La justice française rejette la demande de libération de Nabil Ennasri
Le juge des libertés a rejeté vendredi 26 janvier la demande de libération de Nabil Ennasri, incarcéré le 4 octobre 2023 pour «trafic d’influence » en faveur du Qatar. Le lancement d’une procédure pour port de bracelet électronique a néanmoins été demandé.
Nabil Ennasri restera en prison. Vendredi 26 janvier, le juge des libertés et de la détention statuait sur la demande de libération du politologue âgé de 42 ans, spécialiste du Qatar, sujet pour lequel il a consacré plusieurs ouvrages. Le juge des libertés a donc décidé de prolonger la période de détention provisoire de M. Ennasri, justifiant cette décision par le risque encouru de fuite à l’étranger.
Franco-marocain, Nabil Ennasri avait proposé de confier ses passeports à la justice jusqu’à la tenue du procès et à l’annonce du verdict. En vain. Le juge des libertés a néanmoins demandé la réalisation d’une enquête de faisabilité en vue d’une mesure de bracelet électronique, selon des informations de notre rédaction, ouvrant la porte à une éventuelle libération ultérieure.
Une procédure visant à déterminer les conditions d’installation d’une borne électronique au domicile de M. Ennasri. Cette enquête peut prendre plusieurs semaines.
Retour sur les faits
Le 4 octobre 2023, Nabil Ennasri était placé en détention provisoire par la justice pour « abus de confiance », « corruption et trafic d’influence d’agent public » et « blanchiment de fraude fiscale aggravée ».
Les juges reprochent à Nabil Ennasri d’avoir joué, en France, le rôle d’un agent d’influence au profit du Qatar et d’avoir reçu de l’argent à ce titre. Plusieurs personnes ont été interrogées par la justice française dont un certain lobbyiste nommé Jean-Pierre Duthion, interpellé pour le même type d’accusation. Mais M. Duthion a été seulement placé sous bracelet électronique sans incarcération, en attendant la tenue d’un procès dont la date n’a toujours pas été fixée.
Nabil Ennasri, par la voix de son comité de soutien, a dénoncé une affaire politique dans plusieurs communiqués. Il s’estime victime d’un traitement discriminatoire, subissant une incarcération dont n’a pas fait l’objet M. Duthion. Après avoir débuté une grève de la faim le 22 décembre pour contester cette incarcération arbitraire, M. Ennasri a finalement décidé de l’interrompre sur demande de ses proches et de sa défense.
Une stratégie de communication critiquée
Sur le fond des accusations portées contre lui, Nabil Ennasri ne s’est pas encore exprimé. On ignore sa ligne de défense. Son avocat, maître Yassine Bouzrou, refuse que son client s’exprime dans les médias. Sollicité à de nombreuses reprises par la rédaction de Mizane.info, M. Bouzrou n’a pas souhaité prendre la parole.
Une stratégie de communication que beaucoup contestent en interne, y compris chez des observateurs de la scène musulmane française. Ces critiques estiment que la stratégie de Yassine Bouzrou occulte la dimension politique de l’affaire Ennasri. Une critique déjà pointée dans un précédent dossier, celui de l’intellectuel suisse Tariq Ramadan, que défendait préalablement maître Bouzrou, avant que M. Ramadan ne change d’avocats.
La main des Emirats ?
L’affaire Nabil Ennasri, à la suite de l’affaire Tariq Ramadan, a incontestablement donné un visage à la campagne politique anti-Frères musulmans menée en Europe et en France par des politiques, des éditorialistes et certaines figures isolée de la vie universitaire.
En juillet 2023, une enquête révélait qu’une société de renseignement privée suisse, Alp Services, travaillant pour le compte des Emirats arabes unis lui aurait fourni une liste de personnalités vivant dans des pays européens, supposément proches des Frères musulmans.
Pour ce travail, Alp Services aurait empoché la somme de 5,7 millions d’euros entre 2017 et 2020, « versés par un centre de recherche émirati nommé Al Ariaf, qui sert de couverture aux services » de sécurité des Emirats. « Nos documents montrent qu’entre 2017 et 2020, Alp Services a livré en pâture aux services émiratis les noms de plus de 1 000 personnes et de plus de 400 organisations supposément liées aux Frères musulmans dans dix-huit pays européens, dont plus de 200 individus et 120 organisations en France », écrivait Médiapart. Les noms de Tariq Ramadan et Nabil Ennasri figuraient dans cette liste.
A cela, s’ajoute les relations politiques, géostratégiques, militaires et culturelles privilégiées entre Paris et Abu Dhabi. Comme axe de cette proximité, l’ouverture d’une base militaire française à Abu Dhabi en 2009 et les perspectives juteuses de ventes d’armement pour l’industrie militaire française.
La politique anti-printemps arabe et anti-Frères musulmans du royaume émirati, tout comme sa position stratégique face à l’Iran renforcent cet attrait d’Abu Dhabi pour la France et l’ensemble des alliés de Whasington. Enfin, la réalisation du Louvre Abu Dhabi, plus grand succès culturel de l’émirat, est un symbole fort de cette proximité.
Une organisation sur le déclin
Le vote de la loi séparatisme avait déjà révélé la présence d’un axe idéologique commun entre la France et les Emirats. Les déclarations récentes du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, incriminant le joueur de football Karim Benzema et l’accusant de proximité avec les Frères musulmans, déclarations qui avaient provoqué un tollé dans les milieux sportifs, ont témoigné de ce prisme anti-Frères musulmans dans l’actuel gouvernement. Karim Benzema a annoncé avoir porté plainte contre M. Darmanin.
Le gel des avoirs par la région Hauts-de-France de l’école lilloise Averroès, dirigé par Amar Lasfar, ancien président de Musulmans de France (ex-UOIF), et la procédure de fermeture de l’établissement par la préfecture, est un autre exemple de ce même prisme. Tout comme l’expulsion de l’imam et enseignant Hassan Iquioussen au Maroc.
Une focalisation d’autant plus surprenante que de l’aveu même des spécialistes des FM en France, l’organisation est très nettement sur le déclin. Le traditionnel rendez-vous de la Rencontre annuel des musulmans de France n’existe plus, depuis le Covid-19. L’ex-UOIF souffre également d’un vieillissement de ses cadres et n’a pas réussi ou souhaité transmettre le flambeau aux trentenaires et quadragénaires parmi ses militants.
Quelques éléments parmi d’autres qui attestent d’une faible influence des FM en France et interrogent sur la nature des motivations justifiant l’acharnement politique, administratif et judiciaire des autorités françaises.