YASSIN, l’Appel dans la cité
C’est durant le mois du Ramadan (1) que Dieu fit descendre le Coran au ciel le plus bas pour ensuite être révélé au Prophète (paix et bénédictions sur lui ), de manière progressive durant vingt-trois années, afin qu’il puisse ensuite pénétrer les cœurs et les esprits des hommes à travers les générations.
Révélé en langue arabe, comme dernière « lettre » divine à l’humanité, le Coran est par excellence le langage le plus profond et le plus accessible pour véhiculer le Message de Dieu aux hommes, « Message de paix pour un monde violent, Message de sens pour un monde déboussolé et Message spirituel à l’homme moderne malade de sa modernité » (2).
La sagesse inimitable et atemporelle du Coran
Sa composition est riche de sourates dont chacune est parée de sa propre beauté, sa puissance, sa noblesse et sa sagesse. Et parmi ses sourates, la sourate Yassin (3) porte une place particulière dans la composition coranique dont le Prophète (paix et bénédictions sur lui) nous indique les mérites :
Selon Ma’qil Ibn Yassar (que Dieu l’agrée), l’Envoyé de Dieu (paix et salut sur lui) a dit : « Yâ-Sîn est le cœur du Coran. Quiconque la lit en voulant la Face de Dieu et le bien-être de la vie dernière, Dieu lui pardonnera. Lisez-la pour vos morts. » (4)
Selon Anas (que Dieu l’agrée), le Prophète (paix et salut sur lui) a dit : « Quiconque lit la sourate Yâ-Sîn, Dieu lui inscrit la récompense équivalente à 10 fois la lecture du Coran. » (5)
Atâ Ibn Abi Rabâh (que Dieu l’agrée) a dit : Il m’a été rapporté que l’Envoyé de Dieu (paix et salut sur lui) a dit : « Celui qui lit Yâ-Sîn au milieu de la journée, ses besoins seront satisfaits. » (6)
Ibn Abbas (que Dieu l’agrée) rapporte que l’Envoyé de Dieu (paix et salut sur lui) a dit : « J’aurai tant aimé que tous les membres de ma communauté retiennent cette Sourate par cœur. »
Cette sourate commence par un sermon divin qui clame la sagesse inépuisable et la perfection du langage coranique (en langue arabe). Chaque lettre, chaque mot et l’agencement des versets sont placés avec une extrême précision. Pour appréhender sa compréhension et découvrir ses secrets, il a fallu développer l’étude des sciences du Coran qui se déclinent en quatre-vingts spécialités (selon l’imam Al Hafiz Suyuti) dont la linguistique, la grammaire, les causes de la révélation mais aussi les sciences dites profanes qui permettent de faire évoluer l’interprétation des textes. La récitation du coran selon les règles de tajwid constitue un art à part entière qui se transmet à travers les générations. C’est ce qui en fait un contenu en langue arabe inimitable dépassant toutes facultés humaines (I’jaz al qoran).
Cette perfection du langage coranique ne fait que confirmer la véracité du Prophète-Messager dont le modèle accompli invite les hommes à emprunter une voie droite qui mène à la vérité et au bonheur éternel.
« Ya-Sin. Par le Coran plein de sagesse. Tu (Mohammad) est certes du nombre des messagers. Sur un chemin droit. »
Le chemin de la vérité n’est pas une recette prête à être consommée mais plutôt une voie, tracée par les prophètes, à emprunter comme un voyage initiatique qui demande force et résolutions pour s’élever moralement et spirituellement. A propos de cette voie droite qui guide vers Dieu, le diable s’était engagé à s’y interposer pour en distraire les hommes à l’exception des esprits sincères et véridiques : « Il dit : “Ô mon Seigneur, parce que Tu m’as induit en erreur, eh bien je leur enjoliverai la vie sur terre et les égarerai tous, à l’exception, parmi eux, de Tes serviteurs élus.” [Allah] dit : “Voici une voie droite [qui mène] vers Moi. Sur Mes serviteurs tu n’auras aucune autorité, excepté sur celui qui te suivra parmi les dévoyés”. » (7)
Ce Prophète-Messager qui vient alors parler aux hommes de leur Créateur et de la vie dernière doit faire face à leur adversité parce que le message coranique vient déconstruire leurs croyances et leurs mythes. Il bouscule les idéologies, les intérêts d’ordres politiques, sociaux et économiques pour rappeler à chaque homme son origine innée inscrite au plus profond de l’être comme une empreinte indélébile. La sagesse du message coranique remet chaque chose à la place qui lui revient et rappelle à l’homme son innéité (Fitra) qui « n’a pas besoin de formules ni de raisonnement pour percevoir la vérité existentielle, elle est un sentiment, un sens inscrit dans le tissu primordial de l’être humain » (8). Elle vient rappeler le dialogue originel inscrit en la mémoire de chacun :
