Prière : station ou transition
Je crains que dans le quotidien, ce ne soit souvent une transition. La prière est ainsi accomplie pour passer à la suite : « Il faut que je fasse ma prière pour dormir, … sortir … ou passer ma soirée tranquille… » Dit-on juste avant d’y aller. Ou encore : « il faut que je prie vite, car je dois y aller avant que ça ferme ! » Projette-t-on souvent.
L’état d’esprit qui nous accompagne lorsque nous vivons une transition nous renvoie incessamment vers l’objectif, convenons de l’appeler « station », que nous voulons atteindre en essayant d’écarter tous les obstacles qui nous en séparent. Une file d’attente serait à juste titre une transition pour entrer dans un parc, jouir d’une distraction, ou finir ses courses et rentrer. Une fois dans la station, l’esprit est plutôt de dire « J’ai atteint mon objectif, je suis là où je dois être, tout mon être peut maintenant profiter de ce que m’offre cette station après tant de laborieuses transitions endurées pour y aboutir. »
S’il s’agissait d’une courbe, les stations correspondraient aux pics, tandis que les transitions correspondraient aux dénivelés.
Dans le modèle prophétique, il semble bien que la prière soit une station à croire le hadith où le Prophète, paix et salut sur lui, intime au compagnon Bilal, que Dieu l’agrée, de faire l’appel à la prière en ces termes : « Soulage-nous donc par celle-ci (la prière), Ô Bilal ! ».
Mais pourquoi le sachant, on se laisse engouffrer dans cet engrenage quotidien qui fait de notre prière un “bouche-trou” que l’on glisse entre deux occupations majeures ? Dieu ne recommande-t-Il pas à Son Messager, paix et salut sur lui, de consacrer les moments les plus convoités de nos passions pour se retrouver avec Lui dans la prière, notre temps libre ? « Quand tu te libères dresse-toi donc et sollicite ton Seigneur. »[1]
Vivre la prière comme une transition prise en tenaille entre deux occupations ne manque pas de polluer nos prières avec de nombreux parasites. Les ingénieuses inspirations, les bons plans, les âpres monologues qui simulent des discussions ou des disputes, ne cessent d’affluer lors de ces moments dédiés à notre existence universelle où seul compte notre lien à Dieu. Mais on a beau essayer de les chasser, le statut de « transition » dont nos prières héritent clandestinement s’impose. Un peu comme lorsqu’on roule seul dans une voiture, notre esprit ne cesse de se dissiper une fois les automatismes de la conduite acquis.
L’une des œuvres privilégiées qui élève le degré des fidèles est d’attendre la prochaine prière après en avoir accompli une. C’est une attitude spirituelle, je crois, plus qu’une restriction spatiale. Le Prophète, paix et salut sur lui, tente d’instaurer un état d’esprit, plutôt un état spirituel, où la prière serait une station tant attendue, au point qu’on pense à la prochaine dès qu’on quitte la dernière. Une sorte d’accomplissement où l’on retrouve sa réalité universelle, où, sous la miséricorde divine et la sérénité du cœur, les illusions se dissipent et laissent apparaître les vérités éternelles.
[1] Coran : sourate 94, V7