Islam de France : les raisons de la non-signature de la charte par CCMTF, Milli Gorus et Foi & Pratique exposées
Le Comité de coordination des musulmans turcs de France (CCMTF), la Confédération islamique Milli Görüs (CIMG) et Foi & Pratique ont fait part de leur refus de signer en l’état la charte des principes pour l’islam de France présentée à l’Elysée le 18 janvier. Quinze jours après, les trois fédérations restent sur cette même position, regrettant une « gestion expéditive » de cette affaire. Elles ont adressé, lundi 1er février, leurs observations et réserves à la présidence du Conseil français du culte musulman (CFCM) afin qu’elle envisage des amendements. Saphirnews a eu accès à la synthèse des réserves, très nombreuses, dont le contenu est ici dévoilé.
La Charte des principes est un texte primordial du futur Conseil national des imams (CNI). Il indique les principes de cette nouvelle institution chargée d’agréer les imams. (…) Adopter un discours respectueux à l’égard de nos imams mettra en relief l’importance du devoir qu’ils accomplissent quotidiennement. En effet, les imams, premiers interlocuteurs du CNI, exercent leurs fonctions en conformité avec notre foi et la Constitution Française, socle de la vie commune des citoyens. Ils rendent des services indispensables concernant les besoins religieux et spirituels des musulmans du territoire dans lequel ils exercent. Nos imams ont également un rôle de médiateur dans la société ; ils encouragent la communication active avec la société dans laquelle ils vivent et la coopération avec les autres communautés religieuses.
Partant de ce constat, il est primordial d’éviter dans ce texte toute déclaration discréditant les imams dans la société. Tenir compte de ces points dans l’élaboration et le contenu de la Charte des principes est une condition minimale.
L’usage d’un discours marginalisant les musulmans et les imams, la généralisation de comportements inacceptables perpétrés par des individus isolés à la totalité de la communauté musulmane entameraient sérieusement le crédit de cette charte et donc celui du Conseil national des imams.
De la même manière, l’usage de propos abstraits pouvant jeter le doute sur les musulmans et ouvrant la voie à des interprétations différentes risque également de nuire à l’acceptation de cette charte et de ce Conseil par les musulmans. Nous attendons de la Charte des principes du Conseil national des imams, organe qui doit être au service des musulmans, d’éviter les suspicions et les préjugés à l’égard des musulmans.
Nous tenons à porter à la connaissance de l’opinion publique les raisons de nos désaccords au sujet de certains articles de la « Charte des principes de l’islam de France » que nous estimons infondés et outrepassant ses objectifs. Dans cet exposé, nous citerons les mots, expressions et phrases avec lesquels nous sommes en désaccord en gras et italique. Nous les ferons suivre par nos remarques.
Des réserves sur le titre et l’expression « islam de France »
L’islam, dont les principales sources sont le Coran et la Sunna, ne peut être délimité à une société ou une idéologie. Dans ce contexte, il n’y a qu’une seule croyance islamique acceptée par les musulmans à travers le monde. Par conséquent, il ne peut être question d’un islam national tels que « l’islam de Turquie », « l’islam du Maroc » ou « l’islam d’Algérie ».
Bien entendu, outre les fondements principaux de la religion islamique, il y a aussi un côté lié à la pratique déterminée par les us et coutumes, formée par l’interaction des cultures dans les sociétés considérées. En caractérisant l’islam par des critères tels que l’ethnicité, l’identité nationale ou l’idéologie, on prend le risque de voir apparaître des islams nationaux, déconnectés les uns des autres, modifiés et métamorphosés. Par conséquent, les concepts de base tels que l’Unicité de Dieu (tawhid) et la communauté musulmane (oumma) qui caractérisent l’islam, risqueraient alors d’être altérés.
Les différentes conceptions religieuses qui en naîtraient seraient alors considérées comme autant de religions différentes. Ainsi, le concept d’« islam de France » induisant une distinction de l’islam au niveau national ne saurait être une dénomination correcte.
