Al-Ghâfir – Al-Ghafûr – Al-Ghaffâr
Au nom de Dieu le Très Rayonnant d’Amour, le Tout Rayonnant d’Amour. Notre hôte béni et que nous chérissons tant n’est pas sans m’évoquer l’image d’un sablier dont les grains de sable s’écoulent inéluctablement quoi que nous fassions pour les retenir.
Et voilà que s’achève déjà la deuxième décade du Ramadan, placée sous le signe de la Mansuétude et l’Absolution d’Al-Ghâfir, Al-Ghafûr, Al-Ghaffâr. Le mois dans son entièreté n’est d’ailleurs que promesse et manifestation du Pardon divin tel que le bien-aimé de Dieu nous l’a annoncé, que la paix et le salut de Dieu le recouvrent : « Quiconque effectue le jeûne du Ramadan avec foi et espoir en la récompense divine, tous ses péchés passés seront absous. »[1]
« Al-maghfira » -l’absolution, le pardon- qui dérive du verbe « ghafara » est cité plus de trois cents fois dans le Coran, c’est dire sa centralité. Linguistiquement, le verbe ghafara signifie couvrir, recouvrir, cacher, effacer quelque chose, ne plus la laisser paraître, mais également ne pas tenir rigueur d’un tort que l’on nous a fait. On recense jusqu’à sept noms propres dérivés du verbe ghafara dans le Coran : Al-Ghâfir, Al-Ghafûr, qui est le plus courant et l’un des Noms Sublimes les plus mentionnés dans le Coran (91 fois) et Al-Ghaffâr, sur lesquels nous allons nous arrêter aujourd’hui. Mais Il est aussi « Wâssi’a al-maghfira »[2], Celui dont le pardon est infiniment vaste, dont la mansuétude est sans limite ; « Ahl al-maghfira »[3], Le seul à qui il appartient de pardonner ; « Dhul-maghfira »[4], Le détenteur du pardon et « Khayru al-ghâfirîn »[5], Le meilleur des absoluteurs. Ces différents noms dérivés de la racine arabe « GH-F-R » nous laissent entrevoir quelques aspects de l’absolution divine : son infinitude, son abondance, sa perfection… Une absolution transcendante.
Arrêtons-nous un instant sur les trois noms sublimes Al-Ghâfir, Al-Ghafûr et Al-Ghaffâr.
Leurs sens sont très proches, bien qu’ils aient chacun leur spécificité.
Al-Ghâfir est Celui qui pardonne nos erreurs, efface et dissimule nos fautes et ne nous tient pas rigueur pour nos méfaits.
Quelles sont donc les subtilités qui distinguent celui-ci des deux autres Noms sublimes ? Dans la grammaire arabe, la forme du Nom divin Al-Ghafûr prend une valeur emphatique qui amplifie l’intensité et la puissance de cette absolution. Quelles que soient la grandeur et la gravité de la faute, Al-Ghafûr ne connaît pas de limite dans ce qu’Il peut pardonner, ainsi qu’Il nous le dit au verset 53 du chapitre 39 (Les groupes/Az-Zumar) :
« Dis : Ô Mes serviteurs qui avez commis des excès à votre propre détriment, ne désespérez jamais de la Miséricorde (Amour) de Dieu, car Dieu absout tous les péchés, Il est le Pardonneur, le Tout Rayonnant d’Amour. »
Notre Seigneur nous déclare ici Son amour et Son désir de nous offrir Son pardon alors même que nous avons outrepassé toutes les limites. Il, glorifié et exalté soit-Il, nous dit qu’Il n’y a pas de limite au-delà de laquelle Il ne peut nous pardonner et que rien n’est impardonnable. Al-Ghafûr exprime la qualité, la perfection et l’universalité du Pardon.
Quant au Nom Al-Ghaffâr, il s’agit d’une forme encore plus amplifiée qu’Al-Ghafûr, car elle porte en elle une intensification dans la temporalité et la fréquence. Si Al-Ghafûr peut absolument tout pardonner, Al-Ghaffâr est Celui qui pardonne à chaque instant, à chaque seconde, de manière continue et en abondance. Il exprime l’intensité du Pardon au sens quantitatif et répétitif, à la mesure, et même bien au-delà, des fautes innombrables et répétées des Hommes.
