« Attendre la prochaine prière après celle accomplie »
En allant vers cette retraite spirituelle je réalisais que l’exercice n’était point anodin. Une escalade en montagne, dirai-je, qui requiert un plan et beaucoup d’attention.
Les trois premiers jours c’est l’affirmation. Dès l’arrivée, agrippé à quelques bonnes intentions rescapées de la vie de tous les jours, bien déterminé à pousser au bout sa présence à Dieu, on prend ses repères dans les lieux de la retraite et on cherche à atteindre les limites de ses capacités en préservant l’équilibre. Comme je redoute le sommeil qui peut gâcher une séance de lecture de Coran, une prière de nuit ou un épisode de souvenance de Dieu, je reste vigilant à préserver les moments de sommeil. Le temps de parole se rétrécit au strict nécessaire, je n’entends plus que le bruit du cerveau qui ne cesse ses activités électriques en désobéissant à ma volonté intime de chercher le simple silence, la présence à Dieu et Son adoration.
Contre ce bruit, une lutte acharnée s’engage sur les trois prochains jours. Comment simplement lire la Parole de Dieu et laisser couler le sens des mots dans mon cœur sans être parasité par ces « sonneries » intempestives et « alertes » déplacées. Les seuls moments de répit restent ceux où je dors. A ma propre volonté de me concentrer, mon égo oppose une farouche résistance. Il devient, néanmoins, plus transparent malgré tout. En se rétractant, il laisse s’infiltrer des lueurs insoupçonnables. A l’image d’une entité effervescente au contact de l’eau. Elle perd peu à peu de son opacité, et se confond progressivement avec l’eau limpide qui l’encercle. Les mots n’ont plus la même intonation, les choses n’ont plus la même interprétation, l’esprit gagne en éveil et en sensibilité.
Les songes pieux viennent apporter un autre point de vue de cette lutte que j’endure peut-être en même temps que d’autres avec moi. Ils décrivent des dons spirituels, une purification du cœur, une élévation en degrés. Le cheminement spirituel devient un mouvement palpable, une transformation que l’on vit corps et âme.
La satisfaction est le pire ennemi dans cette évolution. Dès que les faveurs sont palpables, l’endurance prend une autre tournure. Le chercheur de faveurs se trouve rassasié et risque de se distraire à s’en réjouir. Il succombe à la ruse qui réconforte à nouveau l’ego dans cette nouvelle jouissance. Une fois la ruse dévoilée, la situation n’est guère plus simple. Le troisième triplet de jours, le bout du tunnel devient visible. « Plus que quelques jours à tenir », s’emploie à me rappeler insidieusement mon ego qui dans sa mésaventure a dévoilé moult traits astucieusement occultés de sa nature.
Le dernier jour, je cultive l’espoir d’une deuxième chance. Le succès n’est pas encore au rendez-vous. « Attendre la prochaine prière après celle accomplie », c’est bien là l’état de veille qui marque une retraite au sens prophétique. Un séjour rythmé dans le temps et dans le cœur par les RDV avec Dieu. Je me rends compte que j’en étais seulement à attendre la pause après la pause, bien que ma journée soit bien meublée de prières et d’invocations.
Je me persuade que ce type de retraite est un traitement à vie, une piqûre de rappel contre l’oubli de soi, une cure régulière de réinitialisation qui permet de ne pas perdre de vue sa liberté primordiale et prendre un peu plus le dessus sur ses passions.