Pourquoi les intérêts bancaires sont l’inverse de l’aumône légale (2/2)
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Le professeur et économiste algérien Mohamed Boudjellal définit la zakat, 3ème pilier de l’islam, comme étant « un devoir religieux qui interpelle tout musulman ayant atteint le nissab à purifier sa richesse et ses revenus en payant périodiquement, en nature ou en espèces, un montant déterminé qui sera affecté à des ayants droit bien précisés dans le Coran ».
Il définit le nissab comme « un seuil qui, lorsqu’il est atteint, le détenteur d’un patrimoine devient redevable de l’impôt zakataire. Il est égal à 85 grammes d’or pur. Concernant les richesses accumulées (encaisse sous forme d’argent liquide ou de métaux précieux immobilisée pendant une année lunaire (354 jours) et plus, il y a lieu de payer un taux zakataire de 2,5 % par an ».
La zakat représente donc un taux négatif de 2,5 % dissuadant la thésaurisation et encourageant l’investissement dans l’économie réelle, alors que l’intérêt appliqué au capital vient rémunérer son oisiveté. Il est donc possible d’affirmer qu’un capital taxable à la zakat tendra inexorablement vers le nissab, c’est-à-dire proche de zéro, lorsque lui est appliqué le facteur temps, contrairement à l’intérêt qui, lorsque lui est appliqué, le même facteur aura systématiquement tendance à tendre vers l’infini. C’est sans aucun doute cet attribut qui a fait dire au philosophe grec Aristote que l’intérêt était contraire à la nature car l’homme, avec l’intérêt, a donné à l’une de ses créations dénuée de toute matérialité un attribut divin d’infinité.
Le Coran, au verset 39 de la sourate 30, affirme également que l’intérêt est exactement l’inverse de l’aumône : « Ce que vous donnez en vue d’un accroissement aux dépens des biens de vos semblables ne s’accroît pas auprès de Dieu. (Par contre), ce que vous offrez comme aumône, désirant ce (ce faisant) la face de Dieu… Voilà ceux qui auront un double avantage (dans la vie dernière). »
Puisque la vie présente et future sont, sous certains aspects, opposées l’une à l’autre, les effets dans la vie future de l’intérêt et de l’aumône décrits par le Coran sont inversés par rapport à ceux constatés pour la vie présente : le capital constitué par le riba est réduit à néant, alors que le capital constitué par les aumônes est multiplié.
Cela est confirmé par le verset 276 de la sourate 2 : « Dieu réduit à néant le profit usuraire et accroît (le mérite) des aumônes. »
Le croyant et l’humaniste placent leurs intérêts personnels dans une perspective de long terme dont le centre de gravité dépasse leur propre vie terrestre : un homme ne pourra servir son intérêt individuel dans l’au-delà et celui des générations futures qu’en remplissant ses obligations éthiques et morales. Il ne pourra pas servir son intérêt par une utilisation égoïste des ressources terrestres et préférera faire preuve de solidarité plutôt que de s’enrichir au détriment d’autrui à l’aide de l’intérêt.
Le système des intérêts bancaires institutionnalise la cupidité
A la lecture des textes sacrés et de la tradition concernant les fondements de la zakat, on comprend aisément qu’un capital oisif et thésaurisé ne peut pas produire de richesse. Au contraire, en diminuant de 2,5 % par an, il tend inexorablement vers le nissab.
Nous disposons de la preuve matérielle que les sources sacrées de l’islam, avec la pratique de la zakat, institutionnalisent la solidarité de façon mécanique dans la société en venant taxer tout capital oisif et thésaurisé alors que le système des intérêts bancaires institutionnalise la cupidité au travers de la rémunération de la thésaurisation et de l’oisiveté. Un système financier fondé sur la justice doit partager de manière équitable le risque d’affaires entre les parties contractantes en plus du risque financier que doit supporter le pourvoyeur de fonds alors que le système de l’intérêt exonère l’usurier du risque d’affaire et le place dans une situation de gain quel que soit l’issue de l’opération.
Quelle peut être la valeur d’un système qui rémunère par l’intérêt bancaire l’oisiveté du capital et qui permet que le riche soit toujours plus riche sans avoir à fournir un autre effort que celui d’être riche ?
Cette position est éthiquement et moralement intenable et inacceptable : à la fois d’un point de vue traditionnel en se référant aux sources des différentes formes de sagesse humaine, que ce soit de la sagesse grecque antique en passant par les trois monothéismes, mais aussi d’un point de vue contemporain lorsque l’on contemple l’état de dépravation du monde actuel asservi par l’emprise de la dette et du système d’esclavagisme financier qui, par la mise en place d’une exploitation excessive de la nature et du vivant, conduit à la destruction des écosystèmes.
La civilisation islamique a encore beaucoup à offrir en matière d’éthique économique
Rappelons ici qu’Ibn Ishaq, auteur d’une biographie du Prophète Muhammad (sira), rapporte que ce dernier, dans son sermon d’adieu, a mis un terme définitif à la dette alimentée par l’usure : « Toute usure est abolie ; mais vous aurez vos capitaux : vous ne léserez personne et personne ne vous lésera. Dieu a décrété qu’il n’y aura pas d’usure. L’usure d’Abbas Ibn Abd al-Muttalib est totalement abolie. » Le Prophète a commencé par abolir les intérêts qui étaient dus à sa famille.
Ces paroles seront sans doute bientôt remises à l’ordre du jour quand la question de l’annulation des intérêts de la dette se posera sérieusement, après que cette dernière soit devenue insoutenable pour les ménages, entreprises, institutions, collectivités et Etats du monde entier. La civilisation islamique, après avoir apporté beaucoup à l’humanité en termes de savoirs techniques et scientifiques, a encore beaucoup à lui offrir en matière d’éthique économique et financière.
Ezzedine GHLAMALLAH, chercheur en finance islamique. Première parution de cet article sur le site SAPHIRNEWS