Centré sur la vie, entouré de la mort
Ce titre flou est porteur de paradoxe. Il oppose en effet le sentiment de chacun quant au présent, mais rappelle fermement que la mort nous entoure constamment. En effet, nul n’a rendez-vous avec la mort, nul ne s’y prépare comme à un entretien mais tous s’enorgueillissent de raisonner au-delà du lendemain, avec optimisme et ambition, les études, le travail, le mariage, les enfants, la retraite,… S’il est clair que la société porte une responsabilité quant à ce conditionnement, que chacun se remémore la fulgurance de la mort et les vérités qui la suivent.
« Je pense, donc je suis »
Un de mes vœux les plus chers est de reconnaître en mes congénères une vivacité d’esprit, une consistance philosophique, une réflexion profonde qui alimentent une confrontation d’esprit digne d’Aristote, Ibn Sina, Voltaire, Spinoza, Chomsky, Césaire. Pour cela, nulle nécessité de légitimité intellectuelle à travers une thèse de philosophie ou de sociologie. Car la simple tournure « Je pense donc, je suis » vous suffit comme permis de réfléchir. Car si je suis, si j’existe, ma conviction, mon vécu peuvent alimenter le melting-pot humain des positions individuelles. De même, souvenez-vous que dans cette société où les médias tiennent très bien leur rôle de machine à penser, celui qui se laisse happer par cette fabrique de consensus, celui qui admet d’office l’idée du plus visible, celui qui sans contredire répète à l’envie l’avis du journaliste, celui qui ne dit mot, consomme et se consume. Dieu nous appelle d’ailleurs, à raisonner, à méditer, à tirer leçon de notre présence, de notre environnement et de notre devenir. Celui qui se cherche et qui donne sens à sa vie retourne avec la certitude d’avoir apporté de soi à l’humanité. Et soyez renforcés de cette véritable part d’identité qu’est votre sensibilité intellectuelle.
La Mort, un sujet tabou
« Pour ta vie d’ici-bas, agis comme si tu allais vivre éternellement, et pour l’au-delà, agis comme si tu allais mourir demain ».
Qu’il semble osé, aujourd’hui, de songer à la mort. Chacun souhaite s’en affranchir à grand renfort de désirs d’avenir. Bien qu’il puisse être le fil qui nous tient en vie et sur la voie, l’espoir peut aussi être le trompe-l’œil qui nous pousse à attendre du lendemain la promesse d’être meilleurs qu’aujourd’hui.
Aussi, dans une société qui fait de la réussite et du bonheur le but de la vie, il ne fait pas bon parler de ces trouble-fêtes que sont les malheurs et la mort. Dans le monde de Disney, dans la sécurité et le bien-être sublimé, il est inconcevable de souffrir. Une des raisons d’être de l’homme est la recherche de son bonheur. Les statistiques ne cessent de nous rassurer en ancrant au fond de nous-mêmes la notion de nombre humain (accidents sur les routes, chômage, consommation…). D’ailleurs même les grandes firmes d’assurances, raflant d’énormes bénéfices, prospèrent sur notre bien-être et la linéarité de notre situation alors comment douter ! Comment ma carrière toute tracée ne le serait finalement pas ! Arriverais-je à payer ma maison pendant les 40 prochaines années ? Demain, quel impact la météo aura sur moi, sur toi ?
Sujet tabou par excellence, la mort surgit du fond de notre conscience lorsqu’on s’en approche, par l’âge ou qu’on la frôle, par la violence. La remontée brutale sans le respect des paliers de pression provoque un violent effet de paralysie mentale, nous qui croyions en avoir fini de l’entendre se manifester. Après tout, ça n’arrive qu’aux autres. Quelles réponses nous viennent quant à son accueil, quelle est sa cause, et bien-sûr, qu’attend Dieu de nous en tant que créature égoïste, mais fragile ?
« Profite de cinq choses avant cinq autres : ta jeunesse avant ta vieillesse, ta santé avant ta maladie, ta richesse avant ta pauvreté, ta disponibilité avant ta préoccupation, et ta vie avant ta mort. ». (1)
Ta jeunesse avant la vieillesse
Quant à la jeunesse, elle est si précieuse qu’elle impacte directement la suite de la vie. Elle se caractérise notamment par le passage entre l’innocence de l’enfant et la responsabilité du parent, c’est-à-dire de 10 à environ 25 ans. C’est là que se construisent l’éducation spirituelle, scolaire, sociale, sexuelle, physique et intellectuelle. C’est sur l’éducation faite en l’espace de 15 ans que les 50 années suivantes s’appuieront, à tous les niveaux.
