De l’individualisme vers l’Humanité !
L’individualisme prospère
La crise actuelle a accéléré une précarité économique déjà bien présente, accentué une détresse psychologique abondamment répandue et cassé des liens sociaux depuis pas mal de temps bien tendus. Durant ces temps de crise et d’incertitude, face à la peur de manquer, de périr, nos comportements instinctifs peuvent dominer sur nos comportements rationnels. Ces comportements ne sont aussi qu’une accélération et une accentuation, face à un danger apparent, d’un développement déjà bien avancé, de l’individualisme et de l’égoïsme. Cette conception légitimée dans les sociétés modernes, à travers un capitalisme déshumanisant et divisant, est renforcée, même encouragée par la bureaucratisation et l’institutionnalisation des solidarités.
La grande famille : l’humanité
Durant cette crise sanitaire, nous avons aussi fait connaissance avec ce nouveau terme de distanciation sociale : une recommandation pour se protéger, mais qui nous a rappelé d’abord que la société et l’économie ne sont pas que des individus, mais surtout des liens sociaux, qui sont la structure de base de nos sociétés. Des réflexions se sont même attardées pour renommer cette recommandation avec un terme plus juste : la distanciation physique. Par ailleurs, des alternatives de connexion et de socialisation ont vu le jour et des initiatives citoyennes spontanées de solidarité ont fait bloc devant la défaillance des Etats et des « institutions de solidarités ».
La conception d’une société chérissant l’épanouissement individuel à travers la responsabilité de chacun de son propre destin, prive l’être humain de son vrai épanouissement, qui doit pouvoir à la fois s’épanouir comme individu, mais toujours dans une communauté, dans une fraternité, à commencer par sa petite famille et ensuite sa famille élargie : l’humanité, à l’image des croyants, décrite par le prophète (paix et salut sur lui) : « L’exemple des croyants dans les liens d’amour, de miséricorde et de compassion qui les unissent les uns aux autres est celle du corps : dès que l’un de ses membres est malade, tout le reste du corps souffre d’insomnie et de fièvre. »1
Le bateau de l’humanité
Ces circonstances inédites peuvent se révéler comme une opportunité pour sortir de cet engrenage individualiste et un début d’un nouveau réveil de l’humanité. Une humanité de développement du lien social et du socle commun, qui englobe des valeurs et des acquis universels que nous gagnerons tous, ou nous perdrons les uns après les autres. Une humanité, où les intérêts collectifs prennent le dessus sur l’intérêt individuel. Toute l’humanité est dans ce même bateau que le prophète (paix et salut sur lui) nous décrit, dans une tradition relatée par An-Nu’mân ibn Bachîr, que Dieu l’agrée : « Celui qui respecte les limites de Dieu et celui qui les transgresse sont semblables à un groupe de gens qui, sur un bateau, tirent au sort ; certains se retrouvent sur la partie supérieure et les autres dans la partie inférieure. Quand ils puisent de l’eau pour boire, ceux qui se trouvent en-dessous passent à côté de ceux qui se trouvent au-dessus et finissent par se dire : si nous faisions un trou dans notre partie, de sorte à ne pas déranger ceux qui sont au-dessus ? Ainsi, si [les gens d’en haut] les laissent faire, ils périront tous, tandis que s’ils les en empêchent, tout le monde sera sauvé »2. Ce bateau de l’humanité nous transporte tous avec nos différences, nos divergences, nos statuts sociaux, dans un océan profond et agité, vers le rivage de la sécurité et de la paix. Notre succès collectif nous amènera à un accostage réussi pour tous les voyageurs et la noyade est la fin de notre humanité.
Témoins à l’humanité
Dieu dit : « C’est ainsi que Nous fîmes de vous une communauté du juste milieu afin que vous soyez témoins aux gens, tout comme le Prophète vous est témoin »3. Cette fonction de témoins aux gens peut être interprétée et comprise de différentes manières, dont le fait de se soucier des autres, veiller sur les plus fragiles et porter assistance à ceux qui en ont besoin. Le croyant témoin se doit d’être responsable et engagé dans cette conduite du bateau, au chevet de ce corps malade et saignant, soucieux de la survie et du salut de ses sœurs et ses frères comme il l’est de lui-même, animé par l’amour de son prochain et la recherche de son bien, un amour qui conditionne sa foi comme nous le précise le prophète (paix et salut sur lui) : « Aucun d’entre vous ne sera véritablement croyant jusqu’à ce qu’il aime pour son frère ce qu’il aime pour lui-même »4.
1. [Authentique] – [Rapporté par Al-Bûkhari et Muslim]
2. [Authentique] – [Rapporté par Al-Bûkhârî]
3. Sourate la Vache, verset 143
4. [Authentique] – [Rapporté par Al-Bûkhari et Muslim]
Lire aussi :
Une humanité commune, un destin commun
Individualisme et refus de la transcendance
Que devons-nous apprendre de la pandémie ?