« Je crois tout ce que je vois ! »

L’assertion « Je ne crois que ce que je vois » a glissé discrètement vers une nouvelle forme : « je crois tout ce que je vois ». Une ère où le paraître fait foi est née ; la bulle médiatique participe activement à son essor.

Depuis St-Thomas, auteur présumé de la première assertion prononcée en ses débuts d’apôtre, un long cycle de successions s’est déroulé. Le religieux céda son rang à la raison, la raison aux sciences, les sciences aux technologies, les technologies au marketing et au marché. Parallèlement, la Révélation de Dieu céda son rang aux philosophies des hommes, les philosophies aux doctrines (idéologies économiques et politiques), les doctrines aux pragmatismes, les pragmatismes à l’opportunisme et la passion.

Sans disparaître, chaque élément fut asservi par l’élément dominant. Aujourd’hui, le marché, dominant, instrumentalise le reste.

Le religieux devient des rituels apparents et des codes sociaux compatibles avec des valeurs mercantiles comme l’opulence et l’égoïsme. Cela inscrit la foi dans la logique du marché qui l’apprécie en fonction des profits qu’elle génère. Autrefois, elle dut couler dans des moules aristotéliciens pour rester crédible.

La raison, battante elle fut face aux religieux, se plie, sauf exception, aux règles de l’offre et de la demande pauvres de sens.

Les sciences, autrefois pures et impartiales, scrutent les apparences pour réduire les vérités aux seuls signes superficiels, elles qualifient les vérités en fonction de leur rentabilité, et divulguent les secrets de nos mécanismes de décision aux marketeurs.

La technologie, elle, fabrique des écrans, généreux de couleurs, et précis, et achemine les étalages (objets, culture, mode de vie, …) jusqu’au fin fond de notre vie intime. Elle fabrique aussi des armes contre qui s’oppose à l’expansion du marché, et défend ses ressources. En fin, le marketing au sens large (économique, politique et culturel) embellit et influence.

Le règne du marché est le règne de l’égo. Il lui promet un accès sans censure aux jouissances de ce bas monde. Paradoxalement, assoiffé et passionné, l’égo est autant frustré à l’image d’un mirage qui inflige au voyageur autant de déceptions que fut sa motivation de s’y abreuver. En fait, les promesses de satisfaction faites à l’égo, sont tendues en guise de carotte pour l’exploiter. Le marché n’apporte pas la satisfaction à l’égo, mais lui vend des produits censés l’y amener.

Le marché, identifiant l’humain à un consommateur, a tout intérêt à ce que les vérités se résument aux apparences. Si les étalages ont l’air vrai, il faut croire qu’ils le sont forcément. Une belle pomme est forcément bonne. Un vendeur qui porte bien son costume est forcément honnête. Une femme qui sourit est une femme heureuse. Des vérités comme on en voit dans les publicités.

Ceux « qui veulent la vie ici-bas », armés d’une volonté de fer, moines du marché, ont besoin que l’être humain renonce à la profondeur et au sens, et qu’il surfe sur les apparences. Ils ont besoin de le réduire à ses mécanismes instinctifs assez prévisibles et instrumentalisables.

Comme autrefois, lorsque la Révélation éleva des gens et en rabaissa d’autres, cette dynamique amincissante élève certains et en rabaisse d’autres. Le mensonge, le synthétique, sont de mise. Les « stars » dans tous les domaines sont ceux qui réussissent à réaliser des écarts record entre le fond et la façade. Ceux qui, à partir de la même réalité, réussissent à donner une meilleure fausse impression. Une situation peu glorieuse peut ainsi être présentée comme tout à fait honorable, une situation qui suscite l’écœurement peut être mise en scène d’une façon qui suscite l’empathie.

Réduire les vérités à une simple apparence, mène à une société de vitrine et de façade qui réserve aux êtres solitude et violence.  « … Restera alors – à l’approche du jour dernier – les pires gens, vifs comme des oiseaux et ayant des esprits de fauves »[i], dit le Prophète, paix et salut sur lui, en décrivant ce modèle bipolaire extrême où le fond et la forme sont diamétralement opposés. Nous n’en sommes pas encore là. Mais il est temps d’inverser la tendance.

 


[i] Extrait d’un récit prophétique rapporté par Muslim d’après Abdullâh Ibn Amr.

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