Vivre l’islam entre texte et contexte
Dieu, exalté soit Son Nom, a créé l’homme situé et daté dans un contexte matériel et historique et inséré dans un environnement qui constitue son milieu d’épreuve et donc son milieu d’action.
Loin de tout déterminisme qui fige l’Homme dans une situation et dans une condition, Dieu a donné à l’Homme la liberté de choisir son destin et de s’affranchir de toute condition qui l’empêche de renouer avec sa condition originelle d’être digne par essence promise à la félicité éternelle.
Le musulman se doit de frayer son chemin de fidélité à Dieu et progresser sur la voie de son perfectionnement moral et spirituel à contre courant des obstacles intimes et dans les tumultes d’un environnement qui n’est, par définition et selon la volonté et la sagesse de Dieu, ni un espace neutre, ni un vaste clos, ni un champ stérilisé et protégé face aux influences extérieures.
Dieu nous rappelle cette vérité dans le Coran : « N’eût été le fait que Dieu neutralise l’effort de tout groupe d’hommes par celui du groupe adverse, la terre serait corrompue »[1]
Cette réalité fondamentale du monde/épreuve comme espace sciemment dialectique, fait de diversité, de multi culturalité, de couleurs, d’antagonismes et de contradictions, met le fidèle(e) face à une lourde responsabilité. Celle de faire des choix, assumer des choix et résister dans des choix.
Toutefois, pour opérer un choix qui donne sens à la vie, le fidèle a le devoir de bien connaître son milieu d’épreuve, d’en cerner les contours, de comprendre les lois (Sounan) qui le gèrent, d’en maîtriser les courants de pensée qui le traversent et de savoir décrypter les forces causales qui le commandent, les coalitions d’intérêts qui le tiraillent…
La compréhension du monde que Dieu a créé dans l’antagonisme et le mouvement, échappe à celui qui veut le cerner d’une manière simpliste et statique. Le Monde créé en couleurs ne peut être correctement intelligible à celui qui s’obstine à le regarder avec des yeux qui ne saisissent que le noir et le blanc et refusent de le voir dans toute sa complexité. La compréhension du monde échappe aussi à celui qui ne voit pas Dieu, exalté soit son Nom, à l’origine de toute chose et derrière toute chose
Cette fonction (comprendre le milieu d’épreuve) dans sa nuance et sa complexité constitue donc un aspect fondamental en islam car la Charia comme voie de fidélité à Dieu est une voie dans un contexte. Elle fait appel à l’intelligence de la même façon qu’elle s’adresse au cœur et à la volonté.
Deux causes poussent certains musulmans à verser dans les extrémismes comme méthode de vivre et d’instituer l’islam: le littéralisme et le simplisme :
– L’ignorance de ce que le Texte veut réellement et profondément dire : C’est le littéralisme dans la lecture des textes qui empêche de voir les finalités et les intentionnalités de la Révélation.
– Et/ou l’ignorance des éléments du Contexte dans sa complexité, de l’environnement global dans lequel se trouve encastré le fidèle : C’est le simplisme dans la lecture de la réalité sociale et du contexte spatio temporel.
Comprendre son environnement, c’est répondre à l’invitation qui nous est faites par Dieu de méditer l’univers comme Livre révélé déployé. L’univers n’est autre que cette seconde forme que la Révélation divine peut prendre « Nous ferons éclater nos signes aux horizons et en eux-mêmes jusqu’à ce qu’il leur devienne évident que c’est la vérité »[2]
L’une des finalités du Savoir utile consiste donc à donner au fidèle les moyens de vivre en harmonie avec la Révélation dans un contexte précis. Un contexte dont les données varient et pèsent significativement sur la volonté d’être fidèle à Dieu.