La santé avant la maladie
La santé est relative à un état physique stable, délivré de toute pathologie portant préjudice à son fonctionnement normal pour l’individu. L’atteinte à la santé peut survenir d’une maladie temporaire (grippe, entorse…), d’une maladie permanente (diabète, allergie, mucoviscidose…) ou d’une maladie grave avec possibilité de décès (cancers, sida, infarctus…). C’est un état gênant qui perturbe le quotidien, à tel point que le Prophète, paix et salut sur lui, nous annonce que les œuvres pieuses accomplies en état de santé continueront d’être rétribuées pendant la maladie.
La richesse avant la pauvreté
Qu’il semble compliqué de définir la richesse ! Est-ce d’être au-dessus du seuil de pauvreté ou l’habitude de se nourrir de caviar ? Est-ce la possession d’un Yacht (ou d’une Rolex à 50 ans…) ou l’acquisition d’un vélo à Soweto ? Si l’échelle sociale varie selon les richesses nationales, il est d’une définition commune et éternelle qui met les plus humbles sur le podium et les plus avides sur les gradins : « Celui d’entre vous qui se réveille le matin en sécurité parmi les siens ne souffrant d’aucun mal dans son corps et possédant la nourriture de sa journée, c’est comme si l’on avait amassé pour lui tous les biens de ce monde » (2), nous enseigne le Sincère parmi les Sincères, Mohammed, paix et salut sur lui.
Ta disponibilité avant ta préoccupation
Le temps est or. Richesse immatérielle personnelle non marchande, chacun s’applique à donner sens à chaque grain de sable qui s’écoule du sablier. Mais parle-t-on du même temps que prend le berger kenyan pour emmener paître ses chèvres et celui que prend du trader londonien pour miser sur le blé !? De même, nous avons tous des instants précieux dans lesquels nous installons nos rituels : religieux, loisirs, travail… Nous aimerions répéter chaque jour ce planning et nous accoutumer à ce quotidien. La moindre perturbation devient gênante, le moindre sursaut d’une activité impactant les autres est inacceptable. Et pourtant, quelle belle qualité humaine que la disponibilité…
La vie avant la mort
Le Prophète (paix et salut sur lui) nous dresse enfin un dernier ultimatum qui ne peut que renforcer les précédents : la mort. « Born to be alive » (né pour être vivant). Mais de quelle vie parle-t-on ? Qu’est-ce qu’une (re)naissance ? Quel est le sens de ce pléonasme ?
« Lorsque tu es né, tout le monde a souri, et tu étais le seul à pleurer. La vie est pleine d’épreuves, fais en sorte de rester croyant et de ne jamais douter de la divinité absolue, de sorte qu’à ta mort, lorsque tout le monde pleurera, tu seras le seul à sourire ». (3)
On y retrouve le début, la vie et ses épreuves, et le mode d’emploi pour finir par l’espoir d’une mort paradoxalement heureuse. Car oui, comme le proclamaient nos prédécesseurs, nous sommes une nation qui aime la mort davantage que la vie.
Ce sentiment nourrit un rapport désintéressé quant à la vie basse et ses éclats. Il nous oriente vers l’espoir d’une vie délicieuse dans l’éternité paradisiaque. Mais cet adage ne dévalorise en rien la vie comme état physique et conscient. Bien au contraire, armés de cette sagesse, nous avançons vers le bonheur en aimant la vie à en mourir. Nous répondons à l’appel de l’engagement avec la certitude de trouver le bonheur en échange.
Dans cette attente soyons donc prompts à pratiquer notre métier d’homme qui est, selon Albert Camus, d’être heureux.
Cependant, selon Abou Hourayra, le Messager de Dieu que la paix soit sur lui, aurait dit : « Remémorez-vous beaucoup celle qui anéantit les plaisirs » (4). Il voulait dire la mort.
Apprendre à regarder en arrière plutôt qu’en avant, se dire que Dieu nous a allongé légèrement une vie qui n’attend que la mort. Ce sursis nous sensibilise quant à nos compteurs personnels. Se souvenir de la mort, s’y préparer, se poser la question suivante : si mon décret arrive, qu’aurais-je à présenter ?
Au fur et à mesure d’être posée, cette question assainira notre rapport à la vie. En effet, il est naturel de l’aimer et de craindre la mort. Seulement cette approche naturelle peut créer chez nous un brouillard qui estompe la proximité de la mort. Tandis que modifier cette approche progressivement renouvelle le regard d’hier et de demain. La corde de l’arc est retendue et le courage pour les lendemains, rebandé.
Penser aux épreuves pouvant nous toucher, c’est aussi s’y préparer. Si elles nous touchent, ce qui devait arriver arrivera, ce qui devait nous toucher nous caressera et nous l’assumons courageusement. Si nous sommes épargnés, que les louanges entières soient adressées à Dieu et qu’Il libère nos égos de ce fardeau.
Ce ne sont que des rappels de notre fragilité sur Terre, plutôt proche de la fin que du début.
L’être humain avance à reculons, c’est sa mort qui l’attend si près et ce qui précédait ne fut qu’un sursis de clémence, qu’il devrait capitaliser, valoriser en œuvrant pour Dieu et purifiant son âme.
Oh fils d’Adam, toi qui t’empresses de rejoindre ton gîte initial, l’Eden, tempère ton ardeur et construis ton œuvre patiemment. Toi qui vises les étoiles, regarde le sol, telle sera ta destinée. Toi qui remplis ta panse sans limite, prêt à écarter tes congénères qui te ralentiraient, sois parmi les braves en sondant ton cœur et en transformant tes passions en provisions, tes penchants en vertus, tes pulsions en amour.
Sois de ceux qui placent leur journée entre les mains du Tout-Puissant. Tu te retrouveras alors comblé dans les deux mondes. « Si vous vous en remettez à Dieu comme il convient de s’en remettre à Lui, Il vous apportera votre subsistance comme Il l’apporte aux oiseaux qui quittent le matin leur nid le ventre creux pour y rentrer le soir le ventre plein. » (5)
Satan notre ennemi eut cette réaction hostile envers Adam lors de sa création : « Comment cet être de glaise pourrait représenter Dieu sur terre ? ». Lui qui était créé de feu ne put admettre qu’une autre échelle de valeur que la matière, l’apparence était possible. Il ne put accepter que l’homme soit capable du meilleur. Il se décida alors à le harceler pour l’amener à commettre le pire. Il poursuivit aussi comme but d’alourdir l’homme, de le lester, de sorte que jamais il ne s’élève.
L’Homme producteur-consommateur
Le siècle industriel a parfaitement servi ce dessein en réduisant l’homme à une composante fonctionnelle de producteur-consommateur. Prônée par les « Pharaons de l’industrie », cette idéologie accoucha de l’homme « moderne », esclave inconscient, dénué de sens critique et insatisfait. Menacé par le chômage, la baisse du pouvoir d’achat et une insécurité artificiellement entretenue, petit homme blafard se complait dans sa position et se laisse bercer dans les bras de Lucifer, prenant la forme d’un écran.
Mais qu’est-ce que le travail, qu’est-ce que consommer ?
Deux frères vivaient du temps du Prophète (paix et salut sur lui) : l’un d’eux se rendait régulièrement chez le Prophète et l’autre s’adonnait à son métier. Ce dernier se plaignit auprès du Prophète de l’apparente oisiveté de son frère. Il lui répondit : « Qui sait si tu ne reçois ta subsistance grâce à lui ? » (6)
A mesure de son cheminement vers Dieu, tout auréolé de l’espoir éternel, le serviteur inconditionnel attend, souriant, la venue de l’Ange Malik, honoré du recueil des âmes et délivré de l’enveloppe charnelle.
Essayons donc d’avoir cette vision panoramique nous permettant d’élever à un même degré de priorité, le passé, le présent et l’avenir.
Aussi, en vous rappelant que la mort pend au bout de chacun de vos nez, faites que votre passage sur terre soit anobli. Mieux qu’une rue qui porte votre nom, faites que la terre se vante de vous avoir servi de tapis, les nuages de vous avoir abrités et les Anges de vous avoir accompagnés.
Et puis songez un instant aux larmes que vous laisserez après votre passage. Souvenez-vous de cette magnifique parole prophétique : « La destinée des croyants après leur mort se reconnaît aux témoignages de ceux qui les ont côtoyés. »
Et vos enfants, oui vos enfants ! Que leur souhaitez-vous ? Leur avez-vous laissé une suffisance pour leurs besoins financiers ou plutôt un modèle d’accomplissement spirituel, de proximité avec Dieu ?
Enfin bonheur à tous, bonheur à ceux qui survivront et ceux qui, partis les premiers, savourent déjà les délices promis. Dédicace et sympathie aux veuves et orphelins, pour qui le départ du bien-aimé fut amer.
1. Hadith rapporté par Al Hakim
2. Hadith rapporté par Thirmidhi
3. Proverbe Arabe
4. Hadith rapporté par Thirmidhi
5. Hadith rapporté par Thirmidhi
6. Hadith rapporté par Thirmidhi