Se maîtriser face à l’injustice
Notre mère Aïcha, que Dieu l’agrée, nous rapporte que : « le Messager de Dieu, paix et salut sur lui, s’efforçait davantage dans l’adoration durant le mois de Ramadan que pendant toute autre période de l’année ; et il se consacrait davantage dans l’adoration au cours des dix dernières nuits du Ramadan qu’au début du mois » (1). Encore une opportunité idéale pour réfléchir intérieurement à notre vie et de fixer des résolutions sincères pour les mois à venir, un mois pour accélérer notre cheminement, ancrer les meilleurs comportements et vertus sur les pas de notre modèle prophétique.
La première adoration par excellence demandée durant ce mois de ramadan est le Jeûne. C’est une adoration qui nous invite, à travers son caractère d’interdiction, de limitation et de privation, à nous élever, à nous détacher, à nous libérer et surtout à exercer notre patience et notre endurance. Le jeûne enseigne au croyant la patience dans toutes ses manifestations expressives et internes. Apprendre à patienter pour certains besoins vitaux, comme un moyen de se préparer pour ce qui pourrait être plus difficile, laborieux, comme l’adversité, les épreuves, les pensées négatives ou les désirs de l’âme. Le croyant répondant à la recommandation centrale de Dieu : « Certes, Dieu commande la justice et la bienfaisance » (2), voit aussi l’effet du jeûne dans sa forte personnalité qui se maîtrise et se lève contre toute injustice, comme il le voit dans son élévation spirituelle.
Apprendre à se maîtriser face à l’injustice, à faire face au modèle opposé injuste est une qualité de plus en plus rare mais centrale dans la construction de la personnalité croyante, porteuse d’un message de paix, d’un message de justice et de fraternité entre les hommes. Cette maîtrise est une qualité et une vertu qui transformera notre réponse et marquera notre rapport à l’opprimé, à l’oppresseur et à l’humanité indifférente.
D’abord, cette maîtrise nous incite à refuser l’injustice, un premier réflexe de tout croyant cheminant vers les hauts degrés de la spiritualité. Le prophète, paix et salut sur lui, nous le rappelle et fait la différence entre les deux types de situations que nous sommes amenés à rencontrer : « Soutiens ton frère, qu’il soit injuste ou juste », une recommandation qui interpelle les compagnons et donc n’hésitent pas à poser la question : « Ô Messager de Dieu, nous le soutiendrons juste mais comment le soutiendrons-nous injuste ? » « En l’empêchant de commettre son injustice. » Répondit-il (3). Une recommandation, qui nous éloigne de l’individualisme contemporain, de l’indifférence générale et de l’état d’esprit d’après moi le déluge. Venir au secours de son frère, n’est pas l’affaire d’une élite ou le choix de quelques bénévoles spécialisés dans le domaine, mais le devoir de tout croyant, un devoir sans aucune considération de l’origine, la religion ou le sexe de l’opprimé et de l’oppresseur.
Ensuite, se maîtriser, nous apprend que notre réponse ne doit être ni réactive, ni impulsive. La réactivité nous emprisonne, nous esclave, quand la maîtrise nous libère, nous émancipe. Résister à la tentation de la réaction est un caractère principal de la personnalité forte du croyant, comme nous la décrit le prophète, paix et salut sur lui : « L’homme fort n’est pas celui qui est fort en lutte, mais c’est celui qui se maîtrise sous l’emprise de la colère. » (4). La réactivité est dangereuse au point de nous rendre nous-mêmes injustes, tentés par l’utilisation des mêmes armes et méthodes des injustes. Dieu nous met en garde contre cette tentation : « Et que la haine pour un peuple ne vous incite pas à être injustes. Pratiquez la justice : cela est plus proche de la piété. » (5). Au-delà de pouvoir se maîtriser face à cette tentation, Dieu nous désigne la coopération et l’entraide dans le bien commun et la justice comme réponses, des réponses proches de la piété : « Et ne laissez pas la haine pour un peuple qui vous a obstrué la route vers la Mosquée sacrée vous inciter à transgresser. Entraidez-vous dans l’accomplissement des bonnes œuvres et de la piété et ne vous entraidez pas dans le péché et la transgression. » (6)
Enfin, après avoir refusé l’injustice, résisté à la tentation de la réaction, se maîtriser face à l’injustice demande un long souffle, une persévérance continue et un travail au long terme. Aucune injustice ne doit nous détourner de notre occupation première qui est le cheminement vers Dieu. Un cheminement vers Dieu, qui passe aussi par l’engagement pour des sociétés où la fraternité et l’amour priment avant la justice, des sociétés où la dignité de l’homme est préservée et où la solidarité se concrétise par le don et l’écoute.
(1) Hadith rapporté par Muslim
(2) Coran : sourate les abeilles, Verset 90
(3) Hadith rapporté par al-Bukhari
(4) Hadith rapporté par al-Bukhari et Muslim
(5) Coran : sourate la table servie, verset 8
(6) Coran : sourate la table servie, verset 2