Mon beau pays, la Birmanie : Dans la peau meurtrie d’un Rohingya
J’y suis né et j’y ai grandi, dans ce beau pays : la Birmanie ; le pays des rubis et des saphirs ; le pays célèbre par sa plaine aux 2000 temples mystérieux. Et le monde entier vient y visiter la beauté de ce fleuve qu’on appelle le « fleuve tranquille ». C’est mon pays : la Birmanie…
Mais un jour, mon pays dont les temples ont gravé l’empreinte de la spiritualité et de la paix, a vu des hommes assoiffés de sang y graver l’empreinte de la haine et de l’horreur. Ce jour-là, il n’y avait plus d’humanité. On m’a dit : « Tu n’es plus chez toi ici ! Tu n’es plus birman ! Tu n’es rien ! »
Oui… J’avais l’impression de n’être plus rien à leurs yeux. Je n’avais plus rien d’humain. Ils m’ont considéré comme un animal, une bête qu’il fallait saigner et enfouir dans un endroit où personne ne me trouverait. Mais le pire, c’est que j’avais aussi l’impression de n’être plus rien à mes yeux. Ils m’ont tellement déshumanisé que je ne pensais plus, je ne réagissais plus… J’attendais sûrement que tout cela finisse une bonne fois pour toute. Parfois, quand on sait que notre seule issue c’est la mort, on se résigne et on attend.
Je revois encore ces hommes au regard noir avec leurs bottes, leurs fusils et leurs couteaux. J’ai senti leurs coups, j’ai entendu leurs insultes, j’ai cru mourir… Tellement de douleur que je ne sentais plus rien. Ils me frappaient et déchiraient ma peau. Je percevais à peine leurs cris et leurs rires diaboliques. J’avais l’impression que mon âme flottait entre deux mondes, celui-ci et celui des âmes martyrisées.
Je me souviens du silence. Les soldats sont partis. Je ne sais pas exactement combien de temps s’est écoulé, mais je me souviens de mon réveil. Ma mère était près de moi. J’avais l’impression de naître de nouveau et de revoir son visage. Elle essuyait mon sang. Elle pansait mes blessures. Je voyais sa peine et ses larmes de douleur creuser son doux visage. Oui… Je me souviens… Je sentais également cette odeur de brûlé. Ils ont fait flamber notre village, comme s’ils allumaient un feu de joie.
Et j’ai tellement prié en mon cœur. J’ai prié Dieu pour qu’il apaise mes souffrances et je l’ai surtout prié pour qu’il empêche la haine de gagner mon cœur. Alors, lorsque mon corps allait mieux, j’ai décidé de prendre ma mère avec moi et de partir. Nous avons fui pour survivre. Le monde entier nous a vu, et le monde nous regarde comme si nous étions une horreur de plus sur cette terre. Je n’ai pas fui pour sauver ma vie. J’aurais été honoré d’être tué par des ennemis lâches, mais j’ai fui pour sauver ma mère. Je n’aurai sûrement pas supporté de la voir assassinée par ces monstres.
Et nous avons marché des jours et des jours avec ces milliers d’autres. Et nous sommes arrivés dans ce camp et nous avons été accueillis, comme des bêtes… Mais cette fois-ci, nous ne venions pas chez nos ennemis, nous venions chez nos frères… Ils prient comme nous prions et mangent comme nous mangeons. Et j’ai encore prié Dieu pour qu’il ne me fasse pas détester mes propres frères. J’ai alors tourné mon regard derrière, vers l’horizon de ce pays qui m’a torturé : « Je reviendrai… », ai-je dit en mon cœur, « In Shâ Allah »
Quel que soit le destin que Dieu aura choisi pour moi, je l’accepterai. J’ai décidé de continuer de vivre, pour sauver ma mère, pour témoigner, pour dire ce que le monde refuse de voir et entendre. Il me reste mon cœur, ma foi et l’amour pour mon pays qui me donnent la force de continuer de vivre. Mes nuits sont hantées par les cauchemars. Les gens de mon village dont les corps ont été brûlés, les femmes dont l’intimité a été meurtrie et les enfants démembrés sous les bottes des militaires.
Je reviendrai pour continuer de vivre car je sais que l’injustice détruit toujours ceux qui ont tué et ceux qui sont restés silencieux. Et ma mère me console de son regard doux. Elle est comme moi… Elle continue de vivre…
Source : https://www.khalidmossayd.com/Mon-beau-pays-la-Birmanie_a80.html