Des réserves sur le préambule
a. « Les valeurs républicaines », « nos convictions religieuses (…) ne sauraient supplanter les principes qui fondent le droit et la Constitution de la République », « Aucune conviction religieuse ne peut être invoquée pour se soustraire aux obligations des citoyens »
b. « Le principe d’égalité devant la loi nous oblige à nous conformer aux règles communes et les faire prévaloir sur toutes les normes et règles y compris celles issues de nos convictions et/ou de nos interprétations religieuses » de l’article 2
Les libertés des citoyens en matière de croyances religieuses et les obligations citoyennes sont encadrées par la Constitution Française : celle-ci s’applique à chaque individu ou communauté religieuse. Cela inclut les musulmans et les organisations musulmanes ainsi que les imams travaillant au sein de ces organisations. En ce sens, le caractère engageant de la Constitution Française est une réalité qui doit être acceptée par tous, dès le début, sans avoir recours à une quelconque déclaration ou engagement.
Les musulmans et les organisations qui les représentent, tout comme les fidèles des autres religions et leurs organisations, agissent dans le cadre des droits et devoirs reconnus par la Constitution française et le droit international. Il ne fait aucun doute qu’ils doivent se référer à ce cadre.
Mise à part l’approche mentionnée ci-dessus, le concept de « valeur » ouvre la porte à des exigences (ou devoirs) supplémentaires qui ne figurent pas dans la Constitution et dont on ignore la nature à ce jour, ou ce qu’elles pourraient éventuellement être à l’avenir.
L’utilisation du mot « valeur » implique un contenu qui peut être interprété différemment d’une personne à l’autre, d’un groupe à l’autre. Ainsi, l’expression « valeur républicaine » sera sujette à différentes définitions et compréhensions.
Toutefois, l’un des principes fondamentaux de l’Etat de droit est la précision. Par conséquent, les règlements devraient être clairs, précis, compréhensibles et réalisables de façon à ne laisser aucun doute. Ils devraient également contenir les dispositions nécessaires pour protéger contre les pratiques arbitraires. L’utilisation du mot « valeur » en dehors des principes et de l’ordre constitutionnels est une méthode risquée qui peut aussi conduire à une restriction des droits et des libertés. Nous lui préférons le terme « principe » qui fait référence au droit et qui sera beaucoup plus adéquat dans l’expression « principes républicains ».
La liberté de culte et l’organisation des communautés religieuses sont garanties par la Constitution. Toutefois, dans cette charte, la croyance religieuse et la Constitution sont mentionnées sur le même plan et présentées comme des systèmes contradictoires. Cette méthode n’est pas en accord avec la laïcité puisqu’elle mélange des domaines séparés par la loi et présume que toutes les organisations musulmanes, sans aucune distinction, sont opposées à la Constitution.
Des réserve sur l’article 3 : La Liberté
a. « Ainsi les signataires s’engagent à ne pas criminaliser un renoncement à l’islam, ni à le qualifier « d’apostasie » (ridda), encore moins de stigmatiser ou d’appeler, de manière directe ou indirecte, à attenter à l’intégrité physique ou morale de celles ou de ceux qui renoncent à une religion. »
b. « Dieu a donné aux Hommes la Liberté de choisir leurs voies et leurs convictions à l’abri de toute contrainte : “Nulle contrainte dans la religion” (Coran, 2 : 256), et en a fait une expression de Sa volonté : “Si ton Seigneur l’avait voulu, tous ceux qui sont sur la terre auraient cru. Est-ce à toi donc de contraindre les gens à croire ?” » (Coran, 10 : 99)
c. « Le prosélytisme abusif oppressant les consciences est contraire à la liberté de la raison et du cœur qui caractérise la dignité de l’Homme. »
Les organisations musulmanes mènent leurs activités dans le cadre des lois en vigueur. A cet égard, elles revendiquent au même titre que tous les citoyens français, quelques soient leurs croyances et leurs convictions, le droit à la liberté de religion et de conscience.
