiques et la réalité sur le terrain, mais elle est en parfaite contradiction avec les principes et normes internationalement acceptés et les valeurs mêmes sur lesquelles l’UE est fondée. En ignorant l’existence du peuple palestinien qui a vécu des décennies d’oppression israélienne ou d’exil forcé, vous ignorez son droit à l’autodétermination, un droit inaliénable inscrit dans la charte des Nations Unies.
En décembre 2022, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté une résolution pour commémorer la Nakba palestinienne. Cette résolution historique, bien qu’elle ne soit soutenue – quelle honte ! – que par deux États membres de l’UE, reconnaît les 75 années d’injustice infligées au peuple palestinien. En tant que président de la Commission européenne, une institution qui prétend faire respecter le droit international et l’autorité de l’ONU, vous ne pouvez pas rejeter avec pareille désinvolture les décisions de l’Assemblée générale de l’ONU.
Le 9 mai, l’UE célébrera la Journée de l’Europe que les Palestiniens boycottent cette année pour protester contre votre déclaration. Nous espérons sincèrement que cette célébration sera l’occasion de reconnaître et de se repentir à l’égard de l’histoire raciste et coloniale passée des pays de l’UE, et que la Journée de l’Europe célébrera la charte des Nations Unies qui est née de cette malheureuse histoire.
Cela impliquerait évidemment que l’UE cesse de soutenir par des paroles et des actes les valeurs ainsi que la politique d’Israël, qui lui-même agit en défiance de la charte commune de l’ONU.
Les organisations de la société civile palestinienne, ainsi que l’Autorité palestinienne, ont dénoncé avec véhémence votre déclaration. Amnesty International a également critiqué la déclaration et vous a exhorté à reconnaître qu’Israël commet le crime contre l’humanité qu’est l’apartheid. Nous, représentants de la société civile européenne, ne pouvons qu’y faire pleinement écho.
Nous vous demandons de retirer votre déclaration et de présenter des excuses au peuple palestinien pour avoir publiquement effacé sa culture, son histoire et sa civilisation, ainsi que pour avoir fermé les yeux sur les violations actuellement commises contre ses droits inaliénables.
Nous exigeons que l’UE reconnaisse publiquement qu’Israël commet le crime d’apartheid et que les institutions de l’UE agissent pour mettre fin immédiatement à toute complicité dans la perpétration de ce crime.
Nous vous prions également de bien vouloir répondre à cette lettre.
Trad. B.M
Source : ECCP