Le serviteur, quant à lui, est caractérisé par trois défauts, également graduels et progressifs. Celui-ci est « zhâlim »[6], celui qui est injuste, qui obscurcit ; « zhalûm »[7], celui qui est très injuste, enclin à l’iniquité et « zhallâm »[8], celui qui n’a de cesse d’être injuste.
À chacune de ces trois attitudes humaines, correspondent une qualité et un Nom sublimes divins susmentionnés.
Sache que si tu es injuste, Il est pardonneur. Si tu es très injuste, Il est très pardonneur et si tu ne cesses d’être injuste, Il pardonne sans cesse. Or, ces attributs humains ont une fin et sont limités, comme il sied à notre nature finie et limitée, tandis que les qualités divines de pardon et de mansuétude n’ont pas de limite, ni de fin et l’infini, par nature, l’emporte sur le fini. Ne désespérons donc jamais du pardon et de la miséricorde de Dieu[9].
L’imam Al-Ghazâlî ajoute que le Nom divin Al-Ghaffâr exprime par ailleurs Celui qui manifeste le beau et dissimule le laid, car le terme « ghufr » en arabe signifie « voile ».
Le premier de ces voiles est celui par lequel Il a dissimulé à l’intérieur de nos corps ce qui nous inspirerait dégoût et répugnance s’Il ne les avait soustraits aux regards : nos organes, viscères, sécrétions…, le parant d’une belle apparence.
Le deuxième voile est celui grâce auquel Il a enfoui en notre for intérieur le secret de nos pensées et intentions impures et malsaines, de sorte que nul n’en a connaissance. Si Dieu mettait à nu et dévoilait les secrets de nos cœurs, nous nous haïrions les uns, les autres.
Enfin, le troisième voile est celui par lequel Dieu recouvre et dissimule nos fautes, lesquelles nous vaudraient le mépris des autres si elles leur étaient dévoilées. Son pardon est si vaste qu’Il promet à ceux qui se repentent, ont la foi et œuvrent dans le bien de remplacer leurs méfaits par de bonnes œuvres[10].
La première des manières de s’imprégner de ces qualités divines est de prendre conscience de nos erreurs, de nos manquements et d’implorer Son pardon, bien plus vaste que nos fautes, et d’installer dans notre quotidien des instants d’intimité avec notre Seigneur où l’on se met à nu devant Lui et où l’on se repent de manière sincère, profonde, avec constance, confiance, ferveur et pleins d’espérance.
Il convient également qu’à la manière de notre Seigneur, non seulement, nous travaillions nos cœurs et nos egos afin de pouvoir pardonner à ceux qui nous ont offensés, peinés, blessés, humiliés et que sais-je encore, mais aussi que nous taisions les défauts et méfaits des autres. Eduquons nos regards et nos langues à voir et dire le beau des autres et délaissons le laid.
L’un de nos pieux prédécesseurs a eu ces paroles : Il est « Le Pardonneur en ce bas-monde, Le très Pardonneur dans la tombe et Le sans cesse Pardonneur dans les parterres de la résurrection ».[11] Paroles pleines d’espérance sur lesquels nous finirons en L’implorant du plus profond de nos cœurs de faire pleuvoir sur nous Son pardon infini, à chaque instant et en en tout lieu. Puisse-t-Il nous accorder un cœur pur, sain, enclin au pardon et empli de bienveillance et de mansuétude et nous compter au nombre des repentants.
[1] Récit prophétique rapporté par Al-Boukhari et Mouslim
[2] Coran : chapitre 53, L’étoile/An-Najm, verset 32
[3] Coran : chapitre 74, Le revêtu d’un manteau/Al-Muddaththir, verset 56
[4] Coran : chapitre 13, Le tonnerre/Ar-Ra’d, verset 6
[5] Coran : chapitre 7, Les murailles/Al-A’raf, verset 155
[6] Coran : chapitre 35, Le Créateur/Fâtir, verset 32
[7] Coran : chapitre 33, Les coalisés/Al-Ahzâb, verset 72
[8] Inspiré du verset 53 du chapitre 39 précédemment cité : ceux qui ont été dans l’excès à l’encontre de leur propre âme, car ceux-ci en étant dans la « désobéissance » excessive n’ont eu de cesse d’être injustes.
[9] Ar-Râzi, Traité sur les noms divins, traduction de Maurice Gloton.
[10] Coran : chapitre 25 Le discernement/Al-Forqâne, verset 70
[11] Ar-Râzi, op. cit.