De même, elles sont conscientes que la liberté de religion et de conscience garantie par le droit international implique la liberté d’accepter ou de rejeter une religion ou une quelconque idéologie.
Il n’y a donc aucune objection à ce que les individus, qu’ils adhèrent ou non à la foi musulmane, soient totalement libres de choisir ou de rejeter une religion. La religion est une question de liberté individuelle qu’aucune pression ne peut contraindre.
D’un point de vue institutionnel, l’adhésion ou la résiliation à une association musulmane œuvrant dans le cadre du droit français sont réglementées par le droit des associations et répondent à des choix personnels.
Il n’existe par ailleurs aucune procédure officielle d’excommunication dans la religion islamique. Les associations musulmanes prennent part à la vie sociale et apportent leurs contributions à la préservation de la paix garantissant les libertés de chacun, notamment la liberté de croyance.
Cependant, en sortant complètement du cadre mentionné ici, des organisations qui rejettent fermement la violence et l’illégalité se voient suspectées de promouvoir la violence contre ceux qui abandonneraient la foi musulmane.
Dans cet article, l’expression ambiguë et aux frontières floues « prosélytisme abusif oppressant les consciences » est également utilisée.
Sachant que le travail de transmission (Tabligh) est une liberté religieuse consistant à expliquer l’Islam (équivalent à la mission dans le Christianisme « l’annonce de l’Evangile »), il apparait très difficile de déterminer le moment à partir duquel cette action sera qualifiée de « prosélytisme oppressant les consciences et contraire à la liberté de raison et du cœur qui caractérise la dignité de l’Homme ».
Le principe de précision du droit déjà évoqué doit aussi être pris en compte ici. En ce sens, il est possible que l’un des principes fondamentaux de l’islam, « amr bi al-ma’rouf, nahy an al-mounkar » (l’ordonnance du bien et l’interdiction du mal) puisse également être décrit comme un « prosélytisme abusif oppressant les consciences ». La détermination de cette limite à travers le critère abstrait et relatif d’« oppression des consciences » peut pousser à qualifier de « prosélytisme abusif » l’expression des opinions des musulmans dans ce qu’ils considèrent juste, bon et convenable selon leur croyance.
Il apparaît donc clairement que la Charte contient des expressions qui restreignent la liberté de religion.
Des réserves sur l’article 4 : L’Egalité
« L’égalité Homme-Femme est un principe fondamental également attesté par le texte coranique : les hommes sont issus d’une même essence ou âme originelle (Coran, 4 : 1). »
Le Coran ne fait pas de différences entre les hommes et les femmes (1er verset de la sourate An-Nissa) : celle-ci ne se fait qu’à partir de concepts moraux fondamentaux tels que la justice, la droiture, la piété et les bonnes actions. En conclusion, le verset en question, au-delà de mentionner l’égalité homme-femme dans une signification particulière, parle de façon plus générale de la racine commune des humains qui ne descendent que d’une seule âme et qui sont « frères et sœurs en humanité ».
La déclaration selon laquelle « certaines pratiques culturelles prétendument musulmanes ne relèvent pas de l’islam » de l’article 4. Cette déclaration, qui ne précise pas de quelles pratiques il s’agit, insinue un rejet massif des pratiques culturelles des musulmans basée sur la distinction entre « religion » et « culture », qui est un point de vue moderne.
Cependant, la foi islamique a toujours vécu sur un terrain culturel fleuri et l’a enrichi.
Alors que les principes fondamentaux de l’islam sont immuables, il existe des différences dans la vie religieuse des musulmans qui ont pour source les avis des écoles de jurisprudence. Sans compter que des musulmans d’origines culturelles différentes vivent dans de nombreux pays européens telle qu’en France. Pour nous, ces différences ne sont pas des « pratiques culturelles prétendument musulmanes » qui devraient être empêchées. Dans cette déclaration, les pratiques culturelles, coutumes et traditions qui embellissent la vie religieuse sont considérées comme indésirables pour les musulmans.