La Fatwa comme compromis entre Texte et Contexte
Les savants musulmans étaient parfaitement conscients que la Fatwa dépend d’une façon certaine des éléments liés au contexte et à la situation individuelle et collective. Ils s’imposaient comme devoir absolu : la prise en considération active de données contextuelles dans l’effort d’interprétation de la Loi (l’ijtihad) et de construction de la règle juridique ( houkm). Les savants affirmaient que la fatwa n’est pas intemporelle. Au contraire elle est le fruit d’un compromis intègre et intelligent, d’une mise en dialogue et d’un croisement d’éléments relatifs à trois paramètres :
– La règle que le Texte contient et les Finalités que le Texte promeut.
– L’intérêt de l’individu ou du collectif concerné dans leur situation.
– Le contexte particulier qui l’entoure et dans lequel l’individu ou le collectif se trouve encastré.
Ils ont notifié comme principe fondamental que la Fatwa (avis juridique) change et évolue en fonction du contexte et de la situation (awhal) du ou des personnes concernées. Le juriste doit faire l’effort de comprendre le contexte dans lequel évolue l’être légalement responsable « al moukallaf »[3] pour lui proposer l’avis le plus pertinent au regard des intentionnalités de l’islam, des intérêts et spécificités de l’individu en question et de l’environnement qui pèse sur lui.
L’exemple de l’imam Chafi’i illustre parfaitement ce principe de la prise en compte du contexte dans le processus de l’élaboration de l’avis juridique puisque l’on sait qu’il a dû profondément modifié la majorité de ses avis produits en Iraq après son établissement en Egypte au point que les juristes parlent de l’ancienne doctrine de Chafi’i et de la nouvelle doctrine. Pourtant l’Imam Chafi’i se référait au même corpus de textes et utilisait la même méthodologie juridique, seul le contexte a changé.
Les compagnons et disciples d’Abû Hanîfa firent de même après le décès de leur maître.
L’imam Ahmad ibn Hanbal[4] affirmait le même principe et disait clairement qu’il n’était pas permis à un Juriste de donner un avis tant qu’il ne maîtrisait pas les éléments contextuels et situationnels.
Le développement de la jurisprudence islamique n’aurait pas pu se faire sans la prise en compte active de l’environnement politique, économique, social et culturel des individus et des sociétés concernés.
Les plus grands savants de l’islam qui font autorité sont unanimes pour dire que la fatwa varie significativement en fonction de la période, de l’endroit et des circonstances globales qui entourent les fidèles.
Connaître la vérité est une chose, vivre conformément à cette vérité et la mettre en pratique en est une autre, d’où le nécessaire devoir du fidèle de s’informer sur son environnement et de prendre en compte le contexte global dans lequel il se trouve.
Ce va et vient permanent entre le texte et le contexte et cette mise en pratique des préceptes de l’islam appelle des sciences spécifiques en rapport avec la Méthode, notamment la science des fondements du droit (Ouçoul Al Fiqh), la science des Finalités (Al Maqasid), la Science des Priorités ( Awlawiyat) et aussi ce que l’on peut appeler la science de la Méthode Prophétique ( Al Minjah).
Ces sciences précieuses permettent au fidèle d’avoir les clés, le regard méthodique, la vision stratégique pour penser, envisager et incarner l’islam d’une façon à la fois équilibrée, globale et dynamique.
La méditation en profondeur du modèle prophétique et de l’expérience des compagnons nous permet d’avoir les clés de cet équilibre, d’avoir les outils nécessaires pour comprendre comment se situer dans le monde en mouvement et découvrir les grandes perspectives que nous offre ce modèle prophétique à la fois pour la marche de l’individu vers Dieu ainsi que pour l’action collective de la communauté en matière de témoignage, de présence et de cheminement vers ses objectifs globaux.
[3] Certains savants définissent Al Mukallaf l’être légalement responsable au regard de la Chari’a avec 4 conditions :
1. Avoir atteint la puberté
2. Etre doué de raison
3. Avoir entendu le message de l’islam
4. Etre en possession de ses sens,
[4] Voir Méthodologie de la pensée juridique en islam page 25
Ma Sha Allah.
Merci jazaka laho bikhayr