Quelques traits de la personnalité du musulman

La personnalité est une structure complexe. Certains, la comparent à un oignon qui comporterait plusieurs peaux successives[1], d’autres[2], à une enveloppe et son squelette. L’enveloppe étant son aspect apparent, et le squelette étant le creuset où se mélangent les énergies et les forces avec lesquelles elle s’exprime. Selon le Dictionnaire de Psychologie, elle est « un ensemble structuré des dispositions innées et des dispositions acquises sous l’influence de l’éducation, des interrelations complexes de l’individu dans son milieu, de ses expériences présentes et passées, de ses anticipations et de ses projets »[3]. Cette définition met en lumière trois composantes principales de la personnalité humaine, responsables de son éclosion et de son développement : 1– les structures psycho-physiologiques innées de la personne, 2– son acquis éducatif et 3– son œuvre volontaire et consciente sur son histoire individuelle. Précisons aussi que, la personnalité, étant unique et propre à l’individu, elle le distingue des autres même s’il a des traits communs avec eux[4]. Elle est, de ce fait, un facteur de différenciation.

Gloire à Dieu qui a créé l’innéité ; Que Sa paix et Son salut soient sur Son Prophète Mohamed, qui nous a appris que ce sont les parents qui transforment cette innéité par l’éducation qu’ils dispensent à leurs enfants. Gloire à Lui, Il a également enseigné à Ses adorateurs que le vrai changement, c’est d’abord changer ce qu’il y a en soi, se distinguant, ainsi, aussi bien par leur ressenti, leurs pensées, leurs paroles que par leur comportement.

Le Musulman hérite des mêmes structures psycho-physiologiques propres à la nature de l’Homme. Il subit les mêmes influences intérieures provenant des énergies qui constituent le fond psychique de tout être humain. Outre cela, et comme tout Homme, le Musulman est ce que l’éducation fait de lui, mise à part son action volontaire, bien évidemment. Il peut également rencontrer les autres, dans la volonté de maîtriser et d’orienter ces énergies considérables et par conséquent agir sur son histoire personnelle. Mais, pour ce qui est du sens et de la finalité qu’il donne à son existence et à son action, le Musulman se distingue et se différencie. En œuvrant pour acquérir progressivement les qualités de la foi et en aimant ses frères, son but ultime demeure exclusivement La Face et l’Agrément de Dieu.

Le Coran et la Tradition Prophétique n’évoquent nullement le vocable de « personnalité ». C’est plutôt le terme « al-Inssane : l’être humain» qui est employé et qui réunit les dimensions qui constituent une personne. Nous y trouvons, cela dit, une multitude et une variété de traits qui embrassent la réalité de l’être humain, tant individuelle que collective.

Par ailleurs, l’identification des caractères qui définissent la personnalité islamique ainsi que la voie qui mène à leur acquisition sont laissées à l’initiative de l’« Ijtihad[5] ». C’est dans ce cadre que s’inscrit l’œuvre de Abdessalam YASSINE, que Dieu élève son âme auprès de Lui. Le Hadith Prophétique relatif aux affluents de la foi est à la source de son effort scientifique. Le prophète, paix et prière de Dieu sur lui, dit : « L’imane, dit-il, provient de soixante-dix et quelques affluents. L’affluent supérieur découle de l’affirmation qu’il n’y a de dieu que Dieu ; l’inférieur de l’enlèvement de la saleté du chemin public. La pudeur est l’un des affluents de l’iman ». Se référant ainsi au modèle prophétique et s’appuyant particulièrement sur ce Hadith, Abdessalam Yassine a discerné dix vertus majeures[6] qui définiraient et distingueraient la personnalité islamique individuelle et sociale. « Dix vertus, à mon sens, constituent le fond de la personnalité individuelle et sociale de l’iman sur lesquelles la trame des soixante-dix-neuf qualités de sentir, de penser et d’agir doit être disposée. »[7], écrit-il. L’acquisition progressive de ces vertus, c’est le cœur d’un cheminement que le musulman expérimente quotidiennement parmi ses frères et dont l’objectif est double : témoigner pour Dieu ici dans ce bas monde et aspirer à Sa Face et à Son Agrément au Jour Dernier.

Au fondement de la personnalité islamique se trouve le lien affectif, dont l’aspect fondamental est l’amour en Dieu et pour Dieu. C’est un attachement de choix qui réunit les cœurs des croyants, il libère progressivement tout un chacun de son ego orgueilleux, acquisitif et jouissif, et lui permet ainsi, de modifier sa manière habituelle de ressentir, de penser et d’agir. Il est l’assise même du développement, pour une personnalité islamique structurée et bien établie. Aimer et vivre en communauté, voilà donc un facteur déterminant sur la voie laborieuse de la mutation éthique du Musulman.

Cela va sans dire que, cheminer seul sans une compagnie aimante, experte et connaisseuse de la voie et les périls qu’elle comporte, est très difficile voire impossible. « Le chemin est périlleux », c’est ainsi que Abdessalam YASSINE a intitulé un sous-chapitre dans son livre (Al-Ihssane : Le Bel Agir). Le péril est spirituellement éminent d’autant plus que l’ego, allié à Satan, est à l’affût de toute volonté sincère d’un réel et profond changement. « Oh combien de cheminants spirituellement assassinés, pillés, blessés, emprisonnés et éloignés compte-t-elle ! ». disait l’Imam Ibn Al-Qayim, parlant de la voie que le Musulman, voulant La Face de Dieu, emprunte.

De ce fait, dans sa garantie d’offrir au fidèle la protection et le réconfort, de lui procurer les réponses éducatives adaptées à ses besoins dans le respect de sa singularité, la communauté reste l’environnement approprié pour faciliter, encourager et donner forme au changement souhaité. Au contact de celle-ci, le Musulman développe « le fond humain qui le rendrait apte à monter dans le mérite spirituel et l’intégrité morale ». En d’autres termes, « Imprégné d’amour et embrassé de solidarité fraternelle », la communauté « le porte à dégager ce qu’il y a de meilleur en lui »[8], et à acquérir les soixante-dix et quelques affluents de la foi, constitutifs des dites vertus identifiées par Abdessalam Yassine. C’est de la sorte que le cœur du fidèle, son esprit, ses actes et ses qualités d’être changent, construisant en conséquence peu à peu sa personnalité. Durant ce temps, il expérimente alors, goûte et vit de nouveaux états spirituels et enjambe davantage de pas vers sa plénitude éthique.

Toutefois, à défaut d’une volonté sincère, d’une présence continue à Dieu et d’une œuvre observatrice de Ses Prescriptions, cette aspiration à changer ne sera qu’un vœu pieux. C’est dire que le pouvoir de changement réside chez le Musulman cheminant, la communauté n’étant qu’un levier et un facteur aidant. « En vérité, Dieu ne modifie point l’état d’un peuple, tant que ses membres ne  modifient pas ce qui est en eux-mêmes. »[9], dit Le Très-Haut.  

Une fois que la pente est gravie, au sommet, la vue est prenable et le fruit est bon. Effectivement, au bout de cet effort « qui soumet l’égo à une interrogation sans relâche et lui impose une ascèse de tous les instants, dans les règles de l’imane»[10], se dessine la personnalité islamique définie par ses dix caractères majeurs qui sont, selon Abdessalam Yassine[11], les suivants :

1-Une personnalité qui croit en Dieu et dans le Jour Dernier, et dont la spiritualité est haute.

2-Une personnalité apte à intégrer la communauté. Elle aime en Dieu, ordonne le bien, interdit le blâmable et participe au bien-être du collectif.

3-Une personnalité vraie. Elle adhère courageusement à la vérité aussi bien dans son attitude que dans ses propos et ses agissements. Elle est digne de confiance.

4-Une personnalité consciente et responsable quant au soutien qu’elle doit aux démunis et aux opprimés. Elle est prête à déployer l’effort nécessaire et à donner de ses biens pour établir l’équité sur cette terre.

5-Une personnalité savante. Son savoir empreint son rapport aussi bien à Dieu, à la société qu’à la nature.

6-Une personnalité qui fait bonne œuvre active et s’abstient de tout ce qui déplaît à Dieu.

7-Une personnalité distinguée aussi bien par son beau paraître que par son être.

8-Une personnalité persévérante qui tient bon ne se laisse pas vaincre au premier contact des hostilités sur le chemin de Dieu.  Elle est capable de surmonter les obstacles pour foncer vers les sommets du Bel-Agir.

9-Une personnalité productive et économe. Elle sait gérer les richesses de la communauté qui procurent à celle-ci son autonomie et sa sécurité économique et politique.

10-Une personnalité battante et combative dans la voie de Dieu. Usant de la sagesse, de la douceur et de la bonne parole, elle porte le Message de Dieu à l’humanité entière. Elle est également capable de repousser toute attaque injuste visant la communauté

Chaque caractère correspond à une vertu. Au total, ce sont dix vertus dont chacune est le fruit direct de l’acquisition d’un nombre défini des affluents de la foi évoqués dans le Hadith prophétique susmentionné. Elles embrassent le cœur du musulman, sa raison ainsi que son agir. Et selon Abdessalam YASSINE, elles expriment deux qualités centrales, l’Amour et la Sagesse ; les deux étant étroitement liées. « N’est-ce pas la plus grande intelligence qui, seule, serait capable de l’amour le plus grand ? »[12], s’interrogeait à juste titre Pierre DACCO. Incorporant à la fois des modalités de sentiment, de pensée et d’action, ces deux qualités permettent au Musulman de réussir excellemment ses rapports à son Créateur, à lui-même, à la société et à la nature.

Parler de la personnalité islamique dont les traits majeurs sont bien définis ne signifie point ignorer la singularité de tout un chacun. Il est question d’un Ijtihad qui établit un modèle auquel tout Musulman pourrait aspirer, tout en respectant son histoire personnelle ainsi que les caractéristiques que Dieu lui octroie.


[1] S. Carfantan, L’identité personnelle. Philosophie-Spiritualite.Com

[2] L. Schmitt, Le Bal des ego, 2010.

[3] N. Sillamy, Dictionnaire de Psychologie, 1980.

[4] J-C. FILLOUX, La personnalité, « Que sais-je », 1999.

[5] L’ijtihad : l’exercice intellectuel, en droit musulman, qui s’établit sur le principe de compréhension des textes   en fonction de leur orientation et de leur objectif (T. RAMADAN, Le génie de l’Islam, p. 43.)

[6] Nous y reviendront en détails à la fin de cet article. 

[7] A. YASSINE, La Révolution à l’heure de l’Islam

[8] A. YASSINE, La Révolution à l’Heure de l’Islam.

[9] Coran

[10] A. YASSINE, La Révolution à l’Heure de l’Islam.

[11] A. YASSINE, Le Commandement de la Communauté.

[12] P. DACCO, Psychologie et liberté intérieure, p. 195.

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