Des réserves sur l’article 5 : La Fraternité
« Nous rejetons toute discrimination fondée sur (…) l’orientation sexuelle » ainsi que « l’homophobie et la misogynie sont des délits pénalement condamnés. »
En France, un citoyen enfreignant la loi est sanctionné par la justice de la République, sans distinction religieuse ou idéologique. En d’autres termes, l’appareil judiciaire et sécuritaire de l’Etat intervient en cas de discrimination ou d’atteinte à l’intégrité physique ou morale d’une personne en raison de sa religion, ses origines, son sexe ou son orientation sexuelle. Cette règle s’applique à tous de façon égale.
La religion musulmane considère l’homosexualité comme un péché. C’est une question sur laquelle l’individu sera jugé dans l’au-delà suivant sa responsabilité individuelle, sa conscience et sa foi. Ainsi, il n’appartient pas à une organisation musulmane ou un imam de punir, d’employer la violence, d’exclure ou d’insulter un individu qui commet un péché, quel qu’il soit.
Les organisations musulmanes refusent de prendre de quelconque mesures contre une personne dont le comportement irait à l’encontre des prescriptions et des interdictions religieuses. Dans ce contexte, les imams en fonction dans nos mosquées sont chargés de répondre aux questions sur l’homosexualité conformément aux sources scripturaires de l’islam, en particulier le Coran et la Sunna, sans pour autant appeler à la haine ou à la violence.
Certains peuvent considérer comme discriminatoire le fait qu’une religion désigne, en se référant à ses sources, l’homosexualité comme un péché. Pour autant, cela ne leur donne pas le droit de s’immiscer dans les affaires internes, les croyances, le culte et les pratiques de cette religion. La compréhension et le respect sont de mise.
La mention de l’homosexualité dans une charte écrite et adoptée par des fédérations islamiques contredit les principes de la foi musulmane.
L’expression « misogynie » qui suit renvoie à un préjugé répandu à propos de l’islam et des musulmans, utilisé par les critiques de l’islam et les milieux islamophobes. La mention d’une telle expression signifierait l’acceptation d’un parti pris stéréotypé.
« Les signataires de cette charte s’engagent à accepter de débattre et d’échanger avec leurs coreligionnaires sans les disqualifier par des jugements théologiques ou politiques dictés par des théoriciens, idéologues ou des États étrangers », ainsi que les déclarations concernant les pays étrangers mentionnés dans l’Article 6.
Les principes de base du système de croyance islamique ont été établis par le Coran et la Sunna pour s’appliquer à tous les musulmans, quel que soit leur pays. Comme pour les autres croyances religieuses ou philosophiques, il ne peut être question de régionalisme ou de nationalité pour la foi islamique. En d’autres termes, l’Islam ne peut être circonscrit à une région ou un pays. Il est courant que des érudits religieux, des théologiens ou des théoriciens de différents pays et nationalités s’influencent les uns les autres, en particulier dans le contexte actuel de mondialisation.
L’essentiel de ces échanges et interactions réside dans le fait de savoir si la connaissance transmise produite est conforme aux valeurs fondamentales de l’islam. La capacité à développer ce processus de vérification repose sur la pratique séculaire de l’islam dans le pays en question et le volume de connaissances à ce sujet accumulé au fil des siècles.
La religion musulmane est devenue un sujet de débat en France ces dernières années. Le niveau de connaissance des musulmans de France, bien qu’il soit en constante progression ne peut se priver d’enrichissement via les échanges internationaux, tout comme cela est réalisé dans la culture, l’art, le sport… Il serait contreproductif de rejeter toutes les contributions venant d’autres pays sans faire de distinction entre ce qui peut être bénéfique et acceptable au contexte français et ce qui ne l’est pas.
Ce serait contraire à la réalité des théologiens musulmans, des imams, des représentants religieux en France, et établirait un système de croyance dénuée de stabilité qui favoriserait l’émergence de mouvements radicaux. Tout cela est contraire à l’objectif que se donne cette charte.