« Et quand ton Seigneur tira une descendance des reins des fils d’Adam et les fit témoigner sur eux-mêmes : “Ne suis-Je pas votre Seigneur?” Ils répondirent: “Mais si, nous en témoignons…” – afin que vous ne disiez point, au Jour de la Résurrection: “Vraiment, nous n’y avons pas fait attention”, ou que vous auriez dit (tout simplement): “Nos ancêtres autrefois donnaient des associés à Allah, et nous sommes leurs descendants, après eux. Vas-Tu nous détruire pour ce qu’ont fait les imposteurs ?” Et c’est ainsi que Nous expliquons intelligemment les signes. Peut- être reviendront-ils ! » (9)
Hélas, pour beaucoup, les portes et les fenêtres de la pensée restent barricadées dans leur suffisance et leur héritage éthique et culturel pour ne laisser aucun passage possible au rappel de l’essentiel. Ces personnes empêchées par des carcans ne doivent être la cible d’aucun acharnement de la part des porteurs du message : chacun est libre de croire ou de ne pas croire. Le message coranique n’aura d’effet que sur les consciences qui sont présentes à Dieu, habitées d’une inquiétude existentielle et dont l’éthique reste constante en public comme en privé. Le rappel du message coranique forge alors les caractères et en fait des personnalités libres dans leur façon de penser et d’agir.
L’ Appel dans la cité, l’excellence dans la citoyenneté
C’est au cœur de la Sourate Yassin que Dieu met sous les projecteurs le récit édifiant d’une cité dont le nom et les héros resteront anonymes pour ne retenir que l’exemplarité dans l’engagement de ces personnages et la place que Dieu leur accorde ici-bas en immortalisant leur mémoire et par les honneurs qu’Il leur prépare dans la vie dernière. Ce sont des personnes qui ont emprunté la voie droite et ont fait parvenir aux gens (tous les gens) l’appel des prophètes qui se résume aux questions suivantes :
– Qui suis-je et qui est mon Seigneur ?
– Quel est le sens de ma présence dans ce monde ?
– Y a -t-il une vie dernière après la mort et quelle éthique adopter dans la vie en société en vue de cette vie future ?
« Donne-leur comme exemple les habitants de la cité, quand lui vinrent les envoyés. Quand Nous leur envoyâmes deux [envoyés] et qu’ils les traitèrent de menteurs. Nous [les] renforçâmes alors par un troisième et ils dirent : “Vraiment, nous sommes envoyés à vous”. Mais ils [les gens] dirent : “Vous n’êtes que des hommes comme nous. Le Tout Miséricordieux n’a rien fait descendre et vous ne faites que mentir”. Ils [les messagers] dirent : “Notre Seigneur sait qu’en vérité nous sommes envoyés à vous. Et il ne nous incombe que de transmettre clairement (notre message).”Ils dirent : “Nous voyons en vous un mauvais présage. Si vous ne cessez pas, nous vous lapiderons et un douloureux châtiment de notre part vous touchera”. Ils dirent : “Votre mauvais présage est avec vous- mêmes”. Est-ce que (c’est ainsi que vous agissez) quand on vous [le] rappelle ? Mais vous êtes des gens outranciers !”. »
Certaines exégèses parlent d’une cité située dans le Sud de l’actuelle Turquie (10) dont les deux messagers étaient des apôtres de Jésus (paix sur lui) venus apporter le message prophétique de la manière la plus fidèle. Face au rejet des habitants de cette cité, Dieu renforce leur mission par l’arrivée d’un troisième messager-apôtre. Il en a fait des élus du fait de leur fidélité (sans rien y ajouter, ni soustraire) au message du prophète Jésus (paix sur lui) et du fait de leur engagement à faire parvenir le message aux hommes dans l’adversité. Leur force réside dans leur certitude du message divin qu’ils ont hérité du prophète Jésus et leur sagesse se manifeste dans leur humilité en tant que semblables et frères de leurs concitoyens. Ceci les prédisposa à diffuser le message dans toute la cité.
Hélas, les habitants de la cité rejetèrent le message et toute idée d’un Dieu plein d’amour qui s’adresse à eux et les invite à revenir vers Lui. Ils rejettent alors la semence d’une société vertueuse amoureuse de l’homme, porteuse de sens et de justice pour laisser germer la fracture et l’inimitié entre les hommes. Dans leur aveuglement, ils voient leur malheur dans ce que leur présentent les messagers alors qu’ils subissent en réalité le malheur de leurs propres actes. Leur ultime réponse à l’appel des messagers est la violence, la punition et la brutalité du sort qu’ils leur infligent en les lapidant.
Lorsqu’une cité perd ses repères et s’enferme dans ses idées, elle devient outrancière et violente ; la brutalité et l’aveuglement prennent le dessus sur le dialogue et la réflexion.
« Et du bout de la ville, un homme vint en toute hâte et il dit : “Ô mon peuple, suivez les messagers : suivez ceux qui ne vous demandent aucun salaire et qui sont sur la bonne voie. Et qu’aurais-je à ne pas adorer Celui qui m’a créé ? Et c’est vers Lui que vous serez ramenés. Prendrais-je en dehors de Lui des divinités ? si le Tout Miséricordieux me veut du mal, leur intercession de me servira à rien et ils ne me sauveront pas. Je serais alors dans un égarement évident. [Mais] je crois en votre Seigneur, Ecoutez-moi donc”. Alors il [lui] fut dit: “Entre au Paradis”. Il dit : “Ah si seulement mon peuple savait ! … en raison de quoi mon Seigneur m’a pardonné et mis au nombre des honorés”. »
L’histoire ensuite met en scène un homme qui surgit avec force et courage du bout de la ville pour éviter la catastrophe et pour réaffirmer le message en guise de dernier espoir pour ce peuple qui a dépassé toutes les limites. Malgré l’anonymat de cet homme arrivé du bout de la ville, le voilà émerger comme une étoile rayonnante que la foi révèle au grand jour. Le croyant accompli ne vit pas sa spiritualité dans le repli mais au contraire aspire à être utile aux autres. Le message divin le responsabilise, il ne pense plus que pour lui ou ses proches : Dieu élève son rang et l’anoblit parmi les hommes par la force de sa spiritualité et sa haute moralité. Il est alors un repère pour les hommes au service des gens : « Les gens les plus aimés par Dieu sont ceux qui profitent le plus aux autres » nous dit le Prophète (paix et bénédictions de Dieu sur lui). (11)
Un langage basé sur la Fitra (innéité) de l’homme
L’homme accourt et s’adresse à son peuple avec amour et compassion. Il n’use pas de la rhétorique ni de la force de persuasion mais laisse plutôt parler son innéité (Fitra). Il partage son expérience du cheminement et ses propres réflexions et invite les gens à s’interroger sur eux-mêmes :
– Ces messagers que vous menacez ne vous demandent aucun salaire. Ce sont des gens véridiques et désintéressés du pouvoir dont vous avez pu constater l’exemplarité. Ils ne font que vous rappeler à l’essentiel.
– Comment pourrais-je ne pas adorer Celui qui m’a donné l’existence à partir du néant alors que nous allons tous revenir à Lui ?
– Comment oserais-je m’inventer d’autres divinités qui ne me seraient d’aucun secours si Le Tout-Miséricordieux voudrait m’infliger un fléau ?
– Je serais dans ces conditions un homme déboussolé et sans repère.
– Je crois en Celui qui est votre Seigneur et le mien et à qui nous devons tout, écoutez-moi donc.
L’histoire conclut par la réaction de cet homme qui après avoir été crucifié s’exclame depuis la vie dernière et dans les hauts degrés de la félicité pour plaindre son peuple d’être resté dans l’ignorance :
« Ce ne fut qu’un seul Cri et les voilà éteints. Hélas pour les esclaves [les humains] ! Jamais il ne leur vient de messager sans qu’ils ne s’en raillent. »
- L’article est écrit durant le Ramadan de l’année 1445 de l’Hégire (2024)
- Islamiser la Modernité du Pr Abdessalam Yassine.
- Sourate N°36 du Coran
- Hadith rapporté par An-Nassai, Abou Daoud, et Ibn Hibban)
- Hadith rapporté par At-Tirmidhi
- Hadith rapporté par Ad-Darimi
- Coran : al-Hijr versets 39 à 41
- Islamiser la Modernité du Pr Abdessalam Yassine
- Coran : La table servie, versets 173 à 174
- Il est question de la ville d’Antioche ou Antakya au Sud Est de la Turquie.
- Hadith rapporté par al-Asbahani