L’affaire TODD

Ce mois de Mai a été marqué par la sortie du livre d’Emmanuel Todd « Qui est Charlie ?  Sociologie d’une crise religieuse ». Todd est historien, sociologue, anthropologue et démographe. Son œuvre prolifique a l’avantage de bousculer les idées reçues, de faire bouger les lignes et avancer les débats. Sauf que cette fois, Todd a touché à l’idole Charlie…

 

 

L’islamophobie inconsciente

Personne ne s’y attendait. Pourtant l’esprit du 11 janvier s’était dissipé dès le 12. Mais personne n’osait penser à l’impensable. Todd, qui était jusque-là resté silencieux, brisait le silence : Quatre millions de français sont sortis dans la rue pour affirmer leur droit à blasphémer le prophète de l’Islam, paix et salut sur lui. Qui peut prétendre le contraire ? Quand tous les manifestants brandissaient un crayon et chantaient en chœur « liberté d’expression », que voulaient-ils dire d’autre ?

Todd s’étonne également que « cracher sur l’islam » soit la préoccupation première d’un peuple dans un pays où le chômage dépasse les 10% et où le danger s’incarne davantage dans Monsanto que dans les musulmans. C’était donc quatre millions de français convoqués par un gouvernement qui ne cesse de marteler jour après jour les notions de « laïcité » et de « valeurs de la République » (1), qui convergèrent vers ce que les médias qualifièrent de « moment historique ». Cet élan patriotique révélait alors une islamophobie inconsciente qui trouva alors l’opportunité de s’exprimer. Samedi 23 Mai, seulement 2000 personnes défilaient à Paris contre Monsanto. CQFD.

Le néoconservatisme façon Valls

Nous ne souhaitons pas débattre ici de la thèse de Todd, un court article ne le permet pas. Mais il s’agit avant tout de constater les réactions suscitées par le livre de Todd. Les vagues d’indignations s’enchainèrent. Traité de malade par Jean Matouk, qualifié d’intellectuel zombie par Macé-Scaron (le rédacteur en chef de Marianne et auteur du dernier numéro : Les complices de l’islamisme),  Finkelkraut y est aussi allé de son verbe tranchant. Pire, le premier ministre himself prit de son temps pour publier une tribune dans le monde fustigeant le manque d’optimisme et de patriotisme de Todd.

Todd évoque, dans son livre à propos de cette date, un flash totalitaire. En effet, nous avons rapidement pu constater la réalité de cette expression. Ainsi, dès les premiers jours, tous ceux qui refusaient d’être Charlie, même les enfants, ou qui émettaient de simples réserves, étaient alors cloués au pilori de la pensée unique. Il ne fallait pas penser autrement. Nous étions alors tous emportés par les flots émotionnels du Charlisme, nouveau mythe républicain, selon le journaliste Kevin Victoire (2). Jusqu’aujourd’hui encore, la réflexion n’est pas possible puisqu’un homme politique est intervenu dans le débat d’idées. Et c’est l’émotion qui doit toujours régner. Cette intervention du politique relève du dogmatisme. On pourrait même arguer ironiquement que cette intervention d’un clerc d’une République comprise de manière extrêmement religieuse contrevient à la Laïcité.

En tout cas, ce que nous enseigne le livre de Todd, avant même de le lire, c’est qu’en réalité, l’esprit du 11 janvier n’est pas cet élan républicain, cette « France retrouvée » selon Valls, où la laïcité et les valeurs de la République permettraient de vivre-ensemble et dans un esprit de tolérance. Non, l’esprit du 11 janvier est l’expression même d’un conformisme dogmatique caractéristique de la mentalité régnante au sein de ces élites françaises corporatistes passant plus de temps à protéger leurs intérêts qu’à renouveler la pensée et les méthodes dans leur domaine.

Louis Alidovitch, écrivain, auteur de l’essai « La Barbe qui cache la forêt »

 

(1) On rappellera que la République est un mode d’organisation et non un système de valeurs, ni une religion, ni un système philosophique. Par ailleurs, la République n’a pas de valeurs mais des principes. Le glissement sémantique ici n’est pas anodin puisque nous basculons ainsi dans la religion républicaine, le Charlisme étant devenu son nouveau mythe.

(2) http://comptoir.org/2015/05/19/le-charlisme-nouveau-mythe-republicain/