Dans le même temps, l’emploi du terme « dictés » introduit une notion abstraite et laisse une libre interprétation de tout un chacun : il y aura toujours débat si une action a été dictée ou non.
Ainsi, l’usage de ce terme ouvre la voie aux abus et à la censure concernant l’interaction internationale des musulmans de France dans le domaine des sciences religieuses.
a. « Il est question de lutter notamment contre l’idéologie du takfir, (anathème), qui est souvent le prélude à la légitimation du meurtre. »
b. « Nous appelons à faire preuve d’ouverture et à évoquer avec respect le choix de nos concitoyens en matière de conviction ou de religion, et ce au sein de nos lieux de culte avec nos fidèles, comme au sein de nos familles. »
Comme déjà indiqué dans nos observations de l’Article 3, la loi garantit de manière égale le droit à l’acceptation ou au rejet de toute croyance ou idéologie, et ceci s’applique à tous les membres de la société. En termes de foi, être musulman dépend entièrement des convictions personnelles de l’individu. La foi est un lien entre celui-ci et Dieu qu’aucune intervention extérieure ne peut forcer. Convaincus qu’il n’y a pas de contrainte en religion, nous considérons le rejet de la violence, qui est la forme la plus intense de coercition, comme une exigence de notre foi.
Dans ce contexte, l’anathème (takfir) contre ceux qui quittent la religion musulmane est une approche étrangère à la réalité de la vie religieuse et sociale des musulmans.
Il n’existe pas de mécanisme d’enregistrement, de suivi et de sanction de ceux qui acceptent ou rejettent la foi musulmane. L’appel au respect des choix des personnes dans les lieux de culte et les familles, tel que mentionné dans cet article, sous-entend que nos organisations aient adopté une position différente jusqu’à présent. Or, nos organisations rejettent catégoriquement ce genre d’idéologie depuis toujours et rappelle, une fois de plus, qu’il appartient à la justice de notre pays de sanctionner ces dérives inacceptables.
Enfin, l’emploi de l’expression « au sein de nos familles » sous-entend que les musulmans sont intolérants vis-à-vis des autres croyances et transmettent à leurs enfants une éducation répulsive et de communautarisme néfaste. Ce passage représente également une atteinte à la vie privée des personnes avec l’intrusion au sein des familles. Nous rappelons que les organisations musulmanes, les imams, et l’ensemble des musulmans de France transmettent le message d’ouverture, de tolérance, de paix et d’amour de son prochain sans aucune distinction, conformément aux enseignements de l‘islam.
Des réserves sur l’article 6 : Rejet de toutes les formes d’ingérence et de l’instrumentalisation de l’islam à des fins politiques
a. « Les signataires s’engagent donc à refuser de s’inscrire dans une quelconque démarche faisant la promotion de ce qui est connu sous l’appellation « islam politique ».
b. « Ainsi, nous nous engageons à ne pas utiliser ni à laisser utiliser l’islam ou le concept d’oumma (communauté des croyants) dans une optique politique locale ou nationale ou pour les besoins d’un agenda politique dicté par une puissance étrangère qui nie la pluralité consubstantielle à l’islam. »
c. « Nous refusons que les lieux de culte servent à diffuser des discours politiques ou importent des conflits qui ont lieu dans d’autres parties du monde. »
d. « Ils ne sont pas érigés pour la diffusion de discours nationalistes défendant des régimes étrangers et soutenant des politiques étrangères hostiles à la France, notre pays, et à nos compatriotes français. »
Le concept principal dont il est question dans cet article est « l’islam politique », concept qui, bien qu’il soit fréquemment utilisé ces derniers temps, ne renvoie à aucune définition claire et précise. Certaines définitions ont été avancées mais elles sont extrêmement problématiques, criminalisant parfois des pratiques religieuses qui font partie du socle commun de l’islam et qui sont garanties par la Constitution.
Considérer des rituels religieux comme des opinions et des actions contraires à la Constitution est une approche inacceptable aussi bien du point de vue intellectuel que du point de vue de la loi.
Dans le débat public, l’« islam politique » est décrit comme une idéologie et des comportements contraires aux principes constitutionnels. Des pratiques naturellement présentes dans la religion musulmane, notamment le port du voile, sont rangées par certains dans cette catégorie. Pourtant, la pratique d’une religion, à l’instar du christianisme, du judaïsme ou du bouddhisme, implique des spécificités qui lui sont propres (édifice de culte, consommation de nourriture conformes, le respect d’un code vestimentaire…).
De plus, la pratique d’une religion ne peut priver le citoyen de ses droits et devoirs civiques, notamment son implication dans le monde politique et sa contribution aux sujets sociétaux.
Tout comme l’implication et l’activisme des croyants Chrétiens, Juifs ou Bouddhistes ne sont pas considérés comme du communautarisme ou séparatisme, ni qualifié de « christianisme politique », de « judaïsme politique » ou de « bouddhisme politique », il devrait en être de même pour les musulmans.
Toutes les pratiques religieuses devraient être protégées de la même manière dans le cadre de la liberté religieuse de notre Constitution. La lutte contre les éléments menaçant l’ordre constitutionnel doit être menée dans le cadre de la loi conformément aux règles de l’Etat de droit.
La définition d’« islam politique » tels que présentée dans ce paragraphe ne peut rester en l’état puisqu’il laisse un champ très large de possibilités aux amalgames entre les croyants notamment pratiquants et les extrémistes qui dévoient l’islam pour leurs propres objectifs.
Le concept d’« islam politique » stipulé dans l’article restreint les droits d’accès des musulmans ou des organisations musulmanes au débat social ou politique puisqu’ils pourront être accusés de faire de l’« islam politique » et empêchés d’exercer leurs droits démocratiques. Cela peut aussi les exposer à la discrimination et criminaliser leurs opinions.
Nous condamnons également fermement le détournement de notre religion par certains groupuscules ou organisations criminelles. Les musulmans sont ainsi ceux qui souffrent le plus de l’instrumentation de leur religion par ces organisations terroristes telles que Daesh ou Al-Qaida et sont souvent parmi les premières victimes des crimes perpétrés.
À partir de là, la terminologie à utiliser devrait désigner ces organisations. De ce point de vue, au lieu d’un concept tel que l’« islam politique » qui peut cibler les musulmans pratiquants, innocents et sociables, nous proposons le concept d’« extrémistes abusant de la religion contre l’ordre constitutionnel ». Ce concept étant clairement défini, il indique avec précision la racine du problème et permet son éradication. Cette appellation plus précise permet d’éviter les amalgames dont les musulmans pourraient être victimes, alors que ces derniers contribuent chaque jour au bon vivre ensemble.
e. « Tout financement provenant de l’étranger émanant d’un État étranger, d’une organisation non gouvernementale, d’une personne morale ou physique doit s’inscrire dans le strict respect des lois en vigueur. »
f. « Les signataires doivent rejeter clairement toute ingérence de l’étranger dans la gestion de leurs mosquées et la mission de leurs imams. »
Ces déclarations évoquant des associations, des mosquées ou encore des imams loin de toute influence étrangère, font émerger de nombreux inconvénients. Tout d’abord, les activités humanitaires et collaboratives ne peuvent se limiter aux frontières nationales du pays. L’évolution de l’époque dans laquelle nous vivons nous amène à un point où toute l’humanité communique et interagit constamment dans tous les domaines. Ce processus est valable pour tous les pays. Au-delà de politiques d’exclusion, les pays et les sociétés ont besoin d’une politique complémentaire et de coopération dans tous les domaines. Naturellement, cette situation est également le cas dans la gestion des activités religieuses.
Vouloir tenir les associations religieuses à l’écart de toute communication et interaction en provenance de l’étranger, en les limitant aux frontières nationales se traduit par un modèle de « religion fermée » similaire au modèle d’« économie fermée ». Cela ne profitera pas aux musulmans de France, ni à l’État français.
D’autre part, il ne faut pas oublier que tous les musulmans vivant en France ne sont pas forcément des citoyens français. Il n’est pas légal de vouloir rompre tous les liens entre les musulmans étrangers résidant en France et leurs pays d’origine. À la lumière de toutes ces explications, le contenu du texte de l’article en l’état peut entraîner de nombreux malentendus ainsi que des conséquences négatives et injustes pour les musulmans.
Des réserves sur l’article 7 : L’attachement à la raison et au libre-arbitre
a. « Les responsables musulmans, amènent les fidèles à la réflexion et les aident à distinguer dans les sources scripturaires, ce qui est applicable dans le contexte de la société française. »
b. « Nous voulons permettre à toute musulmane et à tout musulman de concilier sa pratique religieuse et son engagement citoyen afin de vivre les deux dans la paix et la sérénité. »
c. « Nous nous engageons également à lutter par l’enseignement et la pédagogie contre les superstitions et les pratiques archaïques, notamment celles qui prétendent relever de la “médecine” dite “prophétique” et qui mettent en danger la vie de croyants abusés. »
Ces déclarations peuvent créer une perception selon laquelle les musulmans vivant en France ont des problèmes entre la réalité de leurs vies quotidiennes et leurs croyances. Une telle perception peut laisser penser à l’opinion publique que les musulmans ont des avis problématiques et nuisibles et qu’ils peuvent aussi être nocifs à la société. Sur la base de cette hypothèse, on attend des mosquées qu’elles soient des centres de réhabilitation et de resocialisation de masse. Cette approche traite de la réalité de la vie des musulmans dans une perspective très étroite et d’une manière généraliste.
Les mosquées sont des lieux sacrés ou les imams rappellent aux croyants la responsabilité civile qu’ils ont en tant que citoyens et les invitent à l’établissement de la paix, du bien et de l’entraide lors de leurs enseignements et notamment lors des sermons du vendredi. Cependant, considérer les organisations islamiques et les mosquées comme des organismes et des centres de formation à la citoyenneté dépasse leurs objectifs.
Les responsabilités en matière de citoyenneté sont des questions qui doivent être traitées dans les centres de formation et d’enseignement, notamment dans les écoles et les établissements agréés par l’Etat.
Bien sûr, différents projets peuvent être développés dans ce domaine en fonction des besoins régionaux de nos mosquées avec les institutions locales. Cela ne signifie pas que nous avons essentiellement le devoir de « concilier les responsabilités des citoyens à leurs pratiques religieuses ».
D’autre part, alors que la médecine alternative et ses méthodes sont incluses dans la biomédecine de nombreux pays d’Europe, traiter la « médecine prophétique » d’une façon si péjorative est une approche occidentale eurocentrée et montre la méconnaissance de ce sujet.
Bien que ce point de vue eurocentré ne s’oppose nullement à des pratiques traditionnelles telles que l’acupuncture d’origine chinoise, il en qualifie d’autres de rétrogrades alors qu’elles sont riches de centaines d’années d’expérience. Cela sous-entend que des pratiques comme la saignée (hajemat) ou le jeûne (siyam) accomplis par les musulmans nuiraient à la santé.
En outre, cet article fait également courir le risque d’interdire la circoncision des garçons, la qualifiant de « superstition » et « de pratique ancestrale ».
Des réserves sur l’article 9 : Lutte contre la haine antimusulmane, propagande et fausses informations
a. « Dès lors, les dénonciations d’un prétendu racisme d’Etat, comme toutes les postures victimaires, relèvent de la diffamation. »
b. « Les courants extrémistes s’appuient sur des concepts belliqueux, incitant à la violence et à la sécession dans des discours qui nuisent autant à la société française qu’à l’image de l’islam et des musulmans. »
Le CNI, dont la vocation est d’agréer les imams, n’a nullement compétence en la matière pour affirmer ou infirmer s’il y a un racisme d’Etat ou un racisme institutionnalisé, s’il y a diffamation ou pas.
De plus, il faut également rappeler qu’il existe une commission dénommée « Observatoire national de lutte contre l’islamophobie » au sein du CFCM dont le rôle est justement de recenser et lutter contre tous les actes antimusulmans.
La déclaration « les dénonciations d’un prétendu racisme d’Etat (…) relèvent de la diffamation » ignore également les travaux des associations antiracistes et des organisations non gouvernementales sur le sujet. La diffamation publique est un délit encadré par la loi, et il revient aux parties ou institutions concernées de saisir la justice.
La liberté d’expression est un droit fondamental. Une caractéristique des sociétés qui se définissent comme pluralistes et libérales est qu’elles ont une forte compréhension du civisme et une culture inclusive de la critique des hommes politiques et des actions de l’État. Les organisations islamiques sont conscientes que le droit à la critique doit être exercé dans le but de promouvoir le bien et de mettre en garde contre le mal, avec modération et sans usurper les droits de l’autre partie.
Par conséquent, aucune association religieuse ne peut se substituer aux organisations spécialisées dans le relevé des actes racistes, islamophobes, ou antisémites et qui sont les mieux placées pour affirmer ou infirmer un racisme institutionnel.
La note de bas de page présente des notions propres à l’histoire et à la pensée musulmane comme étant des « concepts belliqueux ». Or, les concepts « wala et bara » (alliance et désaveu), « takfir et hijra », (anathème et exil), « dar al-harb et dar al-islam » (terres de guerre et terres d’islam) cités sont d’ordre jurisprudentiel et ne peuvent être traités qu’avec les savants musulmans spécialistes en la matière. Ils ne peuvent être cités en bas de page sans aucune explication.
Ces concepts n’ont rien de « belliqueux » par essence, contrairement ce que prétend cette version de la Charte. Ce genre d’approche peut mener à étiqueter comme belliqueux les musulmans travaillant sur la pensée islamique ou utilisant ces concepts dans leur acceptation première qui n’a rien de belliqueuse.
Des réserves sur l’article 10 : Respect de la Charte
a. « Si au moins deux fédérations estiment qu’une infraction à la présente charte est commise, elles peuvent décider de l’ouverture d’une enquête contradictoire dont elles définissent le contenu. Après cette procédure contradictoire, une infraction est établie si elle est reconnue par au moins deux tiers des fédérations, par une motivation écrite. »
b. « Elle entraîne alors l’exclusion du contrevenant de toutes les instances représentatives de l’islam de France. »
Les passages cités ci-dessus représentent un véritable énigme quant à leur présence dans une charte. En effet, ces passages sont tout d’abord antidémocratiques, laissant la possibilité à deux fédérations qui se mettraient d’accord d’entamer une procédure d’exclusion en se donnant la possibilité d’en définir le contenu. S’il devait y avoir une procédure de sanction à l’encontre d’une fédération qui ne respecte pas cette charte alors qu’elle fait partie du CNI, c’est au sein même de cette instance que l’on devrait mettre les procédures de sanctions qui devront être parfaitement décrites et appliquées.
De plus, donner le rôle de pilotage de la procédure contradictoire à la partie accusatrice, c’est-à-dire aux deux fédérations qui ouvrent l’enquête et déterminent le contenu, est également antidémocratique et contraire au principe le plus élémentaire du droit qui est le respect du principe de ne pas être juge et partie en même temps dans une affaire.
En d’autres termes, les modalités de radiation ou d’exclusion devraient être prises plus au sérieux dans le document cadre ou le règlement intérieur du CNI.
Autre point, une institution, en l’occurrence le futur CNI, peut se donner des moyens de sanction décrits dans ses statuts ou règlement intérieur mais le passage « l’exclusion du contrevenant de toutes les instances représentatives de l’islam de France » affirme que l’exclusion du « contrevenant » se fera de toutes les instances représentatives de « l’islam de France », se donnant ainsi la possibilité d’exclure les fédérations des autres instances ou associations. Cela est incompatible avec le droit et représente un esprit totalitaire inacceptable.