Palestinienne
« Palestinienne » est un mot qui résonne en mon coeur et qui vient à moi chargé d’histoire, de conflits, de souffrances, de guerres, de paix, de foi, d’amour, d’espoirs souvent déçus mais d’espoirs quand même. C’est une nationalité pour certains, l’identité d’une terre pour d’autres et enfin le symbole d’une lutte quotidienne pour beaucoup, une résistance de tous les jours qui ne laisse aucun répit à celles et ceux qui la vivent de l’intérieur. Privée de tout, sauf de sa force de reconstruire encore et toujours. «Détruisez ma maison, je la bâtirai de nouveau, avec mon âme, avec mes mains, avec mon sang», disait-elle.
« Palestinienne », c’est cette jeune femme, veuve, assise sur les ruines de sa maison, ses trois enfants blottis contre elle, faisant face à trois chars israéliens. Un homme vint à elle, les larmes aux yeux et lui dit : « Regarde là-bas, à quelques kilomètres, c’est l’Egypte. Ne serait-ce pas mieux pour tes enfants puisqu’aujourd’hui tu n’as plus rien ?». Le regard de cette mère était toujours fixé sur les canons des chars. Elle répondit à cet homme de manière déterminée tout en lui montrant les soldats de son index : «Ce sont mes ennemis ! Ils ont détruit ma maison et pris notre terre ! Ce n’est pas à moi de partir, c’est à eux !»
« Palestinienne », c’est une autre femme encore, plus âgée que la précédente, portant sur le visage les marques d’années de souffrances, de privations et de solitude. La meilleure partie de sa vie était dans son passé, lorsque ses voisins étaient juifs, lorsqu’elle avait encore des amies juives et lorsque cette terre appartenait encore à tout le monde. De ce passé, elle ne retiendra que quelques moments rares où la joie était présente au milieu du bonheur avec sa famille, une vie où il n’y avait aucun désespoir en l’avenir. Elle s’accrochait à ces souvenirs qui la brûlaient souvent de l’intérieur mais qui lui procuraient de temps en temps un peu de baume au cœur. Aujourd’hui, elle n’a plus rien et elle se sent usée par toutes ces années de privations, de fatigues et de douleurs. Elle a vu les membres de sa petite famille partir un par un. Son mari, ses garçons, ses filles, son frère, ses sœurs, tous partis, emportés par une lutte qui n’avait de sens qu’à travers l’amour de leur terre, emportés par une guerre lâche, infatigable, injuste, disproportionnée et inégale.
« Palestinien », c’est ce petit garçon, habitué à souffrir, né orphelin et ne comprenant pas toujours ce qui lui arrive. Ce qu’il ne pouvait comprendre, il s’en remettait à Dieu de lui expliquer. Il ne connaissait rien de l’histoire de sa propre famille. Il ne connaissait que l’histoire de son ennemi. L’amour ? Il ne l’a pas vraiment connu. La seule lueur qui brillait pour lui c’était cette jeune norvégienne qui venait chaque année passer des «vacances humanitaires», le temps de lui apporter un peu de tendresse, de sourires et de larmes qu’elle ne pouvait cacher. Chaque année le petit garçon était différent, endurci par une vie qui lui a offert si peu. Il souffrait de la voir repartir, elle souffrait de revoir chaque été la haine grandissante dans son regard.
« Palestine », un mot qui n’a jamais existé dans l’esprit de celles et ceux qui ont décidé fermement de tout leur prendre, jusqu’à leur liberté et leur dignité. Pour moi, c’est « l’histoire d’un peuple», une lutte qui renvoie à l’humanité entière le miroir de sa lâcheté, de son oubli et de sa démission. Fermez les yeux si vous voulez, mais la sagesse de l’Histoire vous les ouvrira de manière violente. On ne peut pas cacher indéfiniment la souffrance d’un peuple face à l’arrogance effrayante d’un autre. La paix ? Oui, mais à quel prix ? Des deux côtés, des voix se font entendre pour vivre enfin en toute sérénité, dans l’espoir d’un avenir meilleur. Le temps fera qu’un jour, In Cha Allah, ces voix deviendront des voisins, des amis et pourquoi pas des frères et sœurs.
« Palestinienne », c’est une femme présente dans un coin de mon histoire. Elle me racontait comment elle a vu sa ville détruite par les chars et reconstruite par la foi, la force et la volonté. Je n’ai trouvé chez elle, ni haine, ni désespoir, ni fatalité. Sa vie a fait d’elle une femme qui sait aller à l’essentiel, une femme qui ne connaît pas les futilités quotidiennes. Elle n’a pas le temps de s’y attarder. Le sens de son existence est dans l’accompagnement de sa mère face à la maladie, la présence pour son père face à la fatigue, l’amour d’enseigner à ses élèves une langue qu’elle a appris à aimer profondément et l’amour pour un homme présent dans un coin de son histoire.
«Palestinienne», tu m’as appris avec une simplicité étonnante et désarmante que «le passé est le passé et seul compte l’avenir et ce que tu en feras». Moi qui perds parfois tout courage pour agir alors qu’on ne me prive de rien. Je me privais moi-même de mon intelligence et de la force du recul. Je me privais de comprendre la sagesse de l’épreuve. Mais que valent mes épreuves face aux tiennes ? J’avais parfois honte de te parler de choses futiles, aveuglé par une vie qui avait souvent peu de sens. Tu parlais toujours avec douceur des épreuves et de la vie qui surprend. J’ai beaucoup à apprendre de cette sagesse, comme tout le monde d’ailleurs. Le destin me donnera-t-il l’opportunité d’utiliser ta force pour panser quelques plaies ? Tu vis en un jour ce que je serai incapable de vivre en plusieurs mois. Tu vois les larmes d’un peuple, les larmes de ceux qui te sont proches, les larmes de Ramallah et de Jérusalem. Mes larmes sont ridicules face aux tiennes. J’ai honte de me plaindre pour si peu alors que tu ne te plains jamais. Absorbé par l’égoïsme de mes propres peines, j’ai refait surface par ta vision si simple de la vie. Je maîtriserai ce destin qui m’est offert avec celle qui était là, présente dans un coin de mon histoire, présente dans un coin de mon destin. Nous croyons que nous voyons les choses trop tard mais tu m’as appris que «rien n’est trop tard. Peu importe qui tu trouves sur ton chemin. Peu importe quand tu le trouves, car le bonheur est toujours là pour qui sait le voir.»