Quand le populisme sauve la démocratie
Les dernières années ont vu émerger dans toute l’Europe des mouvements néoconservateurs de la droite radicale, voir d’extrême-droite. Reposant sur la défense d’une identité fantasmée et sur le rejet de l’islam, des partis et mouvements tels que le Front National en France, Aube Dorée en Grèce, le Vlaams Belang en Belgique ou encore le PVV en Hollande connaissent une popularité croissante.
Pourtant, en 2015, ce sont deux partis issus de la gauche radicale qui ont remporté des scrutins importants. Aujourd’hui, Podemos et Syriza se retrouvent au cœur de l’actualité européenne.
La formation politique hispanique Podemos (« Nous pouvons » en espagnol) découle directement du mouvement des Indignés né le 15 Mai 2011 lors des manifestations à Madrid. Cet élan populaire entendait dénoncer la mainmise des banksters sur l’économie et une démocratie qui ne représente pas les intérêts du peuple. Entendant par peuple, ces gens ordinaires semblable à « une ligue des opprimés contre les oppresseurs » qui rassemble « tous ceux qui courbent l’échine devant un patron ou frissonnent à l’idée du prochain loyer à payer » (George Orwell – Le Quai de Wigan, The Road to Wigan Pier).
Syriza trouve ses origines dans une coalition de gauche radicale rassemblant treize formations politiques fondée en 2004. Ce parti se revendique du socialisme et de l’anticapitalisme (l’un n’allant pas, en théorie, sans l’autre).
Aujourd’hui, ces deux partis sont présentés par les médias Mainstream comme des courants populistes. Qu’en est-il ?
Le populisme : une réaction au déni de démocratie
Toutes les formations politiques prétendent défendre les intérêts du peuple. Cependant, les partis traditionnels, dont les cadres sont tous issus des mêmes écoles et des mêmes classes sociales, supposent que le peuple n’a pas la capacité de connaître ce qui est bien pour lui. C’est cet élitisme politique qui aboutit à la gestion oligarchique et anti-démocratique que nous connaissons aujourd’hui. Deux exemples peuvent illustrer cette dérive. Le premier reste le référendum du 29 Mai 2005 où les français rejettent majoritairement le traité établissant une constitution pour l’Europe. Malgré cela, les institutions européennes et les responsables politiques (du PS à l’UMP) continuèrent la construction européenne contre la volonté des peuples. Comme le disait Berthold Brecht, « Puisque le peuple vote contre le Gouvernement, il faut dissoudre le peuple. » Le second exemple réside dans la multiplication des affaires politiques et les détournements d’argent. Comportement de privilégiés et mépris du peuple constituent deux facteurs nous rappelant l’ancien régime.
C’est cet élitisme qui entraine le populisme. Celui-ci est une réaction au déni de démocratie, une volonté d’être entendu et d’être pris en considération. C’est parce que les représentants élus n’écoutent plus leurs électeurs, leurs donnent des leçons tout en vivant comme des rois que le peuple développe un rejet instinctif de cette caste au pouvoir quasi héréditaire. Pas étonnant donc que le populisme soit aujourd’hui tant décrié par la caste médiatico-politique. Le populisme révèle les échecs des partis politiques. Quand on veut tuer son chien, on dit qu’il a la rage.
L’avantage du populisme c’est qu’il permet l’émergence de nouvelles alternatives politiques. Nous pouvons certes regretter la progression des mouvements néoconservateurs d’extrême-droite (mais également de gauche, Manuel Valls incarnant ce populisme couleur rose), nous devons nous réjouir de l’apparition de mouvements comme Syriza et Podemos, deux partis qui réhabilitent le sens du peuple sans tomber dans les effets négatifs du populisme.
Populisme identitaire et populisme protestataire
Un parti populiste se caractérise par sa volonté de faire prendre racine à son projet politique au sein même du peuple. Et c’est là que vont se différencier, pour reprendre Pierre-André Tagguieff, le populisme identitaire propre aux mouvements de droite radical et extrême-droite, et le populisme protestataire beaucoup plus présent dans les mouvements de gauche radicale.
Le populisme identitaire cherche avant tout à exploiter les paniques morales du peuple en proposant un discours binaire combinant critique des élites mondialisées (on remarquera que ceux qui prononcent ces discours sont rarement issus du peuple mais plutôt de la bourgeoisie. Pour preuve, le Front National fût dans les années 80 un fervent défenseur du libéralisme regeanien) et rejet de l’islam (religion prétendument extra-européenne et mettant en danger le mode de vie occidental). Cette analyse à deux entrées permet au citoyen, déjà fragilisé par des programmes télévisés abrutissant, de penser comprendre l’ensemble des rapports sociaux et de pouvoir se faire une représentation globale d’un monde pourtant complexe.
A l’opposé, le populisme protestataire entend les inquiétudes du peuple et contrairement aux gauches françaises, les mouvements populaires Syriza et Podemos ne tombent pas dans le moralisme politique et ne méprisent pas les paniques morales du peuple (expression créée par Stanley Cohen en 1972 désignant des réactions disproportionnées de certains groupes face à des pratiques culturelles minoritaires et jugées déviantes). Les deux gauches radicales apportent un tout autre éclairage à ces peurs. Elles mettent en évidence que celles-ci sont les conséquences de l’idéologie dominante. En effet, le capitalisme a cette faculté d’isoler les individus et de les monter les uns contre les autres pour pouvoir continuer son expansion. Ils prennent donc en compte ces paniques morales, partent d’elles et ne les raillent pas. Prendre en compte les inquiétudes ne signifiant pas aller dans leur sens.
Ainsi, ce populisme de gauche radicale mène à la fois un combat politique contre les élites mais mène également un combat culturel au sein même du peuple. En permettant au peuple de comprendre que l’ennemi de celui-ci n’est pas l’immigré, lui aussi victime de la globalisation, mais le capitalisme, dont l’accumulation illimitée de richesses constitue le seul horizon, ces partis apaisent les tensions sociales (racisme et islamophobie) et proposent un véritable projet politique dans lequel le peuple a toute sa place.
Bientôt l’accusation d’islamo-populiste
Louis Alidovitch, écrivain, auteur de l’essai « La Barbe qui cache la forêt »