Sociétés : faites votre choix !
Y a-t-il des paradigmes simples qui définiraient chacun de façon dynamique la trajectoire d’une société et son modèle ?
« L’Homme est un loup pour l’homme », déclare Thomas Hobbes. Un paradigme qui augure une société de méfiance où le prochain est perçu comme une menace à apprivoiser.
Ou encore, « L’homme est le frère de l’homme », enseigne la Révélation. Celui-ci serait porteur d’un modèle de société où son prochain est accepté comme son égal. Toutefois, il se trouve éprouvé dès l’aube de l’humanité par l’issue fratricide que connurent les deux enfants d’Adam, paix sur lui. Le frère envieux voyait en son frère un rival à éliminer. Face à cette rivalité meurtrière, Abel se pose : « Si tu portes ta main sur moi pour me tuer, je ne porterai pas ma main sur toi pour te tuer, je crains Dieu le Seigneur des mondes. Ainsi tu porteras mes péchés et les tiens et tu seras du nombre des gens de l’Enfer. C’est cela la rétribution des injustes », nous rapporte Dieu dans le Coran avant de conclure : « Aussi se conforta-t-il à l’idée de tuer son frère, il le tua et fut ainsi du nombre des perdants. » (1). Malgré l’enjeu capital, Abel ne se laissa pas entraîner hors de son essence par l’attitude conflictuelle de son frère. Le lien d’Abel avec son Seigneur l’immunisa et le fit imperméable à l’influence de son adversaire.
Passons ce conflit précoce révélateur et cherchons si dans le Livre de Dieu il est fait allusion à des modèles de société à l’instar de ces deux frères humains et de nos deux paradigmes initiaux.
Le modèle des compagnons du Prophète, paix et salut sur lui, met en exergue une société qu’on pourrait appeler société de fraternité et de partage. On trouve une référence dans un passage qui commente l’accueil offert aux premiers Musulmans, chassés de la Mecque, à Médine déjà peuplée : « …ceux qui, déjà installés dans le pays et dans la foi, accueillirent les Emigrés avec joie, sans ressentir la moindre envie pour ce que ces derniers recevaient, allant même jusqu’à se priver en leur faveur, malgré leur propre indigence », atteste Dieu, Exalté, avant de conclure : « Heureux sont ceux prémunis contre leur propre avarice ! » (2). L’avantage économique, physique, intellectuel de chacun est employé volontairement pour le bien-être de tous. La fraternité est volontairement promue par tous au-dessus des attributs de chacun. C’est une société où le lien fraternel prime sur les biens.
Le modèle des Quraychites est aussi explicité au détour d’un élément de débat insufflé par Dieu, Exalté, à Son Envoyé. Cette coalition de tribus contestait la condition socio-économique du Messager, paix et salut sur lui. Comme Prophète, ils voyaient plus un notable de haut rang. « Serait-ce à eux de distribuer la miséricorde de ton Seigneur ? » Réprouve Dieu en précisant l’essence de la Prophétie : c’est une miséricorde. « C’est Nous », poursuit-Il, « qui répartissons entre eux leurs moyens d’existence en ce monde et qui les élevons les uns au-dessus des autres de quelques degrés, afin que les uns usent des autres. Cependant, la miséricorde de ton Seigneur vaut mieux que tous les biens qu’ils amassent. » (3)
Une lecture en filigrane de ce passage permettrait de relever quelques caractères. C’est une société où l’avantage de chacun lui concède les services des autres. La finalité étant d’amasser toujours plus. On dessine ici les traits d’une société où, à toute échelle, chacun, armé de ses avantages distinctifs, amasse et réduit l’expression du lien humain à un simple usage méfiant. Où la différence est un alibi de discrimination et de domination.
Les sociétés aujourd’hui naviguent entre ces deux bords. Faites votre choix ! Pour commencer, la question est simple : « Mon prochain m’évoque-t-il d’abord la sympathie ou l’appétit ? »
(1) al-Mâ’idah, v29-31
(2) Hachr, v9-10
(3) az-Zukhruf, v33