Le dieu Capital
La déclaration des droits de l’Homme et du citoyen conféra la pleine souveraineté à l’Homme-citoyen. Mais depuis, les choses ont bien changé. Par un tour de magie éblouissant, pendant que tous vantions la splendeur de ladite déclaration, le pouvoir a glissé vers la classe politique, puis dans la main du Capital. Ce dernier n’hésite pas aujourd’hui à ridiculiser en public les hommes politiques, dont le pouvoir est relégué à un rang inférieur, après les avoir savamment corrompus. Une façon subtile d’attirer l’attention sur les vrais maîtres seuls capables de peser réellement sur le cours des choses. On assiste à une « peopolisation » des hommes politiques qui, pour leur survie, doivent contribuer aux spectacles populaires via les média de masse et jouer leurs numéros dans la scène de distraction qui signe la puissance du nouveau pouvoir.
Est-il question pour le Capital de renier la démocratie ? La ridiculisation des politiciens, à juste titre, peut être un bon début. Les citoyens perdront un jour confiance, mais toutes les grandes décisions auraient été transférées à une nouvelle sphère. La privatisation de la cité, en y introduisant les fonds et les méthodes du secteur privé, aura suffisamment avancé.
La transformation du citoyen en un consommateur addict à ses passions et ses habitudes aura eu raison de sa légendaire combativité et son œil critique qui donnèrent un jour naissance à la déclaration universelle de ses droits.
Il n’est pas question de renier une idole – la démocratie – que le peuple admire et porte une grande affection à son égard, mais il s’agirait plutôt de la réduire à l’impuissance, de la mettre hors-jeu en exploitant de nouvelles voies de ralliement et d’adhésion qui ne se basent pas sur des décisions conscientes et volontaires. C’est connu, les marketeurs s’adressent à l’inconscient de l’homme. Aujourd’hui, entre la raison qui manie des chiffres et le plaisir qui offre des sensations, le « citoyen » préférera la sensation au sens.
Le Capital maitrise l’alchimie des passions : richesse, domination, plaisirs. Un outil plus persuasif que la raison. Il s’adresse au « primate » qui subsiste en l’homme pour mobiliser ses pulsions possessives et dominatrices. Le modèle Prophétique trouve alors tout son sens et sa justesse participative. Surmonter la barre des passions pour s’en libérer, et se libérer ainsi de l’emprise du Capital. Un bien moderne mot le « Capital » ! Il s’agit du bien vieux « brillant de la vie ici-bas » par lequel Dieu éprouve Ses créatures humaines.
L’appel des anciens marchands Koraïchites au Prophète Muhammad, paix et salut sur lui, retrouve tout son retentissement et ses circonstances. « Si ce qui t’anime est le désire charnel, suppose `Utbah émissaire de Koraïche, choisis alors parmi les femmes de Koraïche et nous t’en marierons dix. Si ce qui t’anime est l’aisance matérielle, nous te ramasserons de nos biens jusqu’à ce que tu sois l’homme le plus riche de Koraïche. » « As-tu fini ? demande le Prophète. – Oui répond ‘Utbah.» Le Prophète se mit alors à réciter les premiers versets de sourate « Fûssilat » jusqu’au verset suivant : « S’ils s’en détournent (du Livre) alors dis je vous avertis un anéantissement comme celui des ‘Âde et des Thamûd. » « Assez, assez, interrompt ‘Utbah en suppliant le Prophète d’arrêter, n’as-tu pas autre chose ? – Non, dit le Prophète. » .
Jamais le message du Prophète, paix et salut sur lui, n’a été autant d’actualité. D’une part, un appel à satisfaire ses passions sans scrupule ni état d’âme, dans une jungle de prédateurs les uns en proie aux autres. Et d’autre part, un appel à contrarier ses passions au sein des fidèles croyants pour satisfaire Dieu. Face à l’emprise des passions orchestrée par le Capital, le Prophète exposa la guidée du Coran, la grande Nouvelle.
Aujourd’hui comme hier, la vie dernière et la vie au bas monde nourrissent deux volontés présentées comme antinomiques dans le Livre saint. A un moment ou un autre de sa vie, le musulman devra confirmer un choix : Devenir transparent aux avances du Capital par la maîtrise intime de soi et de ses passions. Autrement dit donner la priorité à la vie dernière qui donnera sens à sa vie au